La ruelle bleu-vert, un projet pilote qui veut faire des petits
Dans le quartier Pointe-Saint-Charles, à Montréal, des citoyens, des organismes communautaires, des urbanistes, des chercheurs et des acteurs municipaux ont uni leurs forces afin de propulser ce projet unique au Québec.

Pascale Rouillé, présidente des Ateliers Ublo, devant un bassin de biorétention en construction le long de la promenade de la future ruelle bleu-vert.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Les deux pieds dans la terre humide du chantier, l'urbaniste Pascale Rouillé peine à prendre pleinement conscience de ce qu'elle a sous les yeux. Le premier projet pilote de ruelle bleu-vert au Québec prend forme. D'ici quelques semaines, les citoyens s'approprieront les lieux après des années d'attente et de mobilisation.
À la jonction des rues Le Ber et Sainte-Madeleine, dans l'arrondissement du Sud-Ouest, le terrain d'une centaine de mètres de longueur est clôturé. Sous un ciel chargé de nuages, les travailleurs s'activent sur le chantier qui doit accueillir les résidents de Pointe-Saint-Charles au cours du mois de mai.
Le site qui longe le Bâtiment 7 – d'anciens ateliers ferroviaires qu'occupent désormais des groupes communautaires – a vu apparaître de nouvelles installations de gestion durable des eaux de pluie depuis sa fermeture, en octobre 2021.
C'est là toute l'idée derrière le concept de ruelle bleu-vert : repenser l'aménagement afin de réorienter les eaux pluviales, qui finissent habituellement dans le réseau municipal, vers des installations vertes accessibles au public.

Le projet pilote de ruelle bleu-vert près du Bâtiment 7, dans Pointe-Saint-Charles, doit permettre d'effectuer une gestion plus écologique des eaux de pluie tout en offrant un espace collectif vert accessible aux citoyens.
Photo : Centre d'écologie urbaine de Montréal
Au Québec, nous avons des milliers de surverses par année, ce qui est vraiment problématique pour nos milieux naturels comme le fleuve Saint-Laurent
, explique Pascale Rouillé, présidente des Ateliers Ublo et membre de l'Alliance Ruelles bleues-vertes. On se demandait quelles sont nos solutions pour limiter ces surverses et ces débordements.
Chaque année, c'est l'équivalent de 1200 piscines olympiques qui déborde et se déverse dans le fleuve, selon le Service de l'eau de la Ville de Montréal. Si aucune modification n'est apportée, la capacité du réseau d'égouts sera en outre réduite de moitié d'ici 2040, ce qui accentuera les problèmes d'inondations de surface dans la métropole.
En 2020, 49 472 débordements ont été recensés au Québec par le ministère de l'Environnement. La majorité d'entre eux sont survenus dans un contexte de pluie (69 %) et de fonte (21 %). En 2019, une année marquée par de fortes précipitations, 57 136 débordements se sont produits.
Détourner l'eau pour décharger le réseau
Au cours de la dernière année, les drains du toit du Bâtiment 7, qui acheminaient les eaux pluviales directement vers les conduites du réseau public, ont été débranchés afin de les détourner vers des ouvrages de biorétention.
Ces bassins, qui possèdent une membrane, permettent de retenir et de traiter l'eau de pluie à l'aide de végétaux choisis pour leurs propriétés d'absorption de grandes quantités d'eau. Celle-ci peut ensuite être réutilisée pour alimenter des infrastructures vertes, comme un jardin de pluie.
Les eaux peuvent aussi être acheminées vers des noues, c'est-à-dire des rigoles végétalisées creusées dans le sol, qui jouent un rôle de filtre naturel.
Tous ces éléments permettront à terme d'alléger la pression sur le réseau municipal, résume Pascale Rouillé.

