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Roxham, du rêve au désespoir

Laissés à eux-mêmes, perdus, parfois sans le sou, des migrants refoulés en sol américain encaissent la perte de leur rêve d’une nouvelle vie au Canada.

Un chaud manteau la couvre, une tuque enfoncée jusqu'aux oreilles.

Carlota et sa famille sont arrivés au chemin Roxham le 25 mars. Trop tard pour entrer au Canada.

Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

CHAMPLAIN et PLATTSBURGH, État de New York – « Je n’ai pas de maison ici, je n’ai rien, et c’est pour ça que je voulais traverser au Canada : pour y vivre. »

Assise sur un banc en béton devant l’aire de restauration d’une station-service de Plattsburgh, Carlota est perdue. Elle lève les yeux au ciel, regarde au loin. La jeune femme est soudain muette. Elle ne peut retenir ses larmes.

Attablée à l’intérieur, tout contre la vitrine qui reflète leur silhouette, sa fille de six ans déguste un beigne au sucre à pleine bouche en jouant sur le téléphone de son père, qui lui glisse quelques mots à l’oreille. Elle ne se doute de rien.

« Je ne veux pas retourner en Angola. On a emprunté une route très difficile pour arriver jusqu'ici. Je suis très déçue, très, très triste. »

— Une citation de  Carlota, une mère de famille angolaise

Carlota est arrivée au chemin Roxham samedi. Le 25 mars. Quelques heures à peine après l’entrée en vigueur de la nouvelle Entente sur les tiers pays sûrs, annoncée par le Canada et les États-Unis lors de la visite de Joe Biden, à Ottawa, après de longues négociations.

Impossible pour elle et les siens de rester au Canada en vertu de ce nouvel accord bilatéral qui encadre désormais tous les points d’entrée à la frontière, y compris les passages irréguliers.

La fin d’un monde. D’un rêve. De l’espoir d’une nouvelle vie auquel cette famille angolaise s’accrochait depuis son arrivée au Brésil, en janvier. En trois mois, ces gens ont franchi une dizaine de pays afin de gagner le nord du continent.

Le jour où on est arrivés, je pensais que c'était fini, cette souffrance, ce long voyage, que ma fille serait bien. On nous disait que le Canada recevait des immigrants et leur offrait une bonne vie. Maintenant, on est ici, perdus, confie-t-elle d’un ton abattu.

Chemin fermé, peut-on lire en anglais à l'entrée du chemin Roxham.

Depuis le 25 mars 2023, une nouvelle entente canado-américaine encadre les entrées irrégulières, par exemple au chemin Roxham.

Photo : Radio-Canada / Romain Schué

Des migrants perdus au poste frontalier américain

Carlota a passé près de deux jours en détention à la frontière au Canada avant d’être renvoyée aux États-Unis.

Arrêtés au chemin Roxham par les policiers canadiens, le couple et sa fillette ont été transférés dans les bureaux de l’Agence des services frontaliers à Saint-Bernard-de-Lacolle, devant le poste de douane, avant de passer la nuit dans un des nombreux conteneurs installés au bord de l’autoroute, destinés à accueillir temporairement les migrants.

Les agents canadiens les ont ensuite emmenés, comme tant d’autres personnes depuis quelques jours, dans les locaux de leurs collègues américains, quelques dizaines de mètres plus loin.

C’est à cet endroit que nous la rencontrons pour la première fois avec sa fille et son conjoint. Et Brialy, un Congolais qui a lui aussi les larmes aux yeux et qui rêvait d’une vie meilleure au Canada pour lui et ses six enfants, pour l’instant restés dans leur pays d’origine.

Des automobilistes attendent au poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle.

Des automobilistes attendent au poste frontalier de Saint-Bernard-de-Lacolle.

Photo : Getty Images / Don Emmert

Dans ce bâtiment où se présentent des touristes devant obtenir un visa pour entrer aux États-Unis, les demandeurs d’asile sont installés dans un coin, à côté d’une distributrice de boissons sucrées et de toilettes. Ils fixent le vide, immobiles.

Des agents américains leur tendent leur passeport, glissé dans une pochette plastique et dans une enveloppe brune, avec le logo du Canada. Vous pouvez partir, maintenant, leur indique un douanier en anglais.

Mais ni Carlota ni les deux autres demandeurs d’asile présents à leurs côtés ne parlent cette langue. Appelez un taxi, vous ne pouvez pas rester là, reprend l’agent devant des interlocuteurs incrédules, leurs valises déposées à leurs pieds.

Ces migrants n’ont pourtant personne pour venir les chercher ni cellulaire américain. Et aucun wifi n’est offert dans cet espace extrêmement sécurisé pour appeler un proche. Certains disent également n’avoir aucun moyen de paiement.

