Une jeunesse amoureuse de la langue de Molière
Des étudiants universitaires ont fait étalage de leur talent en art oratoire lors de la finale d’un concours d’éloquence qui a eu lieu à Montréal cette semaine.
Miriam Loulou répète son texte dans les couloirs de l'Université de Montréal
Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier
Miriam Loulou a passé des heures et des heures à peaufiner son discours pour le concours « Délie ta langue ».
Un texte poignant qui parle de violence conjugale, un sujet qui lui tient à cœur. Chaque mot est pesé avec soin, chaque phrase composée pour frapper juste.
Étudiante en deuxième année de médecine, Miriam a été choisie parmi une dizaine de candidats pour représenter l’Université de Montréal.
Nous la rencontrons pour la première fois une douzaine de jours avant la finale, alors qu’elle apporte les dernières touches à son argumentation.
Si le déclin du français est sur toutes les langues, sa motivation contraste avec le supposé désamour des jeunes pour la langue française.
Elle s’est justement inscrite pour renforcer sa relation intime avec le français, sa langue de prédilection, même si deux autres idiomes ont bercé son enfance à la maison, l’arabe et l’anglais.
Après deux années au cégep en anglais, à la suite d'une scolarité en français, Miriam avait l’impression de perdre son habileté à manier le français. Désormais engagée dans une filière scientifique, elle a peu d'occasions de faire valser les mots, une vieille habitude qu’elle avait développée au secondaire.
J'écris en anglais et en français, mais je me reconnais seulement dans les textes écrits en français
, admet-elle.
« J'ai réalisé à quel point une grande partie de mon identité est liée à la langue française et à quel point c'est important de nourrir cette identité. »
Il lui semble aussi nécessaire de savoir prendre la parole en public. C'est comme ça qu'on donne des messages qui nous tiennent à cœur, c'est comme ça qu'on convainc et c'est comme ça que les débats commencent
, tranche la jeune femme à la voix douce et satinée.
L'importance des modèles positifs
Affable au premier contact, Miriam inspire très vite force et détermination. Et elle se prépare à aller au combat avec son mentor, Michel Filion.
80 % de mon travail, c'est de l’écouter et, ici et là, donner des petits conseils, avec grand respect, car j'admire sa démarche
, raconte ce cadre de HEC Montréal.
Adepte de l’art oratoire depuis l’école primaire, il se fait une joie et un devoir de transmettre son expérience après avoir participé à de nombreuses joutes oratoires.
« J'ai dit "non" 50 fois, mais ma professeure de 6e année, madame Blanche, m'a convaincu de participer et, à ma grande surprise, j'ai été élu président de l'école; ça a changé ma vie. »
Il regrette que l’art oratoire soit un peu oublié
de nos jours et espère que ce concours va être source d’inspiration pour la jeunesse.
Miriam va assurément inspirer d'autres personnes
, soutient-il, tout en soulignant le rôle primordial des modèles positifs. Il souhaiterait d’ailleurs qu’un concours similaire soit créé pour les étudiants des cégeps.
Promouvoir le français en milieu minoritaire
Lundi 27 mars 2023. Le jour de la grande finale est enfin arrivé pour Miriam Loulou qui avoue avoir beaucoup stressé
, mais aussi travaillé fort. Depuis notre dernière rencontre, elle confie avoir répété son texte au moins 70 fois.
Les candidats ont cinq minutes pour convaincre le jury qui devra départager les finalistes sélectionnés dans onze universités du Québec et de l'Ontario.
Le premier à monter sur la scène de la Grande Bibliothèque de Montréal est le candidat de l'Université de l'Ontario français, l'un des deux établissements francophones de l'Ontario participant au concours.
Nicolas Sefrani explique s’être inscrit pour relever un challenge personnel
et pour enrichir son vocabulaire en français.
Originaire de Genève en Suisse, il a aussi épousé en quelques mois la cause du français en milieu minoritaire. Pour moi, c'est important de revaloriser la langue française et la richesse de la culture franco-ontarienne
, argumente-t-il.
Enseigner l'art de prendre la parole en public
Quand j'ai conçu le concours d'éloquence, je voulais que les jeunes qui arrivent sur le marché du travail puissent s'exprimer clairement
, raconte la fondatrice de Délie ta langue, Monique Cormier.
Professeure titulaire au Département de linguistique et de traduction à l’Université de Montréal, elle constate que la prise de parole en public est peu enseignée dans les différents cursus universitaires.
C’est pourquoi, dans le cadre du concours, les étudiants reçoivent des formations spécifiques sur la prise de parole en public, sur l'argumentaire ou sur la gestion du stress.
L’objectif étant de développer des aptitudes qui serviront lors des entretiens d'embauche ou de la présentation d’un projet, par exemple.
Par ce concours, Monique Cormier veut aussi faire la démonstration aux nouvelles générations que la langue française est une langue moderne, qui peut exprimer à la fois les sentiments et les arguments
.
Autrement dit, c'est une langue qui est complète et on n'a pas besoin d'une autre langue, en l'occurrence dans notre cas l'anglais, pour exprimer tout ce que l'on veut exprimer
.
Le concours représente donc sa pierre à l'édifice de la promotion du français. Selon elle, cette question citoyenne
ne devrait pas reposer seulement sur les épaules des gouvernements et il s’agit d’une responsabilité non seulement collective, mais également individuelle.
« On peut tous et toutes prendre des initiatives en faveur de la langue française. »
Alors que le concours tire à sa fin, Miriam a le sentiment du devoir accompli. Elle a prononcé un discours ciselé, tout en nuances et avec une grande maîtrise.
Je suis fière de ma performance, je vais retenir que je suis capable de faire plus que je le pensais
, souffle-t-elle, émue, les larmes aux yeux.
Autre révélation, elle est désormais persuadée qu’elle va continuer à prendre la parole en public pour le reste de sa vie. J'aime trop ça
, conclut-elle, avant de retrouver les embrassades de ses amis venus en nombre pour la soutenir.
Elle a reçu le quatrième prix auquel est associé un montant de 500 $. Le premier prix s’élevait à 5000 $, le deuxième à 3000 $ et le troisième à 1000 $.