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Enquête

Pont Pierre-Laporte : des travailleurs exposés au plomb sans protection

Le MTQ a octroyé un contrat d'urgence en 2022 pour consolider des suspentes et assurer la sécurité du lien principal entre Québec et Lévis.

120 000 automobilistes utilisent le pont Pierre-Laporte chaque jour.

Le pont Pierre-Laporte est le lien principal entre Québec et Lévis.

Photo : Radio-Canada / Marc-Antoine Lavoie

Les travaux de remplacement et de consolidation des suspentes du pont Pierre-Laporte, à Québec, ont été interrompus pendant plusieurs semaines après qu’un entrepreneur eut découvert de fortes concentrations de plomb. Le ministère des Transports du Québec (MTQ) assure pourtant depuis des années qu'il n'y en a pas, a découvert l’émission Enquête.

Un travailleur d’expérience qui œuvre sur le chantier du pont comme sous-traitant aurait soulevé de sérieux doutes en janvier dernier quant à la présence de plomb lorsqu’il a remarqué une couleur orange sur une des suspentes, ces câbles verticaux qui relient les deux câbles porteurs au tablier du pont.

L’entrepreneur responsable des travaux de consolidation des suspentes, Pomerleau, aurait voulu en avoir le cœur net, selon nos informations, et a fait analyser un échantillon prélevé sur la suspente en question. Les résultats ont révélé qu’une peinture recouvrant les suspentes du pont contient 440 fois plus de plomb que la limite prescrite par les règlements en vigueur sur la teneur en plomb dans les peintures.

Il s’agit d’une information importante dans un contexte de travaux, puisque la présence de plomb dans la peinture représente un risque pour la santé des travailleurs lorsqu’elle est mise en poussière. Des mesures de sécurité sont donc nécessaires pour assurer leur sécurité, dont le port de vêtements spéciaux et d’un équipement de protection respiratoire.

Une suspente du pont Pierre-Laporte.

Il y a 160 suspentes sur le pont Pierre-Laporte. Chaque suspente est composée de deux câbles d'acier verticaux qui relient les deux immenses câbles porteurs au tablier du pont.

Photo : Radio-Canada / Marc-Antoine Lavoie

Du moment qu'on demande à un travailleur de faire des travaux susceptibles de générer l'émission de poussières ou des résidus de plomb, des mesures de protection sont nécessaires. Que ce soit pour une petite ou une grosse surface, les mesures pour protéger les travailleurs sont les mêmes, explique une source au fait du dossier.

Alerté par Pomerleau, le MTQ a fait faire ses propres analyses qui ont donné des résultats similaires, selon nos informations.

Des câbles d'acier verticaux reliant les câbles porteurs et le tablier d'un pont.

Des interventions sont nécessaires sur certaines suspentes afin d'assurer la sécurité du pont Pierre-Laporte en attendant le remplacement complet des câbles.

Photo : Radio-Canada

Dès qu'on a suspecté cette présence-là [de plomb], les travaux ont été arrêtés, affirme la porte-parole du ministère des Transports, Émilie Lord.

L’ensemble des travaux qui étaient en cours sur le pont ont été mis sur pause pendant plusieurs semaines, soit du 21 février au 6 avril. Quelques jours après avoir été interpellé à ce sujet par Enquête, le MTQ a annoncé la reprise des travaux préventifs sur les suspentes par voie de communiqué. Il indiquait que les travaux ont dû être arrêtés à la suite d'enjeux en matière de santé et de sécurité pour les travailleurs.

Le ministère estime qu’entre 50 et 60 travailleurs auraient pu être exposés au plomb dans le cadre des travaux actuels. On leur a offert de faire des prélèvements sanguins pour faire des tests pour savoir quel a été le niveau d'exposition. On est toujours en attente des résultats , précise Mme Lord du MTQ.

Une femme aux cheveux blonds debout devant un pont.

Émilie Lord, porte-parole du ministère des Transports du Québec

Photo : Radio-Canada

La Direction de santé publique du Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de Chaudière-Appalaches dit avoir été informée de la situation sur le chantier du pont Pierre-Laporte au début du mois de mars 2023. Par courriel, le CISSS explique que l’équipe de la santé publique a procédé à une enquête épidémiologique afin de recueillir tous les éléments nécessaires à l’analyse de la situation.

Le MTQ dit d’ailleurs collaborer avec les autorités de santé publique ainsi que la Commission des normes de l’équité, de la santé et de la sécurité au travail (CNESST) et pour élaborer un plan d'action afin de reprendre les travaux sur le pont dans un environnement sécuritaire pour les travailleurs.

De son côté, la CNESST assure qu’elle va continuer à suivre le dossier de près dès la reprise des travaux.

Le MTQ doit aussi prévoir des procédures pour gérer adéquatement les résidus de plomb générés par les travaux sur les suspentes puisqu’ils sont considérés comme des matières dangereuses.

À la suite des révélations de l’émission Enquête sur l’état du pont Pierre-Laporte, en juin 2022, le ministre des Transports de l’époque, François Bonnardel, a annoncé l’accélération du remplacement complet des suspentes.

Une page tirée d'un rapport.

On peut apercevoir des fils visibles d'acier qui sont cassés à la page 43 du rapport produit par le MTQ et mis au jour par l'émission Enquête en juin 2022 révélant que les suspentes du pont Pierre-Laporte sont de moins en moins résistantes.

Photo : Radio-Canada

Lors de la diffusion du reportage, le MTQ prévoyait étaler le remplacement de toutes les suspentes sur 15 ans alors qu’il estime aujourd’hui qu’il pourrait y arriver d’ici 6 ans. À ce jour, il y a toujours seulement 15 des 160 suspentes qui ont été remplacées depuis la construction du pont Pierre-Laporte en 1970.

