La Garde côtière exclut la construction d’un brise-glace de recherche
Les huit brise-glaces que prévoit construire le Canada pourront soutenir des missions scientifiques, mais aucun ne sera spécialisé à l'image du NGCC Amundsen.

Le NGCC Amundsen est le seul brise-glace de recherche.
Photo : Radio-Canada / Olivier Bouchard
Seul navire de la Garde côtière canadienne doté d'un mandat de recherche scientifique dans l'Arctique, le NGCC Amundsen ne sera pas spécifiquement remplacé dans l'actuelle Stratégie nationale de construction navale du Canada, compromettant ainsi l'accès des chercheurs aux régions polaires. La communauté universitaire dénonce l'entêtement du fédéral à ne pas lui désigner un successeur et craint « un recul » important de la recherche au pays.
Le NGCC Amundsen est mis à la disposition des chercheurs universitaires depuis 2003 en vertu d'une entente de cogestion du navire avec la Garde côtière. Ils ont ainsi accès à une plateforme unique, munie d'instruments spécialisés leur permettant de mener des expéditions d'envergure dans l'Arctique.
Le brise-glace passera 110 jours consécutifs en mer cet été, un retour à la normale après des saisons écourtées par des travaux de mise à niveau l'an dernier et par la pandémie.
Propriété de la Garde côtière canadienne, le brise-glace construit en 1979 a été reconfiguré pour la recherche au début des années 2000. Il partage depuis son temps entre les opérations de déglaçage en hiver et les expéditions scientifiques durant la saison estivale.
« Un recul »
Amundsen Science, un consortium d'universités canadiennes dont le siège se trouve à l'Université Laval, pilote les activités de recherche menées à bord du navire en collaboration avec différents partenaires, dont le secteur privé.

Le NGCC Amundsen a été construit en 1979 et représente la seule plateforme de recherche arctique de la Garde côtière depuis 2003. (Photo d'archives)
Photo : Radio-Canada / Luc Paradis_Rad
S'il existe une certaine collégialité avec les ministères fédéraux, le calendrier des expéditions d'Amundsen Science ne dépend pas des programmes scientifiques gouvernementaux. Cette liberté a permis aux chercheurs d'ici et de l'étranger de mener des travaux dans l'Arctique pendant plus de 2500 jours depuis l'entrée en vigueur du partenariat.
Cette entente pourrait cependant prendre fin dès la fin de vie utile du NGCC Amundsen, prévue d'ici une quinzaine d'années. Ce serait un recul important
, dénonce Alexandre Forest, directeur général chez Amundsen Science.
Pas d'engagement
Dans sa stratégie pour renouveler ses navires, le Canada prévoit se doter de six brise-glaces de taille moyenne, dits de programme
, et de deux plus gros, de classe polaire.
Si la recherche est mentionnée parmi les usages de l'ensemble des bateaux à construire, aucun n'a été identifié comme relève. Il n'est pas envisagé non plus d'avoir un brise-glace spécialement conçu pour les missions scientifiques comme c'est le cas avec le NGCC Amundsen dans la flotte actuelle.
La Garde côtière canadienne prévoit répartir les missions du programme scientifique actuel du NGCC Amundsen entre plusieurs navires plus récents et plus performants
, peut-on lire dans un courriel acheminé à Radio-Canada.

Alexandre Forest espère que les élus fédéraux entendront le message de la communauté scientifique et exigeront un successeur au brise-glace de recherche NGCC Amundsen.
Photo : Gracieuseté : Amundsen Science
Cette décision, si elle est maintenue, ramènerait le Canada des décennies en arrière
, selon Alexandre Forest, soit dans le même mode de fonctionnement qu'avant la mise en place d'Amundsen Science.
Comme tous les autres bateaux de la Garde côtière, les activités de déglaçage, de recherche et de sauvetage ainsi que le maintien de la souveraineté du Canada dans l'Arctique figureront parmi les priorités. Selon M. Forest, les chercheurs universitaires pourraient donc perdre leur accès privilégié et devoir se contenter des miettes
du temps de navire. Pour mener des programmes d'envergure, avec un soutien technique et logistique complet, ça prend un navire où il y a un espèce de contrôle opérationnel.
S'il se réjouit de la volonté de faire de la recherche à bord des futurs brise-glaces, il doute qu'il soit possible de mener des programmes scientifiques aussi ambitieux, faute de prévisibilité et de mainmise sur le calendrier. Il y aurait de la place, mais ce ne sera jamais de l'envergure des programmes qu'on est capable de déployer sur l'Amundsen
, croit-il.
Il y a un désir apparent de soutenir la recherche [à la Garde côtière], mais je pense qu'il y a une incompréhension quant à la manière dont on souhaite la faire.
M. Forest n'est pas non plus convaincu des capacités offertes par les brise-glaces de programme, dont les équipements scientifiques seront modulaires, c'est-à-dire interchangeables. Ce sont des brise-glaces modulaires, un peu des clones l'un de l'autre. Ce qui manque vraiment, dans le cœur de nos dossiers, c'est le développement et la construction d'un brise-glace de recherche destiné à la science.
Les élus interpellés
Si l'horizon de 15 ans peut sembler lointain, Amundsen Science estime que les décisions pour l'avenir doivent se prendre maintenant.
Ottawa négocie actuellement ses contrats avec le chantier maritime Davie, de Lévis, où les six brise-glaces de programme et un brise-glace polaire doivent être construits. Alexandre Forest dénonce l'absence de la communauté universitaire à la table, notamment pour conseiller le gouvernement sur le design et les équipements requis.
Les craintes soulevées par Amundsen Science ne sont par ailleurs pas nouvelles. En plus de cinq ans de démarches, et malgré des avis et des rapports remis aux autorités fédérales, l'organisation n'est pas parvenue à se faire entendre par la Garde côtière.

Le NGCC Amundsen contient des équipements scientifiques spécialisés qui en font une plateforme de recherche unique au pays.
Photo : Radio-Canada / Olivier Bouchard
Il y a six ans, le regretté directeur scientifique d'Amundsen Science, Louis Fortier, réclamait la construction d'un brise-glace de recherche le plus rapidement possible. Craignant les coûts de construction au Canada et d'éventuels retards dans le processus d'acquisition du gouvernement, il avait proposé de faire construire un brise-glace à l'étranger, sans succès.
Malgré ses sorties répétées, la communauté scientifique n'a pas réussi à faire pencher la balance en sa faveur.
Alexandre Forest s'en remet désormais aux élus fédéraux, dont le député de Québec Jean-Yves Duclos, et espère une intervention pour convaincre la Garde côtière canadienne de pérenniser le modèle d'Amundsen Science.
Aucun élu fédéral n'a accepté de commenter le dossier à Radio-Canada.
Pas d'inquiétude, selon la Garde côtière
La Garde côtière canadienne ne semble pas s'inquiéter outre mesure de son partenariat avec la communauté universitaire. Selon elle, la capacité globale de la future flotte de navires se rendant dans l'Arctique sera nettement supérieure et plus souple pour répondre aux besoins
du programme Amundsen Science.
Par courriel, la Garde côtière ajoute qu'elle sera bien placée pour continuer à fournir un soutien complet à la mission scientifique [d'Amundsen Science] lorsque le NGCC Amundsen sera définitivement mis hors service
.
Parmi tous les navires qui seront construits au cours des prochaines années, selon un échéancier et des coûts encore inconnus, les deux brise-glaces polaires risquent d'assumer la plupart des missions scientifiques, précise-t-on. Ces nouveaux navires auront davantage de capacités pour soutenir la recherche scientifique.