Une nuit achalandée au chemin Roxham

Des demandeurs d'asile se précipitent au chemin Roxham pour traverser au Canada avant la fermeture officielle.
Photo : Radio-Canada / Xavier Savard-Fournier
L’annonce de la fermeture imminente du chemin Roxham a poussé des dizaines de demandeurs d’asile à effectuer sans plus attendre la traversée, vendredi soir. Depuis minuit, ceux qui tentent d’emprunter le passage sont accueillis par des agents de la Gendarmerie royale du Canada (GRC).
Tôt samedi matin, des réfugiés se présentaient, hésitants, devant des agents postés au chemin Roxham. Ce n’est pas un point d’entrée officiel. Si vous traversez ici, vous serez arrêtés
, a fermement lancé à leur endroit un policier, devant les caméras de Radio-Canada.
Près de 270 migrants auraient tenté le passage après la fermeture du chemin Roxham, selon nos sources. Suivant le protocole établi, ils ont été arrêtés et transportés au point d’entrée officiel le plus près, à Saint-Bernard-de-Lacolle.
Pourquoi dit-on que le chemin Roxham est fermé?
Bien que le chemin Roxham ne soit pas bloqué par un obstacle physique, comme une clôture, nous utilisons tout de même le verbe fermer
pour qualifier son état comme l'ont fait les gouvernements récemment. En raison des modifications à l’Entente sur les tiers pays sûrs, les personnes qui le traversent pour demander l’asile au Canada seront maintenant renvoyées aux États-Unis, sauf exception.
Ils ont alors été interrogés par les agents des services frontaliers qui détermineront, selon l’examen de leurs dossiers, s’ils peuvent ou non entrer au Canada. Ceux qui ne répondent pas aux critères seront refoulés automatiquement aux États-Unis.
Quelques heures plus tôt, avant le dévoilement d’un large panneau interdisant l’entrée au Canada aux abords du chemin Roxham, plusieurs demandeurs d’asile ont effectué la traversée.
C’est le cas de Pamela Memengi Maiala, une Congolaise de 37 ans. Lentement, mais sûrement, avec ses deux jeunes enfants et ses six valises, elle a réussi à gagner le Canada. Après avoir appris que le point d’entrée serait fermé à minuit, elle s’est précipitée pour pouvoir s’y rendre à temps. Vers 23 h 20, en compagnie d’autres migrants, elle a finalement atteint la destination finale d’un long voyage entrepris il y a 18 mois. Malgré le froid et le noir, ses yeux brillaient d’espoir.
Un Sénégalais qui est passé par le Brésil pour venir au Canada a été l’un des derniers à emprunter le chemin Roxham.
Il est presque minuit, a-t-il lancé, soulagé, à son entrée au pays. J’ai toujours voulu venir ici, pour pouvoir mieux vivre que dans le pays que j’ai quitté où il y a beaucoup de problèmes. Des problèmes publics, politiques.
D’autres ont eu moins de chance et n’ont pu se présenter avant la fermeture du point d’entrée que de milliers de demandeurs d’asile ont emprunté depuis 2017 pour se rendre au Canada.
C’est le cas d’un Pakistanais rencontré par Radio-Canada, dont le chauffeur de taxi s’est égaré en route vers le chemin Roxham. Il espère que les autorités canadiennes seront clémentes à son endroit. S’il vous plaît, aidez-moi pour que je puisse me trouver une nouvelle maison
, a-t-il lancé.
Olivier Nanfah, un Camerounais de 42 ans, est lui aussi arrivé trop tard. Depuis un an, il a franchi une douzaine de pays pour se rendre au Canada où il croyait pouvoir trouver une vie meilleure. Au cours de son long périple, qui l’a notamment mené au Brésil, en Bolivie, au Pérou, au Honduras, au Nicaragua et au Mexique, il a affronté de nombreux périls et a même perdu des compagnons de voyage. Il n’a appris qu'à quelques kilomètres de sa destination ultime que le chemin Roxham était fermé. Mais, après tout ce chemin, il refuse de baisser les bras.
