Stupéfaction à Boisbriand : 162 propriétaires de condos devront abandonner leur maison
Tout un ensemble résidentiel âgé d'à peine 15 ans devra être refait, car les habitations sont toutes gravement affectées par le même vice de construction et/ou de conception. Il s’agit de 27 habitations de six unités de condos chacune.

Le lotissement compte 27 immeubles de six unités chacun.
Photo : Radio-Canada
Environ 200 personnes ont été réunies à la Maison des citoyens de Boisbriand pour entendre le verdict final de plusieurs experts et avocats qui, au cours des deux dernières années, se sont penchés sur l’état de leurs bâtiments.
Les coûts de réfection seront énormes pour les 162 copropriétaires. Une analyse réalisée par l'architecte André Flora-Velhinho indique qu’il leur faudra débourser la somme de 2,9 millions de dollars par bâtiment pour le remettre en état. Vingt-sept bâtiments sont touchés, à des degrés divers, par les mêmes vices puisqu’ils ont été construits par le même entrepreneur, dont les plans ont été dessinés et approuvés par les mêmes firmes d'architectes et d’ingénierie. Ce sont donc 54 millions qui devront être investis par les 162 copropriétaires, une somme qui dépasse la valeur réelle de leur propriété.

Édouard Safi et sa famille peinent à se reloger alors que leur condo est inhabitable.
Photo : Radio-Canada
Au sortir de la réunion, plusieurs ont exprimé leur frustration, dont Édouard Safi. Son unité de condo a d’ailleurs été en partie démolie pour permettre aux experts de constater l'ampleur des dégâts. On est tous dans le même bateau. Mais nous, on est déjà dans la noyade. Moi, mon épouse et ma fille, on est déjà dans la noyade.
La famille d’Édouard Safi a dû quitter son unité de condo à la suite d’un dégât d’eau. Lors des travaux de correction, les experts se sont aperçus que le problème était encore plus vaste. Cela fait déjà un an qu’Édouard Safi se promène d'un logement à l’autre. À cela s'ajoute le fait qu’il doit malgré tout payer son hypothèque, de même qu’une cotisation spéciale au syndicat de 400 $ par mois, comme tous les autres copropriétaires. Il se sent pris à la gorge. Financièrement, je ne souhaite ça à personne, d'être dans la situation dans laquelle je suis, que ce soit mentalement ou physiquement.
Deux syndicats de copropriétaires impliqués
Ces unités de condos sont regroupées à l’intérieur de deux syndicats de copropriétaires de Boisbriand, soit Pimbina et Pimbina-Loggia. Ils s'intègrent dans un ensemble résidentiel plus vaste, construit sur les terrains de l'ancienne usine GM.
Les deux syndicats ont intenté une poursuite qui totalise actuellement 33 millions de dollars, mais les montants réclamés pourraient grimper. Les défendeurs sont le promoteur et entrepreneur Construction Nomade, de même que les architectes et ingénieurs qui ont signé et approuvé les plans. Comme nous sommes au début des procédures, personne n'a déposé de défense à la cour, mais les défendeurs ont annoncé qu’ils contestent la poursuite. Les allégations restent donc à être démontrées.

Des infiltrations d’eau récurrentes ont créé des dommages irréversibles.
Photo : Photo : Syndicat de copropriété du Faubourg Boisbriand
L’eau, source du problème
Tous les bâtiments ont été inspectés par l'architecte André Flora-Velhinho. Construits sur le même modèle, ils sont tous touchés à des degrés divers par la pourriture de la structure de bois. Selon l'expert retenu, et comme on peut le lire dans la poursuite, l’infiltration de l'eau derrière les façades de brique est imputable au fait qu’aucune mesure n'a été prise pour pallier le rétrécissement de la charpente de bois, un phénomène naturel et prévisible. Ce rétrécissement est provoqué par l’assèchement progressif de l'eau emprisonnée dans le bois.
Le bois contient un certain pourcentage d'eau. Il est d'environ 19 % normalement. En prenant de l'âge, il va perdre une partie de cette eau. En séchant, le bois va perdre un peu de ses dimensions, donc il va se rétrécir, il va diminuer en termes de volume.

