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Analyse

Est-ce vraiment le bon moment de baisser les impôts au Québec?

Eric Girard parle, debout à l'Assemblée nationale.

Le ministre Eric Girard a confirmé mardi que le gouvernement Legault allait tenir sa promesse électorale de baisser les impôts.

Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot

Malgré les déficits et la hausse de la dette du Québec, le gouvernement Legault a décidé, cette semaine, de respecter la promesse phare de sa dernière campagne électorale : une baisse d’impôt représentant une dépense de 1,7 milliard de dollars par année et de plus de 9 milliards sur six ans. Si le peuple a voté pour ça, le gouvernement en a-t-il pour autant les moyens?

Juste avant de commencer notre entretien durant le huis clos budgétaire à Québec, mardi, le ministre des Finances, Eric Girard, m’a demandé si je m’étais réconcilié avec la baisse d’impôt promise et maintenant annoncée.

Je ne me rappelle pas avoir donné un avis en faveur ou en défaveur de la baisse d’impôt. Mais je me rappelle très bien en avoir parlé abondamment, surtout à l’émission Zone économie, parce que ce choix mérite d’être débattu, analysé, soupesé, étant donné tout ce qu’implique une baisse d’impôt.

Ce choix fiscal est politique; il était au coeur de la plateforme électorale de la Coalition avenir Québec (CAQ). Respecter ses promesses électorales est un geste digne. Mais ça ne veut pas dire pour autant que c’est le bon geste économique et fiscal à poser. Dire qu’on baisse les impôts parce qu’on l’a promis n’est pas une justification complète de la décision.

Parmi toutes les critiques entendues dans les derniers jours au sujet de la baisse d’impôt, certains ont dit que cet argent aurait dû être réinvesti en santé ou en éducation. D’autres se sont interrogés sur le moment choisi pour procéder à cette baisse d’impôt. Le gouvernement du Québec aurait-il dû reporter sa baisse d’impôt?

Le budget du Québec 2023-2024 tenu dans une main.

Le budget du Québec 2023-2024 a été déposé à l'Assemblée nationale cette semaine. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Sylvain Roussel

Question de « timing »

Le premier ministre s’en est pris au PDG du Conseil du patronat du Québec, qui a remis en question le « timing » de la baisse d’impôt, en affirmant qu’il est proche du Parti libéral du Québec. Karl Blackburn a répondu au premier ministre mardi soir à Zone économie, se montrant choqué par les sous-entendus du chef du gouvernement et précisant, du même coup, qu’il n’avait pas du tout l’intention de se lancer en politique.

Le premier ministre sait très bien que le PDG du Conseil du patronat n’a pas d’autre choix que de parler au nom de ses membres, et qu’il ne pourrait pas défendre la position qui est la sienne s’il n’avait pas les appuis nécessaires pour le faire. C’est comme ça dans le monde patronal, c’est comme ça dans le monde syndical. Et ce l’est aussi en politique. Il faut suivre la ligne de parti!

Il faut bien comprendre que le Conseil du patronat s’interroge sur le moment choisi pour réduire les impôts, et non pas sur la réduction en soi des charges fiscales, continuellement réclamée par les milieux d’affaires. La remise en question du Conseil du patronat n’est visiblement pas idéologique; elle ne remet même pas en question le choix politique comme tel, qui est celui de baisser les impôts plutôt que d’injecter plus d’argent dans les services publics.

La question qui se pose est simplement de savoir s’il est approprié de baisser les impôts, alors que le gouvernement multiplie les déficits et ne prévoit pas de retour à l’équilibre budgétaire avant 2027-2028. Est-il approprié de détourner ces revenus destinés au Fonds des générations vers des baisses d’impôt, ce qui va contribuer, avec les investissements supplémentaires annoncés dans les infrastructures, à une hausse du ratio de la dette par rapport au PIB cette année, de 37,4 % à 37,7 %?

Le premier ministre François Legault en point de presse devant le micro.

Le premier ministre du Québec, François Legault, répondait mercredi matin aux questions des journalistes sur le budget de la CAQ présenté la veille. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Sylvain Roy Roussel

En même temps, le ministre Girard affirme que sa baisse d’impôt va stimuler l’économie de 0,3 point de pourcentage à court terme, à un moment où une récession se profile à l’horizon. En ce sens, cette baisse d’impôt pourrait-elle tomber à point nommé?