En attendant le remplacement complet, des interventions d’urgence doivent être réalisées sur une quarantaine de suspentes au total afin d’assurer la sécurité du pont. Des contrats ont ainsi été octroyés à deux entrepreneurs, soit Pomerleau et Stellaire Construction.

Le ministère des Transports a signé un contrat de gré à gré de 8 millions de dollars avec Pomerleau pour consolider 28 suspentes. La consolidation était complétée ou sur le point de l’être sur environ 25 d’entre elles avant que le chantier soit mis sur pause après la découverte de plomb. L’entrepreneur n’a pas souhaité commenter nos révélations et nous a renvoyés au MTQ.

Une structure d'acier attachée sur la structure d'un pont.

La consolidation des suspentes est une solution temporaire qui consiste à installer des éléments d'acier à la base des câbles et ainsi soulager la partie la plus endommagée. Cette structure reste en place jusqu'au remplacement de la suspente.

Photo : Source confidentielle

Pour sa part, Stellaire Construction devait installer des supports temporaires sur 20 suspentes. Les travaux étaient exécutés à 50 % avant l’arrêt du chantier en février.

Dans un échange de courriels, Stellaire Construction nous a mentionné que la présence de poussière de plomb n’implique pas ses travailleurs compte tenu de la nature des travaux.

Découverte surprenante

La découverte de plomb sur les suspentes du pont Pierre-Laporte en a surpris plusieurs, d’après nos sources, puisque le MTQ avait assuré à plusieurs reprises au cours des dernières années qu’il n’y en avait pas.

Enquête a consulté divers documents démontrant que dès 2020, le MTQ a été questionné par l’entrepreneur Pomerleau sur la présence de plomb en vue de l’exécution du contrat de peinture et de métallisation du pont Pierre-Laporte.

L’ingénieur du MTQ à la tête de l’équipe qui était jusqu’à tout récemment responsable de la gestion, la planification des travaux et les inspections du pont, Christian Mercier, indiquait alors qu’il n’y a pas de plomb dans le revêtement existant du pont, peut-on lire dans un compte-rendu de réunion.

Christian Mercier répond aux questions de la journaliste Marie-Pier Bouchard.

Christian Mercier est coordonnateur en structures majeures à la direction territoriale de Chaudière-Appalaches pour le ministère des Transports du Québec.

Photo : Radio-Canada

Deux ans plus tard, en 2022, l’entrepreneur reçoit un devis préliminaire de la part du ministère pour un autre contrat, celui pour la consolidation des 28 suspentes, dans lequel on peut lire que les surfaces en acier existantes sont recouvertes d’un système de peinture pouvant contenir du plomb ou du chrome.

Pomerleau demande alors au MTQ de confirmer cette information qui n’avait pas été signalée en 2020 pour l’autre projet. L’ingénieur Christian Mercier étant absent, c’est sa collègue Ingrid Bergeron qui rassure de nouveau l’entrepreneur en répondant que la section sur le plomb ne serait pas dans le devis final.

En consultant le devis final, on peut lire ceci : Les suspentes du pont Pierre-Laporte sont recouvertes d’un système de revêtement de protection ne contenant ni plomb ni chrome.

Photographie en contreplongée d’un câble dont plusieurs brins sont cassés

Les brins cassés et la corrosion des suspentes peuvent « réduire de façon appréciable la capacité [de ces dernières] à supporter les charges ».

Photo : Ministère des Transports du Québec

Nous avons contacté les deux ingénieurs du Ministère qui sont concernés, Christian Mercier et Ingrid Bergeron, mais ils n’ont pas donné suite à nos demandes.

Le MTQ savait pour le plomb

La porte-parole du MTQ fait valoir que depuis 2005, les suspentes du pont Pierre-Laporte sont recouvertes d’une peinture au zinc. C'est pour ça qu'on peut dire que les suspentes n'ont pas de plomb de manière directe [...] Le revêtement faisait en sorte que le plomb n'était pas exposé.

Émilie Lord admet que le MTQ savait qu’il y avait du plomb sous ce revêtement de zinc, mais explique que la nature des travaux à réaliser ne laissait pas croire qu’il pourrait y avoir un contact avec le plomb. Rien ne nous indiquait que le revêtement actuel de zinc sur les suspentes pouvait être mis à découvert.

Or, le MTQ précise dans ses propres directives qu’il faut enlever toute la peinture sur une partie des câbles de suspentes avant d’installer le système de consolidation. Les surfaces entre la structure existante et la console d’ancrage ne doivent pas être peinturées, lit-on dans le devis.

La consolidation des suspentes consiste à attacher un système que l’on pourrait comparer à une grosse pince permettant de soulager la tension à la base des câbles, soit la partie la plus endommagée et vulnérable. Il s’agit d’une solution temporaire en attendant le remplacement complet des suspentes du pont Pierre-Laporte.

Un fil d'acier montre des signes de rouille.

Les fils jaunes de ce câble de suspente du pont Pierre-Laporte montrent des brins d'acier cassés. Il s'agit de la partie de la suspente située près des culots d'ancrage, qui se trouvent sous le tablier du pont.

Photo : MTQ

L’automne dernier, les travaux de consolidation avaient aussi été suspendus pendant plusieurs semaines lorsque des doutes ont été soulevés sur la capacité des suspentes à supporter le poids des plateformes installées sous le tablier du pont pour les travaux de peinture et de métallisation.

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