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Portapique : la Commission d’enquête veut une transformation en profondeur de la police

Les 18 et 19 avril 2020, un homme de 51 ans a tué 22 personnes entre Portapique et Enfield, en Nouvelle-Écosse. Aujourd'hui, la commission chargée d'examiner la pire tuerie de l'histoire moderne du Canada publie son rapport.

Voiture de la GRC devant des ruines.

Le rapport de la Commission des pertes massives critique durement l'intervention policière lors de la tuerie de Portapique, en avril 2020.

Photo : Getty Images / Tim Krochak

La Gendarmerie royale du Canada (GRC), mais aussi tous les services policiers au Canada, doivent revoir en profondeur leurs méthodes de travail pour éviter un autre massacre comme celui d'avril 2020, qui s'est déroulé dans la petite communauté de Portapique, en Nouvelle-Écosse.

La Commission des pertes massives a dévoilé jeudi son rapport de 3000 pages intitulé Redresser la barre ensemble. Elle y fait 130 recommandations principalement destinées aux services policiers.

Le document énumère de multiples problèmes dans la gestion et la prévention de la pire tuerie de l’histoire moderne au Canada, qui a fait 22 morts entre les 18 et 19 avril 2020.

Les commissaires veulent que les policiers changent leur manière de travailler en Nouvelle-Écosse, mais aussi dans le reste du pays.

Il faut repenser le rôle de la police dans un écosystème élargi de sécurité publique, explique la commissaire Leanne Fitch.

« La culture policière doit changer! »

— Une citation de  Leanne Fitch, commissaire, Commission des pertes massives

L’enquête a permis d'apprendre que la GRC a fourni des renseignements inexacts au public, que ses membres n'avaient pas une bonne compréhension de la géographie de Portapique et qu'ils n’ont pas déployé d'efforts efficaces pour alerter les résidents le soir du drame.

Des gens pleurent dans une salle bondée.

Des amis et des membres des familles des victimes réagissent à la lecture du rapport final de la Commission des pertes massives, le 30 mars 2023 à Truro, en Nouvelle-Écosse.

Photo : La Presse canadienne / Darren Calabrese

Le rapport indique que la communication est inadéquate entre les équipes de la GRC , les différents corps policiers et avec le public.

Les commissaires déplorent aussi le travail de la GRC avant et après le drame et rappellent que toute organisation doit faire preuve d’introspection pour s’améliorer.

« Il y a eu de nombreux signes avant-coureurs de la violence de l’auteur des crimes et de multiples occasions ratées d’intervenir. »

— Une citation de  Leanne Fitch, commissaire, Commission des pertes massives

Attendre des mois ou des années pour effectuer un examen après action ne sert à personne, affirment les commissaires.

Ils estiment que le travail d'introspection de la GRC a été inadéquat.

Si la GRC avait mené et publié un examen après action, certaines des conclusions et recommandations de la Commission auraient probablement déjà été prises en compte.

Une centaine de marcheurs en rang devant un gendarme.

Des manifestants demandent des réponses et de la transparence au sujet de l'intervention policière lors d'une manifestation à l'occasion du premier anniversaire de la tuerie le 18 avril 2021. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Paul Légère

Transformation des corps policiers

Plus de la moitié des 130 recommandations des commissaires concernent les forces de l'ordre.

L’enquête publique a permis de déceler de graves lacunes dans le processus de la GRC pour la saisie, le partage et l'analyse des renseignements.

La Commission recommande donc aux corps policiers de la Nouvelle-Écosse et d’ailleurs au pays d'apprendre à mieux collaborer et échanger des données, mais aussi à mieux prendre des notes.

Plusieurs véhicules du service policier d'Halifax et une auto-patrouille de la GRC le 26 juillet 2019 à Halifax.

Plusieurs véhicules du service policier d'Halifax et une auto-patrouille de la GRC.

Photo : Radio-Canada / CBC / Robert Short

Elle recommande aussi une meilleure organisation au sein des équipes policières pour identifier les hauts responsables et pour communiquer efficacement les messages à transmettre au public.

La province de la Nouvelle-Écosse devrait, dans les six prochains mois, établir un conseil multisectoriel [...] pour examiner la structure des services de police en Nouvelle-Écosse, indique le rapport.

« La société canadienne se trouve à un moment critique en ce qui concerne l’avenir des services de police. »

— Une citation de  Leanne Fitch, membre de la Commission des pertes massives

Les commissaires croient que la GRC doit aussi revoir toute sa culture en lien avec les minorités et voudraient que les policiers soient plus ouverts à la critique.

La capacité à assumer la responsabilité de ses erreurs doit être un critère pour toute promotion au sein de la GRC, indique le document.

Ils demandent également plus de transparence pour ce qui est des échanges entre le ministre de la Sécurité publique et l'ancienne commissaire de la GRC.

Brenda Lucki, en uniforme, devant un drapeau canadien.

Brenda Lucki, ex-commissaire de la Gendarmerie royale du Canada

Photo : La Presse canadienne / Adrian Wyld

Les conversations devront être rendues publiques pour éviter les soupçons d'influence politique. L'ancienne commissaire Brenda Lucki s'était retrouvée dans l'embarras après la diffusion d'un enregistrement dans lequel elle se disait frustrée que la GRC n’ait pas dévoilé publiquement les informations sur les armes utilisées par le tueur de Portapique.