On ne connaît pas ce qui nous attend. On ne cherche que le meilleur, c’est tout. Si on me renvoie aux États-Unis, je ne peux qu’accepter, a-t-il lancé. Si la nature m’a permis d’arriver ici, je pense que je peux avoir un futur au Canada [...] Je souhaite qu’un jour, je puisse entrer et que ma femme et mes enfants puissent me retrouver.
L’espoir côtoie donc l’inquiétude chez ces demandeurs d’asile, dont le sort paraît on ne peut plus incertain. Des passeurs rencontrés se désolaient pour eux.
Une famille devait arriver d'Afghanistan demain et nous devions les retrouver à 11 h à Burlington
, raconte un jeune homme, qui avait l’habitude de transporter des demandeurs d’asile avec sa voiture contre rétribution.
Où vais-je les amener? Je ne peux les emmener nulle part. Ça va perturber beaucoup de choses. Les gens ont peur, car ils n’ont pas d’autres options
, dit-il.
Des groupes de migrants venus du Kazakhstan, du Congo, du Tchad, de la Colombie, d'Haïti, de la Turquie ont été refoulés au chemin Roxham au cours de la nuit. Certains ont appris à leur arrivée que le passage était fermé.
Des passeurs et chauffeurs de taxi ont eu la lourde tâche de les informer de la nouvelle. Deux autobus complets de migrants, débarqués dans une station-service de Plattsburgh vers 4 h du matin, ont vu leurs plans bouleversés à quelques kilomètres de l’arrivée.
Ces gens ont vendu tout ce qu’il possédait pour aller au Canada et maintenant ils sont coincés, a lancé un passeur. Ce n’est pas bien ce qu’ils [les autorités] font.
Une victoire pour le Québec
La fermeture du chemin Roxham avait fait l’objet d’une entente entre le Canada et les États-Unis il y a près d’un an. Le premier ministre Justin Trudeau a finalement procédé à l’annonce vendredi soir, pendant la visite du président américain Joe Biden à Ottawa.
Des leaders politiques, tant fédéraux que provinciaux, ont applaudi cette décision, qu’ils réclamaient depuis longtemps. Le premier ministre François Legault n’a pas hésité à qualifier la mesure de très belle victoire pour le Québec
.
Le Québec subissait les contrecoups de ces arrivées très, très importantes de demandeurs d’asile qui entraient de manière irrégulière. Ça créait une pression vraiment énorme sur les groupes qui accompagnent les personnes immigrantes pour faciliter leur intégration
, a expliqué la ministre québécoise de l’Immigration, Christine Fréchette, en entrevue à RDI, samedi matin.
Ça créait une pression également sur les services gouvernementaux, en matière d’éducation, de santé, de services sociaux par exemple. Tout ça va être allégé avec la renégociation de l’entente [sur les tiers pays sûrs], car il n’y aura plus la possibilité de passer par le chemin Roxham [...] Il fallait trouver une solution rapide et durable à ce problème-là
, a ajouté la ministre Fréchette.
L’accord entre le Canada et les États-Unis compliquera effectivement les entrées irrégulières au pays en actualisant l'Entente sur les tiers pays sûrs. Celle-ci s’appliquera maintenant aux 8900 kilomètres qui séparent les deux États, en transformant toute la frontière commune en passage officiel.
Des milliers de migrants ont réussi à contourner la règle ces dernières années en traversant la frontière à pied à certains endroits non officiels, comme le chemin Roxham, en Montérégie.
En 2022 seulement, 39 171 personnes ont traversé irrégulièrement la frontière, selon le nombre d'interceptions faites au Québec rapportées par la Gendarmerie royale du Canada.
Dorénavant, ceux qui entrent illégalement au Canada par le chemin Roxham ou par un autre passage irrégulier pourront être arrêtés et expulsés du territoire dans les 14 jours suivants.
L’accord prévoit toutefois que le Canada accueillera 15 000 migrants dans la prochaine année par les canaux officiels.
La fermeture du chemin Roxham suscite beaucoup d’inquiétudes au sein d’organisations et de groupes qui œuvrent auprès des migrants. Plusieurs croient que la mesure ne découragera pas les demandeurs d’asile à faire la traversée et les poussera à prendre davantage de risques.
Avec les informations d'Élyse Allard, de Xavier Savard-Fournier, de CBC et de La Presse canadienne