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Loi sur les mesures d’urgence : un recours infondé, selon des groupes de libertés civiles

Le gouvernement fédéral n'avait pas, selon eux, de motifs statutaires solides pour utiliser la loi afin de mettre fin à l'occupation d'Ottawa.

La police face à des manifestants dont certains ont campé dans leurs camions près de la colline du Parlement.

Plus de 190 manifestants ont été arrêtés et près de 400 accusations ont été déposées contre une centaine de personnes lorsque les autorités ont mis fin à l'occupation du centre-ville d'Ottawa en février 2022.

Photo : Evan Mitsui / CBC

À Ottawa, au deuxième jour des audiences, un autre groupe de libertés civiles soutient devant les tribunaux que le gouvernement fédéral a agi de façon déraisonnable et injustifiée en invoquant la Loi sur les mesures d'urgence en février 2022, pour mettre un terme au siège dans la capitale nationale.

Après l'Association canadienne des libertés civiles, c'était au tour de la Canadian Constitution Foundation de présenter ses arguments au sujet de la législation controversée.

Les avocats de la Canadian Constitution Foundation ont soutenu, mardi, en cour fédérale, que le gouvernement n'avait pas rempli les deux conditions essentielles pour utiliser la Loi sur les mesures d'urgence pour mettre fin à l'occupation du centre-ville d'Ottawa et aux barricades à des postes-frontières au pays.

Un manifestant perché sur un camion brandit un drapeau.

L'occupation du centre-ville d'Ottawa s'est déroulée du 29 janvier au 20 février 2022.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

L'existence de menaces à la sécurité du Canada et la gravité d'une urgence nationale constituent les deux conditions rigoureuses à réunir pour appliquer la loi.

À l'époque, une manifestation de camionneurs qui s'opposaient aux mesures sanitaires contre la COVID-19 avait attiré des manifestants qui nourrissaient une variété de griefs contre le premier ministre Justin Trudeau.

L'occupation du centre-ville de la capitale fédérale avait obligé des commerçants à fermer boutique pendant que de nombreux résidents se plaignaient du bruit, de la pollution et du harcèlement de la part de certains protestataires.

Un homme monté sur un camion crie à la foule.

L'occupation du centre-ville d'Ottawa avait réuni des manifestants de tous les horizons.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Le gouvernement fédéral avait alors eu recours, le 14 février 2022, à cette loi inédite qui a permis d'interdire des assemblées en public et des déplacements dans le but d'assister à de telles assemblées, de contenir des réunions dans des lieux sécuritaires bien définis et de geler des comptes bancaires.

L'avocat de la Canadian Constitution Foundation, Sujit Choudhry, affirme que le recours à la loi ne repose sur aucune preuve selon laquelle la situation était devenue incontrôlable au point de représenter une menace à la sécurité publique et nationale.

Des manifestants devant le Parlement.

Des partisans du convoi dit de la liberté sur la colline du Parlement à Ottawa en février 2022.

Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers

Me Choudhry soutient que le gouvernement avait pourtant d'autres outils à sa disposition pour agir et que la loi sur les mesures d'urgence doit être considérée comme une arme de dernier recours.

Il ajoute que la législation avait une portée si large qu'elle visait autant les camionneurs bruyants et les manifestants pacifiques que ceux qui leur apportaient tous les jours eau, nourriture et couvertures.

Il reconnaît que le Cabinet est l'organe de l'exécutif qui prend en dernier lieu les décisions, mais il n'empêche qu'il est, selon lui, soumis à des contraintes telles que celles prescrites par la charte.

Or, le Cabinet n'a pas réussi dans son analyse à montrer que les forces de police ne pouvaient pas faire leur travail durant ces trois semaines de manifestation, dit-il.

Position du demandeur

C'est l'Association canadienne des libertés civiles (ACLC) qui mène la charge contre le gouvernement fédéral dans cette cause.

Ses avocats ont affirmé lundi que la manifestation d'Ottawa n'a en aucun cas représenté une menace à la sécurité nationale comme le soutenait le gouvernement au sens de la définition retenue dans la Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité.

Définition de la menace à la sécurité

Constituent des menaces envers la sécurité du Canada les activités suivantes :

a) l’espionnage ou le sabotage visant le Canada ou qui est préjudiciable à ses intérêts;

b) les activités influencées par l’étranger préjudiciables aux intérêts du Canada, et qui sont d’une nature clandestine ou trompeuse ou comportent des menaces envers quiconque;

c) les activités qui favorisent l’usage de la violence grave ou de menaces de violence dans le but d’atteindre un objectif politique, religieux ou idéologique au Canada;

d) les activités qui visent à saper un gouvernement constitutionnellement établi ou dont le but immédiat ou ultime est son renversement par la violence.

Source : Loi sur le Service canadien du renseignement de sécurité

Selon l'avocate Ewa Krajewska, il n'existait donc aucune urgence nationale d'agir comme le gouvernement l'a fait.

