Parler d’adoption pour briser des tabous

La pièce « D.écimées » raconte une histoire tirées de faits vécus.
Photo : Gracieuseté : Stéphane Bourgeois
Pour sa première pièce de théâtre en tant qu’auteure, Marie-Eve Chabot Lortie s’est attaquée à un sujet qu’elle connaît bien: l’adoption. Plus précisément, elle s’est intéressée à la réalité de l'adoption au Québec entre les années 1920 à 1970. Dans D.écimées, présentée jusqu’au 1er avril au Théâtre Périscope, on découvre une histoire fortement inspirée par le parcours de sa maman, Louise.
Louise Chabot a été adoptée à Québec alors qu’elle avait 7 mois. Sept décennies plus tard, c’est avec beaucoup d’émotions qu’elle a assisté à la première d’une pièce écrite et mise en scène par sa fille, Marie-Eve. La pièce raconte une quête absolument primordiale dans sa vie, et à laquelle Marie-Eve a pris part de différentes façons.
C’est assez fort de vouloir savoir d’où on vient. Moi, où ça m’a frappé le plus, c’est lorsque j’ai eu Marie-Eve. On savait qu’elle ressemblait beaucoup à son papa, mais je me disais que je ne pourrais pas lui raconter d’où je viens
, se rappelle Louise Chabot.
La pièce D.écimées s’articule autour de plusieurs personnes qui ont joué un rôle clé dans la quête d’identité de Louise Chabot. Sa famille adoptive, qu’elle décrit comme un trésor dans sa vie, est évoquée dès le début de la pièce.
C’est sûr qu’il y a des moments intenses [...]. Au début de la pièce, c’est normal, c’est venu me chercher. C’est ma maman adoptive qui est décédée, et j’annonce à la famille et à tout le monde présent que, moi, je remercie maman d’être venue me chercher à la crèche
, raconte Louise Chabot.
Près de 300 000 enfants auraient été placés en adoption au Québec entre 1920 et 1970. Marie-Eve Chabot Lortie présente bien dans sa pièce le contexte de l’époque quant aux enfants nés hors mariage; toutes ces femmes à qui leur famille demandait bien souvent de s’exiler pour aller accoucher dans un grand centre avant d’y confier leur enfant pour adoption.
On ne pouvait pas le garder. Ça mettait la honte sur la famille, et aussi, tout dépendant [de la situation], sur la communauté ou le village. [...] On disait qu’elles allaient travailler, étudier, admettons à Québec ou Montréal, alors qu’elles allaient y finir leur grossesse. Elles confiaient leurs enfants à l’adoption souvent bien malgré elles
, souligne l'auteure.
Durant le processus de création de sa pièce, celle-ci a rencontré plusieurs personnes ayant vécu l’adoption. Sept femmes adoptées ont pris part notamment à un projet de médiation qui leur a permis de témoigner de leur parcours.
La plus jeune des femmes de notre projet de médiation, elle a été adoptée à la fin des années 70. Et elle m’a dit avec un sourire immense [après avoir vu la pièce]: "Il y a, à un moment donné, comme un chœur des adoptés. Et à chaque phrase, je me retrouvais dedans. Je m’étais déjà dit ça, ou je me disais ça"
, raconte Marie-Eve Chabot Lortie.
L’auteure et metteure en scène reçoit ce genre de commentaires comme un gros cadeau
.
Ce spectacle-là, je l’ai fait pour le monde. J’avais envie, comme ç’a été un sujet longtemps tabou, comme on en parlait peu. Pour les mamans aussi, le poids de la honte ou du jugement, là, j’avais envie d’enlever ça, de lever le voile. Et cette honte-là – qui n’avait pas lieu d’être, parce que c’était comme ça, c’était la société – j’avais envie de l’enlever de leurs épaules.
Longues recherches
Après avoir essuyé un premier échec de retrouvaille en raison du refus de sa mère biologique de faire connaître son identité, en 1996, Louise Chabot a repris ses recherches, aidée par sa fille, deux ans avant le début de la pandémie. Tout ce qu’elles savaient alors était qu’elles avaient des origines autochtones de la Première Nation malécite (Wolastoqiyik) du Madawaska.
Demande de communication d’identité des parents biologiques et de la fratrie, tests d’ADN, rencontres avec des membres du Mouvement Retrouvailles. Mère et fille ont persévéré.
La présidente du Mouvement Retrouvailles, Caroline Fortin, qui évolue au sein du Mouvement depuis plus de 25 ans, a joué un rôle important dans leurs démarches de recherches. Marie-Eve Chabot Lortie a décidé d’en faire un personnage dans sa pièce afin d’expliquer de façon claire des enjeux importants en matière d’adoption.
En entrevue, Caroline Fortin se dit fière du chemin parcouru ces dernières années pour le droit aux origines.
La loi actuelle, qui découle de l’adoption du projet de loi 113, a facilité la tâche des personnes à la recherche de leur famille biologique.
Ça permet à la personne qui a été confiée à l’adoption, d’avoir son identité d’origine, et d’avoir l’identité de ses parents officiellement reconnus au dossier, à moins que ces personnes-là ou cette personne-là – c’est souvent plus la mère qui est identifiée au dossier – ait placé un veto sur la divulgation de son identité ou qu’elle ait par le passé refusé
, explique Caroline Fortin.
De plus, une nouvelle loi en matière d’adoption, qui sera mise en application en juin 2024, viendra corriger plusieurs lacunes, selon Caroline Fortin:Les vetos sur la divulgation de l’identité, tant pour l’adopté que le parent, vont être annulés dès que l’adopté atteint 18 ans. [...] Ça va aussi permettre aux descendants de première génération d’une personne adoptée, décédée, d’avoir aussi accès aux origines de son parent.
Toutefois, aux yeux de Marie-Ève Chabot Lortie, l’attente jusqu’en 2024 est trop longue.
Il faut comprendre que les mamans biologiques ont dans certains cas plus de 90 ans. Elles sont assez âgées. Donc, il y a une espèce d’urgence.
L’auteure cite également le cas d’une femme souffrant d’une maladie incurable et qui aimerait avoir le bonheur de connaître l’identité de sa mère avant de mourir. Cette attente-là, pour des gens qui cherchent depuis très longtemps, elle est difficile et éprouvante
, précise Marie-Eve Chabot Lortie.
Toucher et informer les gens
Le premier avril, Marie-France Ferland fera la route Montréal-Québec pour voir la pièce D.écimées, une deuxième fois, en compagnie d’une amie. Pour elle, qui a vécu l’adoption et une recherche identitaire pour trouver ses parents biologiques, cette pièce représente une belle façon de faire connaître la réalité de l’adoption.
C’est du théâtre documentaire. Ça nous informe beaucoup. C’est le propre du théâtre documentaire. Et ça fait vraiment le tour. C’est représentatif d’une démarche. [...] Ça illustre très bien les principales étapes que les gens vivent, les principales ressources auxquelles ils peuvent avoir accès, aussi
, note Marie-France Ferland.
Je pense que la pièce ouvre la discussion, et ça va sûrement contribuer quelque part, à un changement de mentalité. Ç’a l’air drôle à dire, un changement de mentalité, en 2023. On sait bien qu’on n’est plus dans les années 50, mais il n’en demeure pas moins qu’il demeure une petite gêne, un tabou. Tu ne veux pas déranger. Et il reste des séquelles de ça. Toutes les occasions de parler de ces enjeux-là sont importantes et pertinentes. Il peut y avoir des articles, des documentaires, mais le théâtre, ça touche les gens autrement
, de conclure Marie-France Ferland.
Et la quête de Louise Chabot dans tout ça? Qu’arrive-t-il à ce personnage principal de la pièce?
La famille que j’ai trouvée m'a dit: “Une demi-personne, ça n’existe pas. Donc tu n’es pas notre demi-sœur. Tu es notre sœur. Ça, c’est beaucoup
, relate Louise Chabot, avec un éclat lumineux dans le regard.
Oui! La pièce de théâtre D.écimées raconte une histoire très touchante, avec beaucoup d’amour, de sincérité et d’humanité.