La crise immobilière hante les cimetières

Le cimetière Pacific Heritage à Burnaby
Photo : Radio-Canada / Ben Nelms (CBC)
La bataille d’une veuve pour revendre un espace funéraire inutilisé au prix courant témoigne de l’ampleur de la crise immobilière de la région métropolitaine de Vancouver.
Tout commence il y a un peu plus de 25 ans, lorsque John Douglas Carnahan achète les droits de deux terrains funéraires dans le coin nord-est d'un cimetière vallonné de Burnaby, en Colombie-Britannique. À l'époque, chaque emplacement coûte 750 $. Au