Chemin Roxham : confusion et scepticisme du côté américain de la frontière
Il y a encore des demandeurs d'asile qui arrivent au Québec malgré la fermeture depuis minuit, samedi, du chemin Roxham à la suite d'un amendement à l'Entente des pays tiers sûrs.
Photo : Radio-Canada / Élyse Allard
Après une nuit agitée, le flot de demandeurs d’asile a ralenti au chemin Roxham à la suite de l’entrée en vigueur, samedi, à 0 h 01, d’un amendement à l’Entente sur les tiers pays sûrs (ETPS) qui permet aux agents frontaliers de refouler aux États-Unis tous les migrants qui ne répondent pas aux critères d’exception permettant d’entrer au Canada.
Les nouvelles règles n’ont pas mis totalement fin à l’arrivée des demandeurs d’asile, puisque dans la matinée de samedi, au moins une vingtaine de personnes sont entrées au pays en passant par cette route de Montérégie.
Plusieurs migrants qui se sont rendus jusqu'à la frontière ont appris le jour même que la réglementation avait changé ces dernières heures, à quelques kilomètres de leur rêve d’une vie nouvelle. Ils sont sous le choc, incertains quant à la suite des choses tant pour eux que pour les personnes qui les accompagnent.

Scènes déchirantes et confusion à la frontière avec les États-Unis. L'annonce de la fermeture du chemin Roxham a poussé de nombreux migrants à s'y ruer dans l'espoir de traverser la frontière avant minuit, alors qu'entrait en vigueur la nouvelle entente entre le Canada et les États-Unis. Depuis, près de 270 d'entre eux auraient quand même tenté leur chance. Marie-Isabelle Rochon s'est rendue du côté américain de la frontière.
Parmi eux, un Camerounais interviewé du côté américain de la frontière s’est montré plutôt philosophe à l’égard de l’entente qui redessine les règles du jeu à la frontière canado-américaine, longue de près de 9000 kilomètres.
« Si la nature m’a permis d’arriver ici, c’est parce que je peux avoir un futur ici. Pour moi et mes enfants, que j’ai laissés en Afrique d’ailleurs. »
L’homme, âgé d’une trentaine d’années, a fait un très long voyage, durant lequel il a traversé sept pays et vu des gens mourir.
Vous savez, on ne connaît pas ce qui nous attend. On cherche le meilleur, c’est tout
, a-t-il affirmé.
Était-il inquiet d’apprendre qu’il serait renvoyé aux États-Unis si sa situation ne correspondait pas aux exceptions prévues par l’ETPSdans les mains de Dieu
s’il est renvoyé aux États-Unis, ajoutant que, s'il doit retourner aux États-Unis, il ne peut que l’accepter
.
Pourquoi dit-on que le chemin Roxham est fermé?
Bien que le chemin Roxham ne soit pas bloqué par un obstacle physique, comme une clôture, nous utilisons tout de même le verbe fermer
pour qualifier son état comme l'ont fait les gouvernements récemment. En raison des modifications à l’Entente sur les tiers pays sûrs, les personnes qui le traversent pour demander l’asile au Canada seront désormais renvoyées aux États-Unis, sauf exception.
Les autorités locales sceptiques
Du côté américain de la frontière, les autorités locales ont été surprises par l'annonce de la fermeture du chemin Roxham. Si elles souhaitaient depuis un moment une solution, elles auraient aimé avoir plus de temps pour s'y préparer, a expliqué le législateur de l'État de New York, Billy Jones. Il s’est rendu à la frontière samedi pour voir comment les choses se passaient et demander au gouvernement américain de fournir des ressources à la région pour s'occuper des personnes qui ne peuvent plus se rendre au Canada. Il était accompagné d’un représentant de la ville de Plattsburgh.
« Le fait d’annoncer à 10 ou 12 heures de préavis la fermeture de cette route pourrait entraîner des problèmes pour les communautés qui habitent le long de la frontière canado-américaine. »
Inquiétude pour les migrants coincés aux États-Unis
La nouvelle est arrivée si rapidement que les organismes et les associations américaines qui viennent en aide aux migrants n’ont pas eu le temps de mettre en place des solutions à l’intention des nombreuses personnes qui seront retournées en sol américain.
Il faudra des ressources pour loger et nourrir tous ces migrants, disent-ils.
Les organismes ont bien mis à jour l’information sur leur site Internet, mais les gens qui sont sur la route n’ont pas toujours la possibilité d’avoir accès aux renseignements récents.
C’est ce qui est arrivé à une petite famille, partie il y a deux mois de Colombie et qui est arrivée samedi matin au chemin Roxham. Le trio était sur la route depuis deux mois et n’avait donc pas eu connaissance du changement. Les parents et leur bambin ont été pris de court devant la fermeture de la frontière canadienne.
Le voyage a été long et coûteux, a expliqué Samara, une autre migrante qui s’est présentée après la fermeture de la route. La jeune femme a dit ne pas savoir ce qu’il lui arrivera au cours des prochaines heures.
En état d’arrestation
Dès que les demandeurs d’asile franchissent la frontière, des policiers de la Gendarmerie royale du Canada (GRC) les avertissent qu’ils seront mis en état d’arrestation s’ils continuent d’avancer.
La procédure qui est prévue est d'amener toutes les personnes qui franchiront la frontière illégalement dans un centre de détention à Saint-Bernard-de-Lacolle. Une fois là-bas, elles seront interrogées par un agent frontalier qui décidera de leur sort, a expliqué en entrevue au Téléjournal, samedi, Me Stéphane Duval, chef national de la pratique en droit de l'immigration de McCarthy Tétrault.
Dans les cas où les demandeurs d’asile ne seraient pas autorisés à entrer au pays, ils seront accompagnés en voiture et remis aux douaniers américains.
Des exceptions
L’amendement prévoit des cas d’exception. Par exemple, un enfant mineur non accompagné ne sera pas renvoyé aux États-Unis. Également, les migrants qui ont de la famille établie au Canada ou les personnes qui détiennent des papiers officiels, comme un permis de travail ou d’études, seront admises au pays.
On parle de famille élargie, a poursuivi le juriste, que ce soit un parent, un enfant, un frère, une sœur, un neveu ou une nièce. Toutefois, le demandeur d’asile devrait être en mesure de le prouver.
Finalement, une autre exception concerne les personnes qui ont été condamnées à mort aux États-Unis. Elles seront autorisées à rester en sol canadien.
La nouvelle entente ne dissuadera pas les migrants de tenter d'entrer au Canada à l'extérieur des points d'entrée officiels, soutiennent pour leur part des groupes de défense de l'immigration de ce côté-ci de la frontière.
Restreindre l'accès à la frontière et empêcher les migrants d'accéder à un chemin sûr vers le Canada ne fera qu'encourager certains individus, a déclaré Abdulla Daoud, directeur général du Centre de réfugiés basé à Montréal, hier.
Ce type de prise de décisions dans le passé a mené à la création de nombreux réseaux de passeurs
, a souligné M. Daoud en entrevue à La Presse canadienne.
Le Canada n'a jamais vraiment eu à composer avec cela, a-t-il ajouté, mais maintenant, je pense que nous allons voir les chiffres augmenter parce que ces individus mal intentionnés ne vont pas disparaître.
Avec les informations de Marie Isabelle Rochon, de CBC et de La Presse canadienne