L'architecte André Flora-Velhinho a constaté des dégâts plus importants qu'on l'estimait au départ.
Photo : Radio-Canada
Bien connus dans l’industrie de la construction, des moyens existent pour permettre l'absorption de ce retrait sans affecter les autres composantes, souligne l’expert architecte. Il faut préparer le bâtiment, l'assemblage, l'enveloppe, et la désigner, la construire de manière à parer ce phénomène naturel.
Et cette démarche n’a pas été réalisée, selon André Flora-Velhinho. Il n'y a pas eu de mesures tant au niveau de la conception qu'au niveau de la réalisation de la construction. Ces mesures-là n'ont pas été déployées.
La santé des copropriétaires à risque
Tous les échantillons de surface contiennent une contamination fongique
, peut-on lire dans le rapport d'analyse de la qualité de l'air rédigé par la firme Bâtisso. Selon les résultats de cette analyse, les spores de moisissures retrouvées sur les 18 façades [analysées] représentent une flore fongique problématique.
L’analyse de la qualité de l’air d’une unité de condo a démontré une telle contamination que le copropriétaire a dû quitter son logement.

Marie-Josée Leclerc, directrice générale du syndicat de copropriété du Faubourg Boisbriand.
Photo : Radio-Canada
Corriger ou démolir?
Deux scénarios ont été présentés aux propriétaires lors de la rencontre avec les experts, mais aucun des deux ne leur permettra d’éviter de perdre leur propriété, à moins d’engager d'énormes sommes d'argent. À près de trois millions de dollars par bâtiment, le coût de la reconstruction s’élèvera à environ 500 000 $ par copropriétaire. La directrice générale du syndicat de copropriété du Faubourg Boisbriand écarte ce scénario, à moins qu’une aide financière ne soit apportée par le gouvernement. On s'entend que c'est impossible
, dit Marie-Josée Leclerc. Les gens ne pourront pas assumer ça. Ils ne pourront pas payer ça si, évidemment, on n'a pas une aide extérieure.
Des démarches ont déjà été entreprises auprès de leur député, le ministre des Finances, Eric Girard. Pour l'avocat en droit de la copropriété Yves Joli-Cœur, qui déplore l'absence de loi obligeant la surveillance des chantiers de construction, le gouvernement doit s'impliquer financièrement. Il faut se poser la question : pourquoi [cette] situation se présente-t-elle? La première cause, évidemment, c'est qu'on construit mal au Québec. [Il faut] que le gouvernement assume sa responsabilité morale d'un déficit législatif qu'on connaît depuis des décennies au Québec.
L'autre scénario implique la dissolution des deux syndicats, une procédure qui permettra qu’un syndic organise la liquidation des actifs, c'est-à-dire la vente des terrains sur lesquels sont construits les bâtiments. Pour cela, il faut l'approbation de 90 % des copropriétaires. Mais ce n’est pas tout, souligne Yves Joli-Cœur. Il faut également que tous les créanciers hypothécaires soient d'accord avec le processus de liquidation. Est-ce possible juridiquement? Peut-être, mais en termes pratiques, la réponse est non.

Des copropriétaires du Faubourg Boisbriand assistent à une réunion extraordinaire sur l'état de leur complexe immobilier.
Photo : Radio-Canada
Dans tous les cas, ça ne libère pas les copropriétaires de leurs dettes envers leurs créanciers hypothécaires, a rappelé la directrice générale. On parle de personnes nouvellement parties de chez leurs parents, de retraités, des gens qui ont leur fonds de pension. Donc ces gens-là vont tout perdre, ultimement.
Certains envisagent de remettre les clés à la banque, comme Ionescu Laurentiu, qui a acheté son condo en juin 2021 et qui a encore une hypothèque de 320 000 $ à payer. Qu’est-ce que je peux faire? Je me rends malade? La seule option que j'ai, c’est la faillite.
Pour la directrice générale, il n’y a pas d'issue favorable. Il s'offre malheureusement peu de choses. On est dans une impasse. La situation est grave. On est très préoccupés. On parle d'un drame humain à grande échelle.