La Loi ne permettait pas au gouvernement de proclamer une situation d'urgence sur la base de revendications nébuleuses ou de pressions indues concernant l'instabilité économique et le commerce international, ou sur la base d'un sentiment d'agitation générale ou de dons étrangers à une cause, explique-t-elle.

L'avocate soutient que le gouvernement ne pouvait justifier une urgence d'envergure nationale pour évoquer la loi, même en présence d'un petit groupe d'individus dangereux dans un endroit donné.

Gros plan sur la Charte canadienne des droits et libertés.

L'Association canadienne des libertés civiles soutient qu'il était injustifié de recourir à la Loi sur les mesures d'urgence.

Photo : Radio-Canada / David Horemans

Le règlement sur les mesures d'urgence et le décret sur les mesures économiques d'urgence que le Cabinet avait introduits par proclamation n'ont par ailleurs pu faire l'objet, selon Me Krajewska, d'un examen minutieux en vertu de diverses dispositions de la charte.

L'avocate cite notamment les libertés d'association et d'expression, mais aussi les droits en cas d'arrestation arbitraire, de fouilles ou de saisies abusives, ou encore l'égalité devant la loi sans discrimination.

Tous ces droits et libertés ont, selon elle, été enfreints par le recours à la loi extraordinaire. Les violations à la Constitution ne peuvent être justifiées en vertu de l'article 1 de la charte, conclut-elle.

Article 1 de la charte

La Charte canadienne des droits et libertés garantit les droits et libertés qui y sont énoncés. Ils ne peuvent être restreints que par une règle de droit, dans des limites qui soient raisonnables et dont la justification puisse se démontrer dans le cadre d’une société libre et démocratique.

Outre l'ACLC et la Canadian Constitution Foundation, plusieurs citoyens contestent l'utilisation de la législation ainsi que le groupe Canadian Frontline Nurses.

Tous soutiennent que ces audiences sont déterminantes pour orienter le gouvernement à l'avenir si jamais pareille situation devait se reproduire.

La position commune de tous ces groupes tranche en revanche avec la conclusion de la Commission d'enquête sur l’état d’urgence, qui a confirmé, le 17 février 2023, que la décision du gouvernement d'invoquer la Loi sur les mesures d’urgence était bien appropriée.

Position du défenseur

Les avocats du gouvernement fédéral ont d'abord tenté, en vain, de faire échouer les audiences en affirmant que la cause était devenue caduque avec la révocation, il y a plus d'un an, de la législation extraordinaire.

Ils font en outre valoir que la législation n'a eu force de loi que durant 9 jours et qu'elle était nécessaire pour rétablir l'ordre et rouvrir en toute sécurité l'accès à des passages frontaliers qui étaient bloqués, comme au pont Ambassador de Windsor.

Une vue large de l'un des convois qui bloquent l'accès au pont Ambassador. Plusieurs unifoliés flottent au vent.

Le pont Ambassador entre Windsor et Détroit est le principal point de passage entre le Canada et les États-Unis.

Photo : Getty Images / Cole Burston

Le Cabinet a rempli, selon eux, tous les critères pour appliquer la loi, puisqu'il existait des motifs raisonnables pour déclarer une urgence à l'ordre public en vertu de l'alinéa 17 de la Loi sur les mesures d'urgence.

Alinéa 17 sur la proclamation de l'état d'urgence

Le gouverneur en conseil peut par proclamation, s’il croit, pour des motifs raisonnables, qu’il se produit un état d’urgence justifiant en l’occurrence des mesures extraordinaires à titre temporaire et après avoir procédé aux consultations prévues par l’article 25, faire une déclaration à cet effet.

Source : Gouvernement du Canada

Les mesures prises pour faire face à une situation d'urgence pancanadienne étaient ciblées, proportionnelles, limitées dans le temps et conformes à la Charte des droits et libertés, disent-ils.

Les avocats précisent que la déclaration de l'état d'urgence était subtilement équilibrée et fondée sur de vastes considérations de politique et d'intérêt public.

Le juge Paul Rouleau.

Le juge Paul Rouleau a présidé en février 2023 la Commission d'enquête sur l'état d'urgence.

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

Sur la base des informations disponibles à l'époque, le Cabinet a jugé, pour des motifs raisonnables, qu'une menace à l'ordre public existait et qu'elle nécessitait l'adoption de mesures spéciales temporaires pour faire face à l'urgence, poursuivent-ils.

Ils ajoutent que la loi a permis aux corps de police de faire leur travail de façon adéquate, d'agir rapidement et de façon sécuritaire et de reprendre le contrôle de la situation dans la capitale et aux postes-frontières.

Ils demandent donc au juge Richard Mosley de rejeter la demande de révision judiciaire des demandeurs.

Ils précisent en outre qu'il ne revient pas aux tribunaux de se mettre à la place des dirigeants, mais plutôt de statuer si la décision de l'exécutif de recourir à la loi dans le contexte de l'époque était bien fondé légalement.

Les avocats du gouvernement finiront de présenter leurs arguments mercredi.

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