Une fonderie de 1,7 milliard pourrait voir le jour sans le BAPE à Val-des-Sources

Le projet d'usine d'Alliance Magnésium
Photo : Alliance Magnésium
Une fonderie au cœur d’un complexe industriel de 1,7 milliard de dollars pourrait voir le jour à Val-des-Sources, en Estrie. Le projet d’Alliance Magnésium suscite l’engouement, mais aussi des préoccupations quant à la production de contaminants dangereux pour la santé. Ces craintes sont d’autant plus élevées que le projet pourrait se concrétiser sans une analyse du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement (BAPE).
Extraire le magnésium des vastes haldes de résidus issus de l’exploitation de l’amiante et fondre les rebuts de magnésium pour en faire des lingots : ce sont les deux objectifs principaux du projet développé par Alliance Magnésium.
Une usine pilote est déjà en activités depuis quelques années et l’entreprise souhaite maintenant passer à la vitesse supérieure en amorçant la construction de la première fonderie du genre en Amérique du Nord dès l’automne prochain.
[Il y aura] de 800 à 1000 personnes qui vont être dans la région pour venir travailler à la construction
, souligne le président-directeur général d’Alliance Magnésium, François Perras.
« On aura une stabilisation de 200 à 300 personnes dans la région pour l’opération de l’usine de façon continue. »
Dix ans après la fermeture de la mine Jeffrey, les retombées économiques seraient majeures pour la municipalité d'un peu plus de 7000 résidents. C’est majeur comme développement. On crée de la richesse pour notre milieu, mais on crée de la richesse pour l’ensemble du Québec
, se réjouit le maire de Val-des-Sources, Hugues Grimard.
Des contaminants qui inquiètent
Ce ne sont toutefois pas tous les citoyens qui sont emballés par la fonderie d’Alliance magnésium. La citoyenne Sylvie Berthaud, qui suit l’évolution de l’entreprise depuis des années, s’inquiète de la production d’organochlorés lors du procédé, des contaminants très persistants dans l'environnement issus de l’utilisation du chlore pour extraire le magnésium de la roche.
Il faut se dire que nous sommes dans une région très agricole. S’il y a la moindre contamination, on ne peut pas venir l’effacer. Des dioxines, des furanes (NDLR : des contaminants de la famille des organochlorés), ça rentre dans la chaîne alimentaire
, souligne-t-elle.
« Avec tous les risques du magnésium, ça peut être vraiment grave pour la région. »
Les organochlorés sont des perturbateurs endocriniens, selon l’Organisation mondiale de la santé. Les risques associés surviennent à des niveaux d’exposition très faibles. On devrait essayer de diminuer à 0 les émissions de ces contaminants, tellement les risques pour la santé sont sérieux
, explique Maryse Bouchard, professeure agrégée à l’Institut national de la recherche scientifique et experte des contaminants environnementaux.
Ces contaminants sont reconnus pour s’accumuler dans le gras des animaux et des êtres humains, ajoute le professeur de chimie à l’Université de Montréal, Patrick Hayes. Ce sont des composés qui sont très dangereux, précise-t-il. Il n’y a pas vraiment de "bonne concentration" de ces composés.
Les normes seront respectées, assure Alliance Magnésium
Alliance Magnésium assure qu’elle respectera les normes et que les contaminants seront captés et non versés dans l’environnement. On va générer des organochlorés qu’on va capturer selon les normes, puis on va les détruire
, assure François Perras. Il ajoute que les normes encadrant l’industrie ont été resserrées. On n’est pas dans la même situation que voilà 40 ou 100 ans, quand la mine Jeffrey opérait
, précise-t-il.
« On veut s’assurer que s’il y a des émissions qui peuvent être nocives pour l’environnement ou pour la santé, qu’on les capte et qu’on trouve une façon efficace de les traiter. »
L’entreprise analyse actuellement la meilleure manière de procéder. Il y a des technologies à haute température, il y a des technologies à réacteurs. Ce sont des approches en ce moment qui sont en train d’être regardées pour voir laquelle est la plus efficace
, précise François Perras.
Évolution des normes
Plusieurs règlements provinciaux encadrent les organochlorés. Les normes d’entreposages, prévus par le Règlement sur les matières dangereuses sont les mêmes depuis 1997
, précise le ministère de l’Environnement par courriel. Quant aux normes sur les émissions des polluants dans l’air, elles n’ont pas été modifiées depuis 2011.
Sylvie Berthaud souhaiterait consulter les documents du projet pour être rassurée. À la suite d'une demande d’accès à l’information, elle a reçu en 2022 des documents presque entièrement caviardés de l’ancienne mouture du projet. François Perras, qui n’était pas en poste au moment du traitement de cette demande, n’était pas en mesure de nous expliquer les justifications derrière cette décision, mais assure vouloir répondre aux préoccupations des citoyens.
Un BAPE
réclaméSylvie Berthaud croit que ces craintes sont justifiées, d’autant plus qu’une étude publiée en 2007 avait établi une corrélation entre le taux d’organochlorés mesurés dans des chevreuils et les activités de l’ancienne fonderie de magnésium Magnola.
Après le début de la production de magnésium, les concentrations (dans les chevreuils) étaient plus élevées près de la fonderie, et diminuaient plus on s’éloignait de la fonderie*
, résumaient alors les auteurs de l’étude. La fonderie de Magnola opérait au même endroit que le projet d’Alliance Magnésium.
Sylvie Berthaud juge que le projet devrait être soumis à la Procédure d'évaluation et d'examen des impacts sur l'environnement, incluant une analyse du BAPE
. Elle avait fait parvenir une lettre ouverte à ce sujet en 2020 au ministre de l’Environnement.Une évaluation que l’entreprise s’attend à se soustraire puisqu’elle a déposé un projet de 37 000 tonnes, alors que le seuil d’assujettissement au BAPEIls restent juste en dessous. C’est quoi la logique alors qu’ils avaient prévu en faire 50 000 tonnes auparavant?
, s’interroge Sylvie Berthaud.
Alliance Magnésium estime qu’une évaluation du BAPENotre approche a été d’aller directement avec les citoyens, puis de leur présenter le projet
, souligne François Perras.
Le maire et préfet de la MRC des Sources partage son avis. Je pense que lorsqu’il y a de la transparence dans l’ensemble de la démarche et que les gens sont accessibles, on n’a pas besoin d’aller dans le formel
, affirme Hugues Grimard.
Sans toutefois fermer complètement la porte à un BAPEC’est sûr que si on fait cela, on retarde le démarrage de l’usine
, affirme François Perras.
Deux experts en contaminants environnementaux croient quant à eux qu’un BAPEC’est vraiment le BAPE qui permettrait de faire l’examen le plus complet, le plus rigoureux de ce projet-là
, croit la professeure Maryse Bouchard.
Le professeur de chimie à l’Université de Montréal, Patrick Hayes plaide aussi pour un suivi en continu
de la future fonderie et des concentrations d’organochlorés dans l’environnement. Même si la technologie fonctionne très bien, on peut toujours avoir des problèmes avec les différents systèmes
, précise-t-il.
« Je pense qu’étant donné que ce sont des composés qui sont très persistants et très dangereux, on devrait privilégier un processus qui est plus lourd. »
François Perras assure que l’entreprise fera des évaluations pour s’assurer que les activités ne contaminent pas l’environnement.
Quant au ministère de l’Environnement, il attend le dépôt officiel du projet avant de se positionner formellement sur la question. Quelle que soit l’autorisation requise, le projet fera l’objet d’une analyse rigoureuse par le ministère afin d’assurer le maintien de la qualité de l’environnement ainsi que de la vie, la santé, la sécurité, le bien-être et le confort des êtres humains
, assure-t-on toutefois par courriel. L’attachée de presse du ministre n’a toutefois pas répondu favorablement à notre demande d’entrevue à ce sujet.
Un projet qui peut aussi être bon pour l’environnement
Alliance Magnésium est cependant loin de susciter uniquement des craintes au niveau environnemental. Ils sont aussi nombreux à applaudir les fondements du projet, soit se servir de ce qui était jusqu’à présent considéré comme des déchets pour produire du magnésium.
Ces méthodes évitent ainsi d’ouvrir une nouvelle mine de ce minéral et de réduire les gaz à effet de serre causés par l’importation. [On veut que] l'Amérique du Nord devienne un peu plus indépendante par rapport à l’approvisionnement outre-mer
, souligne François Perras.
Développer un réseau de fournisseurs de proximité
Alliance Magnésium approvisionne actuellement en partie son usine de rebuts de magnésium provenant de l’Asie. L’entreprise souhaite toutefois favoriser les fournisseurs locaux dans une perspective de développement durable. Elle possède aussi plusieurs titres miniers pour effectuer des travaux d’exploration minière sous les haldes, mais François Perras n’a pas l’intention à court terme de se lancer dans l’exploitation minière. Il veut plutôt se donner l’opportunité d’explorer le terrain
. C’est dans l’optique de ne pas se fermer de porte
, précise-t-il.
Des métallurgistes issus du corps professoral croient par ailleurs que le projet d’Alliance Magnésium est crédible.
Il n’y a rien qui semble physiquement ou chimiquement impossible de ce qui se fait là, commente Jean-François Boulanger, professeur en métallurgie extractive à l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue. Je ne pense pas que c’est fait ailleurs dans le monde.
On veut utiliser de l’électricité pour former du magnésium métallique. Tout ça me semble valide à première vue
, ajoute-t-il.
Le procédé d’Alliance Magnésium s’inspire par ailleurs de celui de l'ancienne usine Magnola et de Norsky Hydro. On prend le meilleur des deux mondes, explique François Perras. On a éliminé beaucoup de risques technologiques en travaillant en harmonie avec les technologies disponibles.
Moi je trouve ça fantastique, s’exclame le professeur à l’Université Laval en génie des métallurgies et des matériaux, Claude Bazin. Les fonderies, ça permet de faire de l’économie circulaire.
« On s’enlève un peu de la dépendance qu’on a sur la Chine, qui produit quasiment les deux tiers du magnésium consommé dans le monde. »
En plus du magnésium, l’entreprise prévoit aussi valoriser ultérieurement d’autres métaux qui se trouvent dans les haldes, dont le nickel.
Claude Bazin juge que les erreurs du passé ont sans doute permis à l’entreprise de développer un procédé plus robuste. Il partent avec l’expérience de Magnola, ils ne partent pas comme si c’était la première fois, explique-t-il. Ils ont probablement regardé les erreurs de Magnola et se sont demandé comment les éviter.
La nouvelle fonderie pourrait être opérationnelle en 2025.
*Traduit de l’anglais