Détenus canadiens en Syrie : Ottawa accuse le juge d’avoir mal interprété la Charte
La Cour fédérale a ordonné en janvier dernier le rapatriement de quatre Canadiens qui sont actuellement détenus dans le nord-est de la Syrie. (Archives)
Photo : Reuters / Goran Tomasevic
Le gouvernement canadien affirme qu'un juge fédéral a mal interprété la Charte des droits et libertés en ordonnant aux autorités d'obtenir la libération de quatre hommes détenus dans le nord-est de la Syrie.
Les avocats du gouvernement devraient faire valoir cet argument devant la Cour d'appel fédérale, lundi, tandis qu'ils cherchent à annuler une décision rendue en janvier par le juge de la Cour fédérale Henry Brown.
Dans sa décision, le juge Brown a déclaré qu'Ottawa devrait demander, dès que ce sera raisonnablement possible, le rapatriement des hommes qui sont dans des prisons syriennes gérées par les forces kurdes et leur fournir des passeports ou des documents de voyage d'urgence.
Le juge Brown a statué que les hommes ont également le droit d'avoir un représentant du gouvernement fédéral en Syrie pour aider à faciliter leur libération une fois que leurs ravisseurs auront accepté de les relâcher.
Le gouvernement affirme, dans des arguments écrits qui ont été déposés devant la Cour d'appel, que le juge a confondu par erreur le droit pour les citoyens d'entrer au Canada avec un droit de retour, créant ainsi un nouveau droit pour les citoyens d'être ramenés chez eux par le gouvernement canadien.
Les avocats fédéraux soutiennent que l'approche nouvelle et expansive
du juge Brown dépasse le texte, l'objectif et les intérêts protégés du droit d'entrer de la Charte, et qu'elle est incompatible avec le droit national et international établi.
Le gouvernement fait également valoir que le tribunal a usurpé le rôle de l'exécutif sur les questions de politique étrangère et de passeports.
Les actions obligatoires ne respectent pas le rôle propre de l'exécutif et l'empêchent de procéder à des évaluations nécessaires, opportunes et individualisées dans le cadre de son expertise sur une série de considérations complexes
, dit-il.
La décision du juge a été en grande partie suspendue pendant que l'appel suit son cours, mais Ottawa doit tout de même lancer le processus en entreprenant des contacts avec les forces kurdes qui détiennent les hommes dans une région récupérée des mains du groupe armé État islamique.
Des traitements qui seraient dégradants
L'un de ces hommes est Jack Letts, dont les parents, John Letts et Sally Lane, ont mené une grande campagne pour inciter Ottawa à lui venir en aide.
L'avocate Barbara Jackman, qui représente M. Letts, souligne dans un mémoire à la Cour d'appel que les quatre hommes canadiens n'ont été accusés d'aucun crime.
Ils n'ont pas eu accès aux nécessités de la vie et ont été soumis à des traitements dégradants, cruels et inhabituels pendant leur séjour cauchemardesque dans les prisons syriennes
, a-t-elle indiqué dans le document.
« Jack Letts a dit à sa famille et au gouvernement canadien qu'il avait été torturé et qu'il envisageait de mettre fin à ses jours. »
L'identité des trois autres hommes canadiens n'est pas connue publiquement.
Leur avocat, Lawrence Greenspon, affirme que la décision du juge Brown, selon laquelle le Canada devrait prendre des mesures pour faciliter le rapatriement des hommes, est une solution pratique, qui reconnaît le droit d'entrée inscrit dans la Charte.
La décision du juge Brown est complète et correcte en droit
, indique le mémoire de M. Greenspon à la Cour d'appel.
Dans ces rares circonstances, où des Canadiens sont arbitrairement détenus dans un pays étranger et où le gouvernement fédéral a été invité à prendre des mesures pour faciliter leur entrée au Canada, le tribunal a correctement statué qu'Ottawa devrait prendre ces mesures, ajoute le document.
Des familles rapatriées
Les membres de la famille des hommes, ainsi que plusieurs femmes et enfants, ont fait valoir lors de la procédure devant la Cour fédérale qu'Affaires mondiales Canada devait organiser leur retour, affirmant que refuser de le faire violait la Charte.
Le gouvernement a insisté sur le fait que la Charte n'oblige pas Ottawa à rapatrier les Canadiens détenus en Syrie.
Cependant, M. Greenspon a conclu un accord avec le gouvernement fédéral en janvier pour ramener à la maison 6 femmes canadiennes et 13 enfants qui avaient fait partie de l'action en justice.
Dans sa décision, le juge Brown a déclaré que les hommes canadiens ne sont pas en mesure de rentrer chez eux en partie parce que leur gouvernement semble n'avoir jamais officiellement demandé leur rapatriement
.
Ils ne peuvent pas jouir d'un exercice vraiment significatif
de leur droit garanti par la Charte d'entrer au Canada jusqu'à ce que le gouvernement fédéral fasse une demande officielle à l'Administration autonome du nord et de l'est de la Syrie en leur nom, a-t-il écrit.