Un agent leur tend un téléphone de bureau. Et une carte professionnelle. Celle d’un chauffeur de taxi dont l’entreprise s’appelle Roxham Road Border. Un intitulé un brin ironique pour ces migrants renvoyés du chemin Roxham.

Ces demandeurs d’asile refoulés ne sont pas les seuls à être perdus. Visiblement désemparé, un agent américain évoque une situation folle que lui et ses collègues doivent maintenant gérer. On a eu des centaines de personnes, on ne sait pas quoi faire, lâche-t-il, assurant avoir de la peine pour les enfants présents.

Il décrit un bordel désorganisé. Les Canadiens nous les ramènent. C’est dur. Surtout qu’on a un problème pour se faire comprendre.

À la porte de l'autobus.

Brialy, Carlota et sa famille ont dû rebrousser chemin et retourner à Plattsburgh.

Photo : Radio-Canada / Yanik Dumont Baron

Un taxi pour repartir aux États-Unis

Carlota, sa famille et Brialy ont finalement pu grimper dans un autobus en provenance de Montréal qui s’est arrêté à la frontière avant de poursuivre sa route vers New York. Contre 20 $ comptant, le chauffeur a accepté de les raccompagner à Plattsburgh.

Ça fait mal. J’ai mal au cœur, je suis fâché, résume Brialy, qui souhaitait ramener ses enfants au Canada.

« Je ne suis pas un criminel, je n’ai rien fait de mal. C’était mon rêve d’aller au Canada. Je ne veux pas retourner au Congo. »

— Une citation de  Brialy, un père de famille originaire du Congo

À Plattsburgh, au même endroit où ils sont montés dans un taxi samedi pour le chemin Roxham, un autre chauffeur les emmène au Vermont. Peut-être iront-ils ensuite à Portland, indique Carlota en parlant des nombreux refuges dans le Maine pour les demandeurs d’asile.

Car ici, dans le nord de l’État de New York, il n’y a rien pour les accueillir. Même temporairement. Aucun refuge n’a été prévu pour tous ceux qui ne peuvent pas entrer au Canada.

Dans son bureau.

Michael Cashman, responsable de la municipalité de Plattsburgh, réclame de l’aide de la part de Washington pour aider ces migrants refoulés vers les États-Unis.

Photo : Radio-Canada / Romain Schué

Il s'agit là d'un problème majeur, selon des élus locaux, qui tentent d’alerter Washington.

« C’est une crise humanitaire, mais on n’a aucun plan. On sonne l’alarme. »

— Une citation de  Michael Cashman, responsable de la municipalité de Plattsburgh

À Plattsburgh, Michael Cashman réclame une aide rapide du gouvernement fédéral. On manque de logements, de nourriture, de services et de commodités pour prendre soin de ces gens, souligne ce superviseur municipal.

Les politiciens canadiens et américains ont simplement poussé le problème de l’autre côté, regrette-t-il. Nos deux gouvernements ont échoué à bien communiquer ensemble, à se coordonner. Ils ont échoué.

À ses yeux, couper les entrées au chemin Roxham pourrait avoir un impact désastreux. Certains vont essayer par les bois ou par les champs des agriculteurs, pense Michael Cashman en mettant l’accent sur la dangerosité de telles entreprises.

Une migrante sort ses bagages d'un autobus.

Si les chauffeurs de taxi sont toujours présents à Plattsburgh, les demandeurs d’asile sont de moins en moins nombreux à se rendre au chemin Roxham.

Photo : Radio-Canada / Romain Schué

Des exceptions possibles

Malgré cette nouvelle Entente sur les tiers pays sûrs, certaines personnes provenant des États-Unis peuvent toujours demander l'asile Canada, puisque des exceptions existent. Celles-ci concernent par exemple les mineurs non accompagnés ou encore des demandeurs qui ont des membres de leur famille au Canada.

Des taxis toujours présents

Le calme est désormais de retour au chemin Roxham.

À la station-service de Plattsburgh, les chauffeurs de taxi sont pourtant toujours là. Les mêmes depuis des années. Mais le lucratif commerce semble en voie de perdition.

Au petit matin, en ce début de semaine, une douzaine de migrants descendent d’un autobus, déterminés à gagner le Canada. Cinq voitures les attendent alors que le soleil n’a pas encore fait son apparition.

Vous allez à Roxham? lancent deux chauffeurs, qui se pressent devant la porte du véhicule.

Ces familles, ces couples, sont-ils au courant des nouvelles restrictions à la frontière? On ne le saura pas. Mais ils ne veulent pas mettre fin à leur périple au moment où ils sont si près du Canada.

Les chauffeurs leur proposent finalement d’aller directement au poste frontalier. Ça ne sert à rien d’aller à Roxham, explique un des chauffeurs.

Des numéros de téléphone sont échangés. Certainement pour venir les récupérer quelques heures plus tard, si le agents canadiens décident de les renvoyer aux États-Unis.

Avec la collaboration de Yanik Dumont Baron

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