La ruelle bleu-vert sera accessible au public avant que le projet ne soit totalement finalisé, à compter du mois de mai.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
En plus de contribuer à la résilience des infrastructures face aux inondations, de réduire les débits de pointe dans le réseau et de diminuer le risque de reflux dans les milieux naturels, la ruelle bleu-vert a pour vocation de rapprocher les citoyens de l'eau.
Des dispositifs pédagogiques doivent être installés afin de souligner la présence de l'eau et de la mettre en valeur
, explique Véronique Houle, responsable du développement et des aménagements extérieurs au collectif 7 À Nous, du Bâtiment 7.
Ça se veut aussi un milieu de vie pédagogique, souligne-t-elle. On prévoit d'installer un moulin à eau, des boîtes à eau et un château d'eau, donc un réservoir avec une valve pour que l'eau serve à arroser les plantes, par exemple. Les gouttières seront aussi ouvertes pour qu'on puisse voir l'eau qui s'en écoule.
Le but, c'est de reconnecter avec l'eau et de la rendre vraiment visible le plus longtemps possible.
Les monticules de terre qu'on voit poindre çà et là feront bientôt place à des sentiers bordés d'iris, de verges d'or et de bouleaux, notamment, qui végétaliseront un secteur autrefois minéralisé. L'environnement que l'Alliance Ruelles bleues-vertes a élaboré permettra ainsi d'augmenter la biodiversité et de lutter contre les îlots de chaleur.
Mobilisation citoyenne
Pendant que l'arrondissement s'occupera des arbres, quelque 3000 végétaux, arbustes et graminées indigènes seront plantés en juin par des citoyens volontaires.
Cette répartition des responsabilités est à l'image du projet, où chaque étape, de la conception à la réalisation, a été divisée entre les parties prenantes. Ça aurait pu se passer strictement du côté public ou du côté privé, mais ici, le partage se fait entre les deux
, explique Pascale Rouillé.
Cette mutualisation
, qui a été consacrée dans le cadre d'un accord approuvé la semaine dernière au conseil d'arrondissement du Sud-Ouest, est tout à fait particulière, insiste Véronique Houle.
Fruit d'un long processus, cette entente est une première
, poursuit-elle. Elle détermine les rôles et les responsabilités – aménagement, construction, gestion, entretien – qui incombent respectivement au Bâtiment 7 et à la Ville.
Comment se fait-il que les ouvrages de gestion durable des eaux pluviales prolifèrent ailleurs et qu'on n'en compte qu'une poignée au Québec? Eh bien, le caillou dans la chaussure, on l'a trouvé : c'est le modèle de gouvernance.
Au lieu de déléguer l'essentiel du projet au Service des travaux publics, comme l'aurait voulu la coutume, l'Alliance s'est entourée d'organismes comme le Centre d'écologie urbaine de Montréal et la Société d'habitation populaire de l'Est de Montréal.
Une quarantaine de partenaires, cinq universités et autant de bailleurs de fonds, comme la Fédération canadienne des municipalités, ont aussi poussé à la roue.
En amont des travaux et pendant leur réalisation, des ateliers ont aussi permis de réunir les citoyens et des spécialistes de la ruelle bleu-vert. Ce fut là une occasion de bien vulgariser les divers aspects du projet et de prendre le pouls des résidents de l'arrondissement.

Véronique Houle se réjouit de l'entente de mutualisation conclue avec l'arrondissement du Sud-Ouest, qui précise le partage des rôles et des responsabilités dans la gestion de la ruelle bleu-vert.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
Mme Houle souligne toutefois que la durée des travaux, qui ont pris du retard en raison de problèmes imprévus de contamination des sols, et l'arrivée de la pandémie ont contribué à la démobilisation d'une partie des citoyens. Le chantier, qui devait s'échelonner sur une période de trois à six mois, aura finalement nécessité plus d'un an.
Ce n'est pas vrai qu'on peut garder des gens intéressés dans un projet comme celui-là pendant des années, fait-elle observer. Donc, toute la mobilisation a été à recommencer.
Même si un projet comme celui de la ruelle bleu-vert ne pourrait pas exister sans l'implication du public, il ne peut toutefois pas reposer uniquement sur les épaules des citoyens
, poursuit-elle. C'est ça, le constat.
Tirer des leçons
À l'heure où l'Alliance Ruelles bleues-vertes tire des leçons du projet pilote de Pointe-Saint-Charles, ses membres espèrent que le travail accompli saura inspirer d'autres arrondissements.
Un projet similaire, baptisé la ruelle Turquoise, devait voir le jour dans Mercier–Hochelaga-Maisonneuve, mais les démarches se sont enlisées, faute d'appui et de financement suffisants.

La ruelle bleu-vert prend forme sur le chantier le long de la rue Sainte-Madeleine, dans l'arrondissement du Sud-Ouest.
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
À l'instar des ruelles, les stationnements, les bâtiments municipaux et les places publiques pourraient aussi bénéficier d'une gestion plus écologique des eaux de pluie.
Le processus de mutualisation serait bon à normaliser; c'est un mode opératoire qui pourrait être utile pour des projets comme celui du parc Pierre-Dansereau [aux abords du Campus MIL] ou du watersquare de la place des Fleurs-de-Macadam [sur l'avenue du Mont-Royal]
, suggère Pascale Rouillé.
Il y a déjà des petits, et ça, c'est une victoire!
lance Mme Rouillé, qui espère voir l'initiative se répéter à l'extérieur du giron montréalais.