Des dizaines d’agents de sécurité de la compagnie Neptune sans salaire
L’agence de sécurité a perdu ses contrats avec la Sûreté du Québec et au palais de justice de Montréal.

Illustration d’un agent de la compagnie de sécurité Neptune.
Photo : Radio-Canada / Maxime Lech
« La paye, c’est sacré. C’est inacceptable », lance Vincent Boily, président du Syndicat de la sécurité privée au Québec. De nombreux agents de sécurité ont eu une mauvaise surprise jeudi dernier : ils n’ont pas reçu leur salaire de la compagnie Neptune.
C’est chien. On les a travaillées, ces heures-là
, lance un agent de sécurité de la région de Québec. J’ai peur de devoir faire une croix sur ça.
Neptune lui doit 4000 $, y compris ses vacances.
Un autre agent de la région de Montréal parle de mères monoparentales en pleurs et de personnes seules qui ne peuvent pas faire l’épicerie.
Sous le choc, plusieurs agents de sécurité ont contacté Radio-Canada au cours des derniers jours sous le couvert de la confidentialité. Ils affirment avoir reçu leur talon de paye, mais rien dans leur compte de banque.
Il y a des agents qui disent : "Si je n’ai pas ma paye, je ne rentre plus." C’est la débandade
, ajoute le chef syndical Boily en entrevue. Je les comprends complètement. Un employeur qui veut te voler ta paye! Moi, je ne rentrerais pas non plus.
Pour l’instant, il est difficile de connaître l’ampleur du problème. Dimanche, le syndicat avait recensé plusieurs dizaines d’agents sans salaire. Ce nombre pourrait être plus élevé, craint M. Boily. On avait l’habitude de payes qui ne rentraient pas chez Neptune de temps en temps, mais pas de façon généralisée comme en ce moment.
Des centaines d’agents de sécurité travailleraient pour Neptune au Québec à l'heure actuelle.
Nous sommes toujours à amasser l’information dans le but d’entreprendre les démarches juridiques qui s’imposent
, dit le syndicaliste.
Parmi les agents touchés, il y a ceux du centre de traitement informatique de Québec, un endroit névralgique pour les activités du gouvernement. Cet endroit, où se trouvent des renseignements de nature sensible
, selon l’appel d’offres remporté par Neptune en 2021, fait l’objet d’une surveillance jour et nuit.
Ce contrat a été résilié d'urgence vendredi. Aucun bris de service ou de sécurité n’est survenu au cours de cette démarche
, confirme le ministère de la Cybersécurité et du Numérique, qui explique avoir confié la gestion de la sécurité à une autre firme. Le ministère ne fait aucun compromis sur la sécurité des données des citoyens.
Problèmes en haut lieu
Pour expliquer l’absence de paye, Neptune fait état de « problèmes » à Mississauga, en Ontario, selon des communications internes obtenues par Radio-Canada.
[En raison d']un problème du bureau chef hors de notre contrôle, un délai supplémentaire est présentement encouru pour le dépôt des payes. Ceux-ci travaillent sur le problème et la situation sera résolue dans les plus brefs délais
, indiquait vendredi le superviseur de Neptune pour la région de Montréal et l’ouest du Québec.
Or, samedi, la situation ne semblait pas en voie de se régler. Les dépôts de paye ne seront malheureusement pas effectués de la part du bureau chef comme prévu. Je ne peux malheureusement pas vous aider ni vous donner plus d'information
, écrit une employée du service de la paye de Neptune pour le Québec. Je vous réfère donc à votre syndicat et/ou au Comité paritaire pour la suite.
Le Comité paritaire des agents de sécurité, qui traite les plaintes reçues, suit la situation de près. Nous entreprendrons les démarches pour réclamer les sommes dues aux salariés concernés
, affirme la directrice générale du Comité paritaire, Isabelle Cimon.
Contactée par Radio-Canada, la firme Neptune n’a pas voulu émettre de commentaire.
Le service de sécurité sur lequel vous pouvez compter
, annonçait paradoxalement cette entreprise dans une publicité samedi.

Publicité de l'agence Neptune dans « Le Journal de Montréal » du samedi 22 avril.
Photo : Radio-Canada
Ils ne sont pas capables de nous payer, mais ils se payent une pub dans le journal de ce week-end. Une vraie honte! Publicité mensongère à 100 %
, dénonce un agent qui travaille pour Neptune.
Le BSP invité à agir
Il est temps que le Bureau de la sécurité privée tire la plogue. Ça n'a pas d'allure qu'un employeur comme celui-là continue d’opérer
, ajoute le président du Syndicat de la sécurité privée au Québec, associé aux Métallos.
J’ai l’impression qu’il y a encore des verrats qui passent au travers des mailles du filet
, dit M. Boily en remettant en question l’efficacité du Bureau de la sécurité privée (BSP) en ce qui a trait à sa mission de protéger le public. Il y a des règlements qui devraient être changés pour protéger les travailleurs.
Les délais de cour, c’est extrêmement long. Ça ne me rentre pas dans la tête que ça continue. Ils ont le temps de partir du pays avec l’argent.
Les Métallos réclament déjà 1,4 million de dollars à Neptune pour avoir prélevé illégalement
des cotisations syndicales et des primes d’assurances collectives.
Le Bureau de la sécurité privée mène une enquête sur Neptune. L’organisme a cependant avoué à Radio-Canada qu'il veut faire moderniser la loi afin d’intervenir plus efficacement dans des cas comme celui de Neptune.
L’agence de sécurité ne peut d’ailleurs plus proposer ses services au gouvernement fédéral jusqu’à nouvel ordre. La compagnie est sous le coup de vérifications depuis que l’émission Enquête a révélé que son grand patron, un homme qui dit s’appeler Robert Butler, utilise deux identités.
L’Autorité des marchés publics a banni Neptune des contrats publics pour avoir omis de divulguer le fait que M. Butler est le véritable dirigeant de cette firme. Cependant, cette décision est suspendue le temps qu’un juge de la Cour supérieure se penche sur l'affaire.

Le grand patron de Neptune, Robert Butler, lors d’une visite d'« Enquête » avec une caméra cachée.
Photo : Radio-Canada
Neptune perd des contrats
Malgré tout, Neptune a déjà perdu plusieurs contrats, dont celui avec la Sûreté du Québec (SQ). La porte-parole Ann Mathieu précise que cela n’a pas de répercussions sur les opérations, car la SQ fait affaire avec plus d'une agence de sécurité.
L’entreprise a aussi été expulsée du palais de justice de Montréal. Le deuxième soumissionnaire, l’agence CISC, y gère maintenant les activités de gardiennage à la demande du ministère de la Sécurité publique, ont confirmé ses dirigeants à Radio-Canada.
Au cours des 10 dernières années, la compagnie a décroché des centaines de contrats publics un peu partout au pays.
En février dernier, Neptune détenait 133 contrats publics au Québec, dont la valeur dépasse les 240 millions de dollars.
Neptune fera face à un risque de faillite
si elle perd ses contrats publics, indique la compagnie dans des documents judiciaires.
En plus d’être une agence de sécurité, Neptune est également une compagnie de construction qui a touché des millions de dollars pour travailler sur des bases militaires canadiennes.
Son grand patron, Robert Butler – alias Badreddine Ahmadoun –, est aussi actif dans le secteur de l'immobilier en Ontario.
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