•  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
  •  
Analyse

L’inculpation de Donald Trump : de nombreux précédents dans le monde démocratique

Donald Trump.

L'inculpation de Donald Trump n'est pas sans précédent dans le monde démocratique, analyse François Brousseau.

Photo : Getty Images / AFP/Saul Loeb

« République de bananes! » ont tonné les partisans de Donald Trump après son inculpation par la justice de l’État de New York. Selon l’ex-président et ses nombreux soutiens, seul un tel régime, animé par une passion vengeresse et ultra-partisane, peut oser accuser et condamner un ex-président comme lui, dans un État qui se prétend démocratique.

Pour tester la véracité de cette accusation – à savoir que les États-Unis seraient une exception maléfique dans le monde démocratique, puisque seules les républiques de bananes peuvent faire de telles choses –, il est intéressant de regarder les précédents semblables à cette inculpation, ailleurs dans le monde.

Le cas des dictatures

On ne parle pas ici de ce qu’il advient d’un dictateur après qu’il a été renversé et emprisonné – ou exécuté… souvent par un autre dictateur! –, mais bien de présidents ou de présidentes démocratiquement élus, ayant perdu le pouvoir à la suite d’une élection, et traînés ensuite en justice, par exemple pour corruption ou abus de pouvoir.

Si l’on tentait de dresser la liste des dictateurs renversés et capturés, puis condamnés, souvent de façon expéditive, par le régime d’après, on n’en aurait pas fini. On pourrait citer une foule d'exemples de l’Antiquité jusqu’aux douzaines de dictateurs latino-américains des 19e et 20e siècles jetés en prison par leurs successeurs avant, dans certains cas, de revenir au pouvoir, tels le général Alcazar et le général Tapioca qui se renversent et se remplacent périodiquement dans les aventures de Tintin.

Une statue de Saddam Hussein tombe devant le regard d'un soldat.

Des civils irakiens et des soldats américains retirent une statue de Saddam Hussein au centre-ville de Bagdad le 9 avril 2003. (Photo d'archives)

Photo : Associated Press / Jerome Delay

Au cours des périodes postdictature, il y a plusieurs cas de figure, plus ou moins démocratiques et stables, selon les cas. En Irak, Saddam Hussein, renversé par l’envahisseur américain, sera jugé puis exécuté par la justice de son pays sous l'occupation des États-Unis. Le résultat, après 20 ans de massacres et de drames, est un pays instable, à la démocratie incertaine.

En Serbie, aujourd’hui considérée comme un pays démocratique, l’ex-président Slobodan Milosevic, renversé en 2000 par un soulèvement intérieur, sera jugé par la justice internationale à La Haye, où il mourra en captivité en 2006 sans avoir reçu son verdict.

Aux Philippines, le renversement du dictateur Ferdinand Marcos, en 1986, qui prend la fuite sans être jugé, aboutira au rétablissement d’une démocratie. Mais avec la persistance de tendances dynastiques : de grandes familles se partagent le pouvoir, tout en se soumettant périodiquement au verdict des urnes.

Résultat : en 2022, le nouveau président élu démocratiquement est un dénommé Ferdinand Marcos junior, lointain successeur de son papa, déchu 35 ans plus tôt. La revanche démocratique du fils de dictateur.

De plus en plus d’États poursuivent leurs anciens dirigeants

En limitant le regard au monde démocratique – avec des élections libres, une division des pouvoirs et une justice indépendante (reconnue comme telle) sans putschs ni guerres à l’horizon –, que trouve-t-on en fait d’ex-hauts dirigeants poursuivis et condamnés?

Eh bien, que contrairement à l’affirmation des trumpistes en colère, les États démocratiques font de telles choses, et de plus en plus. Au 21e siècle, les condamnations d’anciens chefs d’État ou de gouvernements, populistes ou non, sont devenues relativement courantes dans de nombreuses démocraties.

Donald Trump qui descend d'une scène, les poings fermés, devant une foule.