Mais, malgré les mois de récession qui s’annoncent, veut-on vraiment stimuler l’économie, alors que la priorité est de battre l’inflation? Le taux d’inflation est de 5,6 % au Québec, plus élevé que la moyenne canadienne, à 5,2 %, et que le taux en Ontario, à 5,1 %. Le taux d’inflation est de deux à trois fois plus élevé que la cible de 2 % visée par la Banque du Canada.

Les baisses d’impôt se feront sentir dès juillet dans le portefeuille des Québécois, après l’injection d’environ 9 milliards de dollars de mesures fiscales en 2022.

Des besoins criants

Revenons aux propos du premier ministre à l’endroit du PDG du Conseil du patronat. Ce n’est pas la première fois que François Legault choisit de personnaliser les enjeux plutôt que de discuter du fond des choses. Et il n’est pas le seul à le faire, d’ailleurs.

En réponse à la mairesse de Montréal, Valérie Plante, qui a exprimé sa déception quant aux faibles investissements dans le logement social et le logement abordable, la ministre de la Solidarité sociale et de l’Action communautaire, Chantal Rouleau, a déclaré que Mme Plante veut toujours plus d’argent.

Valérie Plante s'adresse aux journalistes.

La mairesse de Montréal Valérie Plante estime que le gouvernement Legault a choisi, dans son dernier budget, d'ignorer la crise du logement et le financement à long terme des sociétés de transport en commun. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada

Plusieurs ont vu dans ces commentaires arrogance et mépris. Ces propos témoignent surtout d’un manque de compréhension des enjeux économiques liés au logement. La pénurie de logements est bien réelle, chez nous comme ailleurs au pays, et les conditions du marché favorisent une hausse marquée des loyers.

En annonçant la construction de seulement 1500 nouveaux logements abordables, le ministre Girard en a déçu plus d’un. Le gouvernement affirme que le Crédit d’impôt pour solidarité sera majoré de 78 $ sur la composante logement pour aider les personnes qui en bénéficient à payer leur loyer. Mais est-ce bien suffisant, Monsieur le Ministre?

Cette décision laisse croire que le gouvernement Legault ne prend pas la crise du logement au sérieux, alors que des dizaines de milliers de ménages sont en attente d’un logement, la majorité dans la grande région de Montréal.

Les économistes Robert Hogue et Rachel Battaglia, de la RBC, publiaient justement des données alarmantes, cette semaine, sur le manque de logements locatifs au Canada. Le taux d’inoccupation des logements locatifs est actuellement de 1,9 % au pays, alors que la hausse importante des niveaux d’immigration au Canada alimente la demande.

De plus, avec la hausse radicale des taux d’intérêt depuis un an, un nombre grandissant de ménages n'est plus en mesure d’avoir accès à la propriété et se tourne vers le marché locatif, ce qui alimente encore davantage la demande.

Au rythme actuel, il manquera 120 000 logements locatifs au Canada en 2026, selon la RBC. Les économistes de l’institution affirment qu’il faudrait construire 332 000 logements d'ici là pour espérer ramener le taux d’inoccupation des logements locatifs à un niveau jugé raisonnable de 3 %.

La hausse des taux d’intérêt, l’inflation, la réduction de l’accès à la propriété, la hausse des loyers, tous ces facteurs contribuent à une hausse marquée du nombre de travailleurs qui occupent plus d’un emploi dans le marché.

La précarité est au rendez-vous pour de nombreux ménages, qui auraient sans doute apprécié un appui un peu plus senti de la part de leur gouvernement.

Il faut se demander pourquoi des contribuables plus fortunés auront droit à une baisse d’impôt de 814 $, alors que sévit une crise du logement et que bien des citoyens espèrent de tout coeur ne jamais avoir à visiter un hôpital, ces jours-ci, et se retrouver dans un système de santé aux prises avec des problèmes structurels, profonds et inquiétants.

S’il est légitime de vouloir réduire les charges fiscales, comme la CAQ l’a promis, il est tout aussi légitime de se demander s’il s’agit du bon moment pour mener une telle politique et si nous en avons réellement les moyens.

Le gouvernement ne devrait-il pas s’assurer d’aider adéquatement les moins nantis et de faire fonctionner efficacement les services publics avant de réduire sa portée fiscale en abaissant, comme jamais, ses impôts?

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