À Cornwall, « on savait que ça allait arriver un jour »
La situation géographique rend la réserve vulnérable aux activités de contrebande et de traversée illégale des frontières, selon le chef de la police mohawk d'Akwesasne.
Photo : Radio-Canada / Charles Lalande
En dévalant les rues de Cornwall, on constate rapidement que les citoyens n’ont pas été surpris d’apprendre que huit corps ont été repêchés jeudi soir à Akwesasne. Selon certains résidents de cette ville située à une dizaine de kilomètres de la réserve mohawk, « on savait que ça allait arriver un jour ».
Je ne suis pas surpris du tout. Je vis à Cornwall depuis 40 ans. On entend plein d’histoires sur les activités criminelles qui se passent à la frontière. On se doutait que ça allait arriver un jour, mais c’est triste. Ça fait peur
, explique Justin, fier résident de cette ville de l'Est ontarien comptant plus de 45 000 âmes.
« Je ne voulais pas entendre une telle histoire. Un enfant est décédé. Je suis père, alors ça m’arrache le cœur. »
Le discours de Justin a trouvé écho auprès de Mike, rencontré à l’improviste dans un stationnement de Cornwall. Mike est âgé de 21 ans. Il a lui aussi entendu son lot d’histoires abracadabrantes sur tout ce qui peut se dérouler si près de chez lui, dans une réserve qui chevauche les frontières de l'Ontario, du Québec et de l'État de New York.
C’est triste à entendre, mais ce n’est pas surprenant. Avec tout [ce] qui se passe ici. Parfois, il y a des gens qui disparaissent du jour au lendemain, et on ne les retrouve plus.
Mike donne l’exemple d’un ami de son oncle, qui fait toujours l’objet d’un avis de recherche lancé par la police locale. L’été dernier, son véhicule a été retrouvé au Complexe civique de Cornwall, mais lui n’a jamais été retrouvé.
Je pourrais t’en parler pendant des heures
À Cornwall, la pratique du sport intérieur passe par le centre multisport Benson, un complexe regroupant trois patinoires, ainsi que des terrains où l’on peut jouer au tennis, au pickleball et au badminton.
Vendredi après-midi, c’est le calme plat. Deux hommes discutent, en français, dans l’entrée en s’échauffant. Comme beaucoup de citoyens, ils ont lu les nouvelles selon lesquelles les victimes tentaient d’entrer illégalement aux États-Unis.
L’un des deux hommes lance la discussion : Je ne suis pas surpris [du tout]. C’est dommage, mais je pourrais t’en dire des histoires [sur les migrants qui traversent la frontière]. Je pourrais t’en parler pendant des heures.
Invité par l’auteur de ces lignes à développer le fond de sa pensée, l’homme refuse. Comme on dit en anglais : let's just leave it at that
, répond-il. Visiblement, c’est le genre d’histoires qu’il préfère raconter à des amis autour d’une bière, plutôt qu’à un journaliste un peu trop curieux
.
En sortant du centre Benson, un homme s’informe au sujet de la présence de Radio-Canada. On lui explique pourquoi. Akwesasne, oui, je connais. Je suis passé par là pour entrer au Canada. J’habite à Cornwall depuis six mois maintenant
, répond-il, en français, sans vouloir en dire davantage sur son histoire.
De tous les citoyens rencontrés, il est celui qui peut le plus facilement se mettre à la place des migrants qui ont perdu la vie jeudi soir. Ces citoyens prêts à tout risquer, leur vie incluse, dans l’espoir de simplement améliorer leur sort.
Quelques coins de rue plus loin, un couple de personnes âgées devient très émotif en parlant du naufrage. Ils habitent Cornwall depuis près de 50 ans.
La femme émet l’hypothèse que la raison de cette tragédie est la fermeture du chemin Roxham la semaine passée. En revanche, les services policiers de la communauté ont affirmé, vendredi matin, avoir recensé 48 incidents liés à la traversée illégale de migrants du Canada vers les États-Unis.
Des gens sont déterminés à passer par le fleuve Saint-Laurent pour retrouver leur famille, qui trouve souvent refuge aux États-Unis. Je suis vraiment désolé pour les victimes. J’espère que, dorénavant, il y aura davantage de surveillance. Les gens ne doivent plus mourir.