Donald Trump lors de son premier rassemblement politique pour sa campagne présidentielle de 2024. (Photo d'archives)

Photo : Getty Images / Brandon Bell

Citons, en rafale, des pays où on a vu de telles condamnations au cours des 20 dernières d’années : Italie, France, Corée du Sud, Argentine, Brésil, Pérou, Afrique du Sud, Israël, Pakistan.

En remontant un peu plus loin, jusqu’aux dernières décennies du 20e siècle, on peut aussi inclure le Japon dans cette liste, avec la condamnation en 1983 de l’ancien premier ministre Kakuei Tanaka, qui avait reçu des millions en pots-de-vin de la compagnie Lockheed Aircraft. Mais à l’époque, de telles condamnations étaient rares.

Aux États-Unis, le scandale du Watergate (1972-1974), s’il a abouti à la démission forcée du président Richard Nixon (alors qu’une procédure de destitution s’amorçait), n’a jamais mené à un procès ou à une condamnation, du fait du pardon accordé à Nixon par son successeur, Gerald Ford.

Dans l’actualité immédiate : Israël et Pakistan

Dans l’actualité la plus récente, il y a Israël. Bien que, dans ce cas, la condamnation n’ait pas (encore) eu lieu. Benyamin Nétanyahou est premier ministre en exercice depuis 2009, bien qu'il soit brièvement devenu un ex en 2021 avant de revenir au pouvoir, fin 2022.

La particularité, ici, c’est que ce chef de gouvernement est, depuis plusieurs années déjà, mis en cause par la justice (en l’occurrence dans trois procès pour trafic d’influence et corruption depuis 2020), sans être obligé légalement de démissionner ni se sentir moralement tenu de le faire.

Au contraire, Nétanyahou, revenu au pouvoir il y a trois mois, a demandé à ses ministres de changer le régime judiciaire à son profit, avec l’affaiblissement de la Cour suprême et la politisation de la nomination des juges. Cette tentative non aboutie est aujourd’hui en suspens, après les manifestations monstres d’une bonne partie de la société israélienne contre lui.

Des milliers de manifestants à Tel-Aviv samedi.

Une vue aérienne montre à Tel-Aviv des milliers de personnes qui manifestent contre la réforme judiciaire dont le ministre de la Défense réclame la suspension. (Photo d'archives)

Photo : Reuters / OREN ALON

Maintenant, on pourrait demander à Donald Trump s’il pense qu’Israël est une république de bananes.

Il y a aussi le cas tout récent d’Imran Khan, ex-premier ministre du Pakistan, destitué par le Parlement il y a exactement un an. Le 18 mars, accusé de corruption, il s’est présenté devant la justice alors que ses partisans manifestaient par dizaines de milliers, à Islamabad. Certains voulaient empêcher physiquement la police d’appréhender leur héros.

La démocratie la plus portée à arrêter et à condamner d'anciens dirigeants est sans conteste la Corée du Sud : on y a jugé et condamné pas moins de cinq anciens présidents depuis la fin des années 1990, sans compter un sixième qui s'est suicidé en 2009, à l'époque où il faisait l'objet d'une enquête pour corruption.

Le successeur de ce président avait été à son tour condamné à 17 ans de prison pour corruption. Et la présidente suivante, Park Geun-hye, qui a assumé ses fonctions de 2013 à 2017, a été condamnée à un total de 25 ans de prison pour corruption et abus de pouvoir. Cependant, la plupart de ces condamnés ont bénéficié de grâces présidentielles subséquentes, après une, deux ou trois années de réclusion. Solidarité des présidents de gauche et de droite!

Toutefois, au Pérou, l’ex-chef d’État Alberto Fujimori – un président putschiste, il est vrai, bien qu’il eût dans un premier temps gagné honnêtement des élections, au début des années 1990 – n’a pas eu cette chance, puisqu’il purge toujours une peine de 25 ans pour répressions sanglantes, meurtres, enlèvements et détournement de fonds durant sa décennie au pouvoir.

France et Italie

Nicolas Sarkozy marche dans les couloirs du palais de justice.