Une formation obligatoire de 3 ans

Pour tenter de régler plusieurs lacunes soulevées sur le travail des policiers, la Commission suggère de changer la manière dont les corps policiers au Canada recrutent et forment leurs membres.

Les commissaires voudraient que tous les policiers au Canada soient obligés d'obtenir un diplôme de formation policière de trois ans d'ici 2032.

Nous avons besoin d’une refonte complète de la formation des policiers au Canada, et nous devons recruter des agents aptes à travailler dans des services policiers modernisés, croit Leanne Fitch.

Aider les communautés rurales

La petite communauté de Portapique a été le théâtre d’une grande partie du massacre et les commissaires croient qu’il faut renforcer la sécurité des régions isolées.

Panneau routier de la route Portapique Beach et deux véhicules de police qui bloquent l'entrée de la route.

Le chemin Portapique Beach constitue la seule route officielle d'entrée et de sortie de Portapique, mais ceux qui connaissent bien le coin savent qu’il est aussi possible d’emprunter un chemin de terre à travers un champ de bleuets.

Photo : Radio-Canada / Jonathan Villeneuve

Le gouvernement fédéral devrait adopter, selon le rapport, une loi dans les six mois pour soutenir et renforcer la sécurité et le bien-être communautaires dans chaque province et territoire.

Cette loi prônerait la sécurité par la prévention, l'éducation et la collaboration entre les entités communautaires, les forces de l'ordre, les écoles et les centres de santé.

Le rapport propose aussi la mise en place d'ici un an d'un conseil de direction sur la sécurité et le bien-être communautaires composé de dirigeants de tous les secteurs.

Prévention : interdiction d’armes, appui aux femmes

La prévention de ce genre de drame passe, selon les commissaires, par une loi plus sévère pour encadrer les armes à feu et les détenteurs de permis.

Cinq armes et leurs munitions.

Voici les armes que le tireur avait en sa possession lorsqu'il a été tué dans une station-service d'Enfield, en Nouvelle-Écosse. Il y a trois armes de poing et deux carabines. Trois de ces armes provenaient du Maine.

Photo : Gracieuseté : Commission des pertes massives

Ils demandent à Ottawa d’interdire toute arme de poing semi-automatique et tous les carabines et fusils de chasse semi-automatiques [...]qui sont conçus pour accepter des chargeurs détachables de plus de cinq cartouches, précise le rapport.

Cette recommandation s'inscrit déjà dans le projet de loi C-21, déposé par le Parti libéral.

La Commission souhaite aussi que le Canada se débarrasse des armes interdites déjà en circulation et que le pays n’hésite pas à retirer le permis d’une personne reconnue coupable de violence familiale.

La conjointe du tueur d'avril 2020, Lisa Banfield, a souffert pendant des années de telles violences. Les commissaires croient qu’il faut appuyer les victimes.

Lisa Banfield tourne la tête vers la gauche pendant son témoignage.

Lisa Banfield témoigne à la Commission des pertes massives, le 15 juillet 2022 à Halifax, en Nouvelle-Écosse.

Photo : La Presse canadienne / Andrew Vaughan

Les faits montrent clairement que ceux qui commettent des actes d’une telle violence ont souvent un historique de violence familiale, indique le président de la Commission des pertes massives, Michael MacDonald.

Il faut aussi à tout prix éviter de blâmer les victimes de violences pour qu’elles dénoncent leurs agresseurs.

Améliorer l’établissement d’enquêtes publiques

La Commission des pertes massives a enquêté pendant des mois après la tragédie d’avril 2020. Elle a recueilli plus de 230 témoignages et épluché des milliers de documents.

L'exercice très critiqué par les familles et certains experts devrait coûter environ 47 millions $ en fonds provinciaux et fédéraux, bien plus que ce qui avait été prévu.

Pour améliorer ce processus, les commissaires recommandent une phase de consultation avant l'établissement d'une enquête pour s’assurer entre autres que la portée du mandat est réalisable dans les délais.

Ils proposent aussi une phase préparatoire de trois mois et un organisme désigné qui veille à la divulgation des documents.

Assurer l’implantation des recommandations

Les commissaires veulent à tout prix éviter que toutes ces recommandations sombrent dans l'oubli.

Michael MacDonald parle, assis entre ses deux collègues.

Michael MacDonald (au centre), président de la Commission des pertes massives, entouré le 9 mars 2022 à Halifax, en Nouvelle-Écosse, de ses collègues commissaires Leanne Fitch (à gauche) et Kim Stanton (à droite).

Photo : La Presse canadienne / Andrew Vaughan

D'ici le 31 mai 2023, les gouvernements du Canada et de la Nouvelle-Écosse devraient établir et financer un organisme de mise en œuvre des recommandations, qui verrait à ce que les changements proposés soient faits et que les progrès soient communiqués à la population.

Le rapport précise que l’organisme doit avoir un président actif capable de motiver la population et de confronter les autorités gouvernementales si les changements traînent.

Un grand nombre de recommandations exigent des actions des dirigeants politiques et des organisations publiques, comme la GRC, souligne la commissaire Kim Stanton.

Malgré tout, les commissaires sont catégoriques, pour qu’un vrai changement s’opère, toute la population doit y mettre du sien.

Ensemble, nous pouvons diminuer considérablement la menace et l’incidence de la violence, affirme la commissaire Fitch. Y compris la violence de masse.

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