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Analyse

Le gouvernement Trudeau dépense-t-il trop?

Chrystia Freeland porte une pile de documents à la Chambre des communes.

La ministre des Finances, Chrystia Freeland, a présenté son plus récent budget en début de semaine.

Photo : La Presse canadienne / Sean Kilpatrick

Il y a un peu plus d’un an encore, Justin Trudeau et quantité d’autres acteurs économiques et politiques du monde affirmaient qu’il était tout à fait convenable d’emprunter massivement pour aider la population et investir dans l’économie de demain. Les taux d’intérêt étaient proches de zéro et l’endettement était considéré comme un levier puissant pour stimuler la croissance. Ce temps est révolu, mais la ministre Freeland a-t-elle reçu le message?

Il n’est plus possible de considérer l’endettement comme un choix politique raisonnable, avec les taux d’intérêt qui ont fortement augmenté au cours de la dernière année. Pourtant, à un moment où de nombreux analystes réclament une réduction importante de la croissance des dépenses à Ottawa, le gouvernement Trudeau vient d’annoncer pour 43 milliards de dollars de nouvelles initiatives au cours des six prochaines années dans le budget présenté mardi dernier.

Les déficits prévus seront plus importants que ceux projetés dans l’énoncé économique de novembre. Le dernier budget prévoit 175 milliards de dollars de déficits d’ici 2027-2028, alors que l’énoncé projetait un déficit net de 106 milliards de dollars avec un retour à des surplus en 2027-2028.

La dette fédérale va augmenter de 40 milliards de dollars cette année pour atteindre 1221 milliards. Elle était à 721 milliards au début de la pandémie. Depuis, la hausse est de 500 milliards très exactement, soit de 69 %.

Toutefois, ce sont surtout les frais de la dette publique qui augmentent rapidement. Ils sont passés de 24,5 milliards en 2021-2022 à 34,5 milliards en 2022-23. Ils atteindront presque 44 milliards en 2023-24. C’est une hausse phénoménale de 79 % en deux ans seulement. Et force est de constater que la hausse des frais représente une bonne partie du déficit budgétaire.

La dette du Canada, faut-il le rappeler, est parmi les plus basses du monde. Et la situation financière du pays est stable, pour reprendre le mot choisi par la ministre des Finances Chrystia Freeland en entrevue à Zone économie mardi soir. De plus, rien ne semble pouvoir ébranler la cote de AAA du Canada donnée par les agences de notation.

Prudence? Quelle prudence?

N’empêche, des économistes commencent à s’interroger sur la soutenabilité de cette dette. Et la ministre ne peut pas dire que son budget est prudent alors que les dépenses de programmes seront de 51 % plus élevées en 2028 par rapport au niveau d’avant-pandémie, affirme Derek Holt, économiste à la Banque Scotia, dans une entrevue accordée à BNN Bloomberg.

Grosses dépenses, gros déficits, grosse dette, impôts élevés, inflation élevée et défis dans le marché obligataire ne nous mènent pas à la prospérité, dit-il. Son jugement est sévère sur l’ampleur du déficit et de la dette. Le problème porte davantage sur la trajectoire et la gestion de l’endettement par le gouvernement Trudeau, compte tenu de l’effet sur les frais de la dette.

En fait, on se demande bien ce qui s’est passé en quelques mois à peine pour qu’à Ottawa la situation budgétaire se détériore aussi rapidement. En multipliant les programmes, les transferts et les investissements, le ministère des Finances a modifié largement dans son budget du 28 mars les prévisions faites en novembre. Comme si la mise à jour de novembre n’avait jamais existé ou ne comptait tout simplement plus.

Où sont donc la prudence et la rigueur qu’évoquait la ministre des Finances avant la publication de son budget? Nous savions déjà en novembre que la croissance économique allait être faible en 2023 et que les taux d’intérêt avaient monté rapidement. Pourquoi alourdir à ce point les déficits, la dette et, par conséquent, les frais de la dette publique?

Les bonnes priorités?

Plusieurs se demandent si la ministre cible les bonnes priorités. Si elle choisit d’ajouter 8 milliards de dollars au programme de soins dentaires, qui avait d’abord été financé à 5 milliards de dollars, Chrystia Freeland ne fait rien pour revoir le programme d’assurance-emploi, alors qu’une réforme est réclamée à grands cris.

Ne devrait-elle pas mieux financer et gérer les programmes fédéraux avant d’en créer de nouveaux ou de s’ingérer dans les champs de compétence des provinces?

La ministre Freeland a déclaré une chose très importante le jour du budget : son travail est complexe, puisqu’elle doit continuellement tenter de trouver une forme d’équilibre entre les investissements nécessaires et la gestion serrée des finances publiques. Force est de constater que cet équilibre est difficile à atteindre.

Il est clair que la santé dentaire, c’est extrêmement important dans la vie de tous les citoyens. Il est tout aussi clair que l’injection de 13 milliards sur cinq ans dans ce programme est motivée par une exigence du NPD pour éviter de faire tomber le gouvernement. Ce choix, aussi légitime soit-il, contribue à l’alourdissement des finances publiques.

En retour, le programme massif pour développer les technologies propres au pays, programme de 82 milliards de dollars sur une décennie, est essentiel compte tenu de l’offensive américaine en faveur de sa filière électrique et de son secteur manufacturier. Il en va de la compétitivité du Canada et de son potentiel de croissance économique. Il aurait été reproché au gouvernement fédéral de ne pas réagir à l’Inflation Reduction Act de Joe Biden. La valeur du plan canadien représente quand même 4,6 % du PIB contre 1,9 % pour celui de l’administration Biden.

Peu de marge de manœuvre

Compte tenu de la faiblesse des prévisions de croissance économique pour les prochaines années, bien des économistes s’attendaient à ce que le budget 2023-24 soit plus modeste, prudent et rigoureux. Les réductions de dépenses envisagées de 15 milliards de dollars sur cinq ans semblent modestes. Et le gouvernement fédéral a fait disparaître toutes les provisions de prudence en cas de situation économique et financière moins bonne qu’attendu.

En cas de récession plus importante que prévu, le gouvernement Trudeau se retrouvera avec des déficits plus importants, des frais d’intérêt plus grands et une capacité d’agir moindre.

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