Nicolas Sarkozy, qui a été président de la France de 2007 à 2012, a été condamné à trois ans de prison, dont deux avec sursis. (Photo d'archives)

Photo : Reuters / GONZALO FUENTES

Plus près de nous, il y a l’Europe. On pense à des personnages comme l’ancien président français Nicolas Sarkozy et l’ancien premier ministre italien Silvio Berlusconi.

Depuis un quart de siècle, les pouvoirs judiciaires en France et en Italie ont commencé à s’attaquer aux politiciens du plus haut rang, qui étaient auparavant hors de portée, même si la justice dans ces pays libéraux, pluralistes et démocratiques était officiellement indépendante, théoriquement habilitée à de telles poursuites.

Mais ce n’était pas encore dans les mœurs.

Berlusconi a été condamné deux fois, en 2011 et en 2012 : pour une incitation à la débauche avec une prostituée mineure, et pour un conflit d’intérêts avec ses affaires privées.

Résultat des procès : plusieurs années d’emprisonnement… sur papier, puisque Berlusconi n’aura eu à subir, finalement, que quelques mois de liberté surveillée. Octogénaire avancé, le personnage est revenu en politique après 2020, même si c’est dans un rôle mineur, à l’ombre de Giorgia Meloni, l’actuelle première ministre nationaliste de droite.

Giorgia Meloni entre Silvio Berlusconi (à gauche) et Matteo Salvini (à droite).

Giorgia Meloni entre Silvio Berlusconi (à gauche) et Matteo Salvini (à droite). (Photo d'archives)

Photo : Getty Images / Antonio Masiello

Et puis, il y a Nicolas Sarkozy, président de la France de 2007 à 2012, mis en cause dans une foule d’histoires – corruption, financement illégal de parti politique, trafic d’influence. Une de ces affaires a abouti, en 2021, à une condamnation à un an de prison, une peine purgée à la maison, avec quelques limitations à sa liberté.

Politisation de la justice?

Dans de tels cas, un peu comme Donald Trump aujourd’hui, les condamnés ont parlé de politisation de la justice.

Ces accusations de politisation sont-elles fondées?

Dans certains cas, oui. En Italie, les juges et les procureurs penchant à gauche, à partir des années 1990 avec la campagne Mani Pulite, se sont senti pousser des ailes, avec un sens de la mission qui pouvait être, parfois, politiquement motivé.

Mais il y a aussi, comme dans le cas de Jacques Chirac, ancien président français et ex-maire de Paris, condamné pour des emplois fictifs donnés aux copains, le fait que certains délits tolérés dans le monde politique avant Chirac étaient devenus plus tard inacceptables.

L'ex-président brésilien Lula en compagnie de partisans.

Après une première tentative infructueuse, l'ex-président Lula a réussi à se rendre aux autorités pour commencer à purger sa peine. (Photo d'archives)

Photo : Reuters

Un mot pour finir sur le Brésil, où l’actuel président, Lula da Silva, a passé plus d’un an et demi en prison (2018-2019), pour des histoires où on a pu prouver que certains juges plénipotentiaires étaient en pleine vendetta politique. On pense à Sergio Moro, ennemi juré de Lula, qui ensuite fera de la politique aux côtés de l’ex-président Jair Bolsonaro.

Et aujourd’hui, au moment même où Bolsonaro, battu par Lula en octobre dernier, rentre au Brésil, il a devant lui au moins six affaires qui pourraient mener à des procès. Avec, entre autres, une possible inculpation pour négligence criminelle et non-assistance à personnes en danger, relative à sa gestion chaotique de la pandémie.

Alors non, ce qui arrive présentement à Donald Trump n’est absolument pas sans précédent ailleurs dans le monde démocratique. Depuis un quart de siècle, et de plus en plus, de telles poursuites font partie du paysage politique dans bon nombre de pays, aux traditions les plus diverses.

Vos commentaires

Veuillez noter que Radio-Canada ne cautionne pas les opinions exprimées. Vos commentaires seront modérés, et publiés s’ils respectent la nétiquette. Bonne discussion !

En cours de chargement...