La réforme Dubé vise un million de personnes en attente d’un spécialiste
Après les médecins de famille, c’est au tour des spécialistes d’être sollicités pour voir plus de patients dans l’espoir de réduire les listes d’attente pour des chirurgies et des examens.

Le Dr Vincent Oliva, président de la Fédération des médecins spécialistes du Québec.
Photo : Radio-Canada
Lors de la présentation de son projet de loi mammouth en santé, le ministre Dubé s’est demandé à quelques reprises s’il était « normal » qu'autant d’usagers attendent de recevoir des soins dans les hôpitaux.
L’efficacité [...], c’est moins d’attente aux urgences ou pour une chirurgie
, a-t-il lancé.
Selon les premiers détails disponibles, tous les médecins spécialistes, y compris ceux qui travaillent en cabinet privé, devront offrir quelques heures de leur temps par semaine, que ce soit pour assurer une garde à l’urgence, pour faire des suivis de patients post-hospitalisation ou pour prendre en charge des patients qui attendent de subir un examen.
Leur droit de pratique sera assujetti à des activités médicales particulières [AMP]
, a précisé Christian Dubé.
Selon le ministre, pour la majorité des spécialistes, ça ne fera aucun changement [...]. Par contre, je veux qu’on s’entende que ce n’est pas la même chose pour toutes les spécialités
.
On compte au Québec environ 11 000 médecins spécialistes qui œuvrent dans une trentaine de spécialités.
« La rémunération des médecins, c’est neuf milliards de dollars. C’est normal de se questionner si c’est optimal. »
La réforme prévoit la nomination, dans chaque territoire, d’un directeur médical de médecine spécialisée qui relèvera hiérarchiquement du CISSS ou du CIUSSS afin de veiller à l’application de ces mesures.
Des listes d’attente plus longues que jamais
Lors de sa présentation, le ministre a fait référence à quelques reprises à des listes d’attente qui ne figurent pas pour l’instant sur son tableau de bord mis en ligne l’an dernier.
Selon les données du ministère obtenues par Radio-Canada, la liste d’attente pour obtenir un rendez-vous avec un médecin spécialiste dépasse les 800 000 requêtes depuis le début de l’année, un sommet depuis le début de la pandémie.
Il s’agit d’une hausse de 64 % par rapport à septembre 2020 ainsi que d'une augmentation constante.
Que ce soit pour voir un dermatologue, un allergologue-immunologue, un gynécologue ou un gastro-entérologue, les patients sont plus nombreux qu’auparavant à attendre et doivent patienter plus longtemps dans la plupart des spécialités.
Pour l’ensemble des spécialités, l’attente pour obtenir un rendez-vous frôle en moyenne les 14 mois, soit cinq mois de plus qu’en septembre 2020, et ce, majoritairement hors délai.
Du côté des chirurgies, les témoignages s’accumulent de patients en attente d’une opération à la hanche ou d’une intervention pour une cataracte. Selon les données du ministère, le nombre total de patients qui attendent une chirurgie s’élève à 161 000 personnes, comparativement à 125 000 au début de la pandémie.
Les patients en attente depuis plus d’un an n’ont jamais été aussi nombreux.
Le ministre de la Santé avait présenté un plan en juin 2021 qui devait permettre de résorber les listes au niveau pré-pandémie pour mars 2023. La pénurie de main-d’œuvre infirmière a changé les plans.
Québec s’apprête également à introduire un nouveau mode de financement des opérations chirurgicales dans les hôpitaux dans l’espoir de réduire les listes d’attente parmi les plus longues au Canada, selon l’ICIS.
Selon nos informations, le ministère de la Santé utilisera une grille tarifaire pour diverses interventions chirurgicales. Les hôpitaux dont les coûts dépassent les tarifs prévus pour une intervention donnée devront trouver des solutions pour les diminuer.
Méthode contre-productive
Pour le syndicat des médecins spécialistes, la réforme proposée par Québec est une méthode contre-productive
.
Il est profondément inacceptable de laisser croire que les médecins spécialistes ne sont plus présents dans les hôpitaux après 16 h
, a affirmé le président, le Dr Vincent Oliva. Partout au Québec, les médecins spécialistes sont mobilisés pour assurer des gardes 24 heures sur 24 afin de prendre soin de leurs patients. Laisser entendre le contraire démontre une grande méconnaissance de notre travail et de notre quotidien
, a-t-il ajouté.
« Nous n’accepterons pas d’être désignés comme les boucs émissaires des problèmes d’un réseau que nous avons tenu à bout de bras avec les autres professionnels de la santé, notamment pendant la pandémie. »
Selon l’urgentologue Élise Berger Pelletier, Québec s’apprête à appliquer aux spécialistes un modèle similaire à celui auquel sont soumis les médecins de famille, qui ont une responsabilité populationnelle
.
Depuis 10 ou 15 ans, certains spécialistes sont sortis des hôpitaux, font de la médecine et ne participent ni à la liste de garde, ni au fameux système de prise de rendez-vous avec un spécialiste [CRDS]
, analyse-t-elle.
La Dre Berger Pelletier est membre de la cellule de crise sur les urgences mise sur pied l’automne dernier.
Le ministre Dubé dit souhaiter une approche négociée avec la FMSQ. Je ne ferai pas de négociation sur la place publique
, a-t-il répondu.
En 2019, Christian Dubé, alors au Conseil du trésor, avait mené des négociations serrées avec la FMSQ afin de réduire l’augmentation de la rémunération consentie aux spécialistes par le gouvernement Couillard. Le premier ministre François Legault avait promis de récupérer au moins un milliard de dollars par année.
Le Collège des médecins (CMQ) pourrait devenir un intermédiaire auprès des spécialistes, tout comme il l’a été auprès des médecins de famille qui ont conclu une entente l’an dernier pour prendre en charge plus de patients.