Christian Dubé osera-t-il aller jusqu’au bout?
Alors que les réformes inachevées sont légion dans l'histoire récente du réseau de la santé, le succès du ministre dépendra de sa détermination à mener à bien son projet.
Jusqu'où ira Christian Dubé pour réussir à mettre en place sa réforme?
Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel
La conférence de presse de Christian Dubé était à peine terminée que, déjà, les communiqués de presse affluaient : la CSN voit dans la Loi visant à rendre le système de santé et de services sociaux plus efficace un « remède pire que le mal », tandis que la Fédération des médecins spécialistes du Québec dénonçait « une méthode contre-productive » et une « absence générale d’écoute » de la part du ministre.
Si de telles réactions n’ont rien de particulièrement étonnant, elles soulignent néanmoins une évidence : pour que sa réforme donne les résultats escomptés, Christian Dubé devra, contre vents et marées, tenir fermement la barre. Sa détermination fera foi de tout.
Toutes les réactions ne sont pas sombres nuages bien sûr. Le Collège des médecins et l'Ordre des infirmières et infirmiers, notamment, se sont dits d'accord avec les objectifs poursuivis par le gouvernement. Aux médecins et aux syndicats mécontents, le ministre a d'ailleurs promis l'écoute et le dialogue.
Il n'en demeure pas moins que les tentatives pour alléger les structures syndicales, diminuer la bureaucratie, ou encore, imposer des obligations additionnelles aux médecins ont trop souvent fini en queue de poisson ces dernières années.
C’est que les gouvernements ont la fâcheuse tendance d’entreprendre de grandes réformes, qu’ils diluent ensuite ou qu’ils mettent carrément de côté, comme le constataient l’an dernier plusieurs experts, en marge du dépôt du Plan santé du gouvernement.
Les leçons de la réforme Barrette
Malgré l’entêtement qu’on lui connaît, Gaétan Barrette n’avait lui-même pas pu achever la réforme qu’il avait entamée à l’époque où il était au gouvernement.
J’avais un premier ministre qui a choké, […] qui a arrêté parce qu’il avait peur des acteurs
, confiait-il récemment à La Presse, au sujet de Philippe Couillard.
En réclamant la paternité d’une partie de la réforme de son successeur, Gaétan Barrette cherche certes à mettre en valeur son propre héritage, mais on aurait tort de faire fi du passé.
À l’instar de Christian Dubé, l’ancien ministre souhaitait lui aussi moduler les salaires et les conditions de travail des infirmières en fonction de certains critères, mais il s’était heurté à un mur.
Gaétan Barrette voulait également imposer plus d’obligations aux médecins. Des dispositions des projets de loi 20 et 130, qu’il avait fait adopter lorsqu’il était au pouvoir, témoignent d’ailleurs de sa volonté. La loi 20 va garantir l'accès à un médecin, assure le ministre Barrette
, titrait un article de Radio-Canada, au moment de l’adoption du premier projet de loi. Barrette veut forcer les médecins à se conformer aux besoins des hôpitaux
, résumait un autre texte, au moment du dépôt du second.
Le hic, c’est que plusieurs de ces obligations n’ont jamais été mises en vigueur, ou n'ont jamais été vraiment appliquées, le gouvernement de l’époque ayant accepté de les mettre en plan pour éviter une confrontation avec les fédérations médicales.
Les ambitions de Christian Dubé connaîtront-elles le même sort? Il est vrai que celui-ci a une approche et un style bien différents de ceux de Gaétan Barrette, qui était davantage porté à la confrontation. Vrai aussi que le contexte politique a changé et que la pandémie a exacerbé l’impatience des Québécois face à un système de santé notoirement inefficace. Les organisations qui se montrent réfractaires à tout changement ne conserveront pas la faveur du public bien longtemps.
Le passé étant garant de l’avenir, il n’est toutefois pas inutile de rappeler que le ministre Dubé avait lui-même accepté de lâcher du lest lorsque, président du Conseil du Trésor, il avait dû renégocier l’entente de rémunération avec les médecins spécialistes. On sait aussi qu’en dépit de longues négociations entreprises durant le premier mandat, le gouvernement dont il fait partie n’est pas encore parvenu à revoir le mode de rémunération des médecins de famille.
Des rapports de pouvoir redéfinis
Au-delà des changements d’organigrammes, la réforme proposée viendra surtout altérer les rapports de pouvoir qui existent déjà au sein des établissements – entre gestionnaires, médecins, infirmières et autres professionnels de la santé –, essentiellement au bénéfice des dirigeants de Santé Québec. Ces derniers pourront de fait nommer les PDG
de chacun des établissements, approuver leur plan de gestion et leur imposer les obligations de leur choix.Dans chaque établissement, on redéfinira les chaînes de commandement. Le Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens perdra du pouvoir au profit d’un nouveau directeur médical, nommé par le président-directeur général. C’est sans parler de la création d’un nouveau Comité interdisciplinaire d'évaluation des trajectoires et de l'organisation clinique
, dans lequel seront représentés des corps professionnels, habitués jusqu’ici à travailler chacun de leur côté.
Au-delà de leur bien-fondé ou non, pareils changements à des façons de faire profondément ancrées au sein des organisations ne passeront pas comme une lettre à la poste.
La réserve de courage
Christian Dubé assure avoir non seulement l’appui de son premier ministre, mais aussi celui du caucus et du conseil des ministres pour pouvoir aller jusqu’au bout. Hélas, ce genre d’appui est rarement immuable.
Le premier ministre Legault s’est dit prêt à puiser dans sa réserve de courage
pour mener à bien les changements qu’il estime nécessaires. Des membres de son gouvernement, habitués de voir leur parti caracoler en tête des sondages, pourraient toutefois s’impatienter si la mise en place de la réforme promise devait s’éterniser ou entraîner de douloureux affrontements avec les syndicats et les fédérations médicales.
Même si le gouvernement répugne à utiliser le mot, on est ici face à une véritable réforme du réseau de la santé. Une autre, pourrait-on ajouter.
Après le virage ambulatoire du ministre Rochon dans les années 1990, la réforme Couillard des années 2000 et la réforme Barrette des années 2010, on parlera bientôt de la réforme Dubé des années 2020. La question est de savoir si on en parlera comme d’une réforme qui aura été menée à terme… ou d’une réforme qui aura été abandonnée en cours de chemin.