Première sortie de la saison pour les crabiers de l’estuaire
Des bateaux de pêche qui quittent le quai de Rimouski pour prendre la mer.
Photo : Radio-Canada / Jean-Luc Blanchet
Ils étaient plus d’une trentaine de crabiers à s’élancer pour la première pêche de l’année à 5 h pile lundi matin. Pour beaucoup, ce départ de la flottille de la zone 17 sonne le vrai début du printemps dans le Bas-du-Fleuve.
Sur le quai de Matane, le matin était parfait. Sans vent. Une mer en huile
, observe le pêcheur Bertrand Desbois à quelques minutes de son départ. Son équipage fera deux voyages aujourd’hui pour étendre ses casiers.
La récolte ira à demain. Avant, on en [des casiers] levaient tout de suite la première journée. C’était fatigant. La journée après on était trop fatigués, on ne prenait pas le dessus
, raconte Bertrand Desbois.
Les premiers crabes frais devraient donc entrer mardi dans les poissonneries.
Les crabiers de la zone 17 – qui s’étend au sud de Rivière-du-Loup à Rivière-à-Claude, sur la rive sud, et englobe, au nord, la Haute-Côte-Nord et une partie du Manicouagan jusqu’à Pointe-des-Monts – sont les premiers à partir.
Ils seront suivis au début d’avril par les flottilles des zones 16 et 15 de la Côte-Nord. Pêches et Océans confirme d’ailleurs que le départ de la flottille de la zone 16 s’effectuera cette année le 1er avril.
Ceux de la Basse-Côte-Nord, la zone 14, qui va jusqu’à Blanc-Sablon, partent souvent les derniers, vers la fin d’avril, et même parfois seulement au début mai.
L'enjeu du départ dans la zone 12
Le secteur de pêche au crabe des neiges le plus important, c’est la zone 12.
C’est dans le golfe que se pêche le plus important quota de crabe des neiges. C'est d'ailleurs en hausse cette année avec possiblement un peu moins de 32 000 tonnes.
En comparaison, dans la zone 17, le total des captures autorisées est de 1400 t. cette année.
La zone 12 est fréquentée par les crabiers de la Gaspésie, des îles de la Madeleine, mais principalement par les pêcheurs de l’Acadie. Historiquement, le départ avait lieu dans les deux dernières semaines d’avril.
Depuis la présence plus considérable dans le golfe de la baleine noire, une espèce en voie de disparition, les crabiers du Québec demandent à partir plus tôt et même avant leurs collègues du Nouveau-Brunswick. Ces derniers doivent attendre que leurs quais soient libres de glace.
Les crabiers du Québec, prêts à partir au début d'avril, estiment qu'ils perdent ainsi de précieuses semaines de pêche qui seront ensuite perturbées par des fermetures de secteurs dès qu'une baleine fera son apparition.
Jusqu’à maintenant, Pêches et Océans Canada a privilégié un départ groupé, préférant investir pour déglacer les ports du Nouveau-Brunswick.
C'est la ministre des Pêches, Joyce Murray, qui a le dernier mot sur la date de départ des flottilles, comme c'est aussi elle qui tranche sur le plan de pêche, ce qui inclut le nombre de semaines de pêche ainsi que le total des captures autorisées.
Cette année, les crabiers comptent sur un départ dans les premiers jours d’avril, comme en 2021, en raison d’une moindre présence de glaces dans le golfe cet hiver.
Du crabe plus abondant dans le Saint-Laurent
Il y a cette année une hausse du total de captures autorisées dans presque toutes les zones de pêche, y compris celles de l’estuaire et de la Côte-Nord. Cette embellie dans l’estuaire et sur la Côte-Nord est toute récente.
Après un creux de quelques années, les populations de crabe des neiges, dont la croissance est cyclique, entament dans ces zones une nouvelle période de croissance.
La ressource se porte aussi très bien dans le golfe, selon Fabiola Akaishi, cheffe de la section crustacés du golfe pour Pêches et Océans Canada.
La dernière évaluation des stocks démontre que tous les indicateurs, recrutements, reproducteurs, sont élevés. Cette population est en hausse quasi constante depuis 2016.
Dans un contexte de changements climatiques, les biologistes surveillent de près la répartition de la population, très sensible à la température de l’eau. Aucun indicateur ne nous dit que la température plus chaude affecte les stocks pour l’instant. On continue de regarder, on fait la surveillance
, assure Mme Akaishi
Un marché plus difficile
L’an dernier, les pêcheurs de l’estuaire ont obtenu en début de saison des prix records. Le prix au débarquement est monté à plus de 8,50 $ à certains endroits.
En moyenne le prix payé s’est stabilisé en cours de saison pour redescendre à 6,76 $ la livre ce qui était légèrement moins bon qu’en 2021, où les crabiers avaient obtenu en moyenne 7,50 $.
Cette année, Bertrand Desbois s’attend à 4 $ à 5 $ de moins que l’an dernier. Le prix pourrait même descendre jusqu’à 2,25 $ la livre. C’est le monde à l’envers. L’année passée tout le monde était trop crinqué
, commente Bertrand Desbois. Un prix sous la barre des 3 $ n’a pas été vu depuis 2015.
La plupart des analystes estiment que le prix payé aux pêcheurs se réajustera en cours de saison.
L’an dernier, plusieurs transformateurs sont demeurés avec des invendus payés à fort prix. Certains entrepôts sont encore pleins.
Présent au début du mois au salon des produits marins de Boston, le conseiller sénior chez GimExport, André-Pierre Rossignol, explique que le prix actuel sur le marché américain est encore sous le prix payé par les usines en 2022.
Les usines sont donc devant un choix. Soit de vendre à perte ou probablement faire une moyenne avec les produits achetés cette année. Je m’attends à ce qu’au début de la saison les prix payés aux pêcheurs soient plus bas que l’an dernier, de manière à écouler la ressource de l’an passé
, observe André-Pierre Rossignol
Malgré l’inflation, le marché américain, où s’écoule 80 % du crabe des neiges, pourrait toutefois faire la part belle cette année au crabe canadien. L’an dernier, le crabe russe a été écoulé à bas prix en raison de l’embargo imposé par les Américains en représailles à l’invasion de l’Ukraine. Cette compétition sera absente cette année. De même que le crabe américain à cause de l’effondrement des stocks en Alaska.
Le crabe des neiges reste une valeur économique sûre pour le Québec. L’an dernier, la valeur au débarquement a atteint 196 M$, un sommet depuis 2017. Le crabe des neiges représentait en 2022, 42 % de la valeur de l’ensemble des débarquements de produits marins sur les quais du Québec.