Ottawa se lance dans la « course à la construction d’une économie propre »
Les projets de transmission interprovinciale d'énergie seront admissibles au crédit d’impôt pour les investissements dans le domaine de l’électricité propre.
Photo : Radio-Canada / Marc-Antoine Mageau
Ottawa commence à sentir le souffle chaud de Washington en matière de transition énergétique. Devant les investissements colossaux annoncés par le gouvernement des États-Unis, la ministre des Finances a décidé de délier les cordons de la bourse pour s’assurer que le Canada obtienne sa part du gâteau dans le vaste chantier des énergies propres, et ce, malgré un budget rédigé sous le signe de la prudence.
Chrystia Freeland prévoit ainsi des investissements totaux de 80 milliards de dollars sur 10 ans dans une volonté affichée de faire contrepoids à l’Inflation Reduction Act. Cette loi, votée en 2021 par l’administration du démocrate Joe Biden, institue des subventions pour la production d’énergie propre d’au moins 369 milliards de dollars américains d’ici 2032.
Si le Canada ne suit pas le rythme, il sera laissé pour compte
, soutient-on dans le budget déposé mardi. Chrystia Freeland parle quant à elle de la transformation économique la plus importante depuis la révolution industrielle
et d’un moment décisif
. Les Américains investissent et le Canada doit être là aussi
, a soutenu la ministre.
Pour éviter de rater le train de la transition énergétique, le budget fédéral prévoit :
- une enveloppe de 20 milliards de dollars de la Banque de l’infrastructure du Canada pour du financement stratégique;
- l’octroi de 26 milliards en vue de la création d’un crédit d’impôt remboursable de 15 % pour les investissements dans l’électricité propre;
- l’octroi de 11 milliards en vue de la création d’un crédit d’impôt remboursable de 30 % pour les investissements dans les technologies propres.
Ces trois mesures s’ajoutent aux 23 milliards de dollars, déjà annoncés dans la mise à jour économique de l’automne dernier, en vue de la création d’un crédit d’impôt remboursable pour les investissements dans l’hydrogène propre.
Ce sont donc ces quatre mesures qui composent l’enveloppe de 80 milliards présentée dans le budget. Et à ceux qui qualifient ces investissements de trop tardifs – ils sont plusieurs –, la ministre Freeland a gentiment affiché son opposition en point de presse mardi.
Avec beaucoup de respect, je dois dire que je ne suis pas d’accord. C’est le Canada qui a entrepris [le premier] des actions très fortes pour bâtir l’économie verte; c’est le Canada qui a introduit le prix sur la pollution, […] une des décisions les plus importantes de notre gouvernement.
Les sociétés d’État admissibles au crédit sur l’électricité propre
Lors du dépôt du budget, le crédit d’impôt pour les investissements dans l’électricité propre a été présenté par un haut fonctionnaire du gouvernement comme étant la colonne vertébrale
du plan de transition énergétique.
Nous allons faire quelque chose de nouveau avec ce crédit en l’ouvrant aux sociétés d’État
, a aussi commenté ce haut fonctionnaire. En effet, le crédit d’impôt vise les producteurs d’électricité sans émissions, que les sources soient hydroélectriques, éoliennes, solaires ou nucléaires. C’est donc dire qu’il vise directement les sociétés d’État provinciales comme Hydro-Québec, Hydro One ou encore BC Hydro, qui sont les principaux producteurs d’électricité au pays.
Afin que ces sociétés d’État demeurent compétitives devant les subventions massives dont bénéficieront les producteurs privés américains, elles pourront donc soumettre leurs activités de production, de stockage et de transport interprovincial au crédit d’impôt. Même la construction de nouveau projet et les réparations apportées aux installations existantes seront admissibles à ce financement.
Ce crédit d’impôt serait alloué à compter du jour du dépôt du prochain budget fédéral, en 2024, et sera destiné aux projets dont la construction n’était pas amorcée avant le dépôt du budget actuel. Il sera offert jusqu’en 2034.
Outre la compétitivité par rapport à la machine américaine, ce crédit d’impôt vise aussi à accroître considérablement la capacité de production du Canada. L’Institut climatique du Canada prévoit en effet que la demande en électricité doublera au pays d’ici 2050.
Actuellement, 83 % de l’énergie produite au Canada provient de sources propres. Le Canada a pour objectif de se doter d’un secteur de l’électricité carboneutre d’ici 2035.
Coup de pouce à la filière batterie
Le crédit d’impôt pour les investissements dans les technologies propres vise principalement l’extraction et les équipements qui servent à extraire les minéraux critiques qui servent à la fabrication des véhicules électriques.
L’objectif ici consiste surtout à profiter des occasions créées par l’Inflation Reduction Act, qui offre des crédits d’impôt aux consommateurs américains pour l’achat de véhicules électriques produits en Amérique du Nord.
Dans son budget, la ministre Freeland a ainsi été claire non seulement sur la nécessité d’aider les alliés du Canada à limiter leur dépendance économique à l’égard de dictatures mais surtout sur la manne que représente un tel réalignement de l’économie mondiale pour le Canada.
Financer la boucle de l’Atlantique
En ce qui concerne la Banque de l’infrastructure du Canada, elle investira au moins 10 milliards de dollars dans l’énergie propre et au moins 10 milliards de dollars dans les infrastructures vertes, ce qui lui permettra notamment d’appuyer la construction de vastes projets de transmission et de stockage d’énergie.
Concrètement, le gouvernement fédéral souhaite que ces enveloppes puissent financer la boucle de l’Atlantique, soit une série de lignes de transport interprovinciales qui permettront de transporter de l’électricité propre entre le Québec, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse.
Ottawa, qui dit négocier avec les provinces et les services publics pour l’avancement de ce projet, espère qu’il se matérialisera d’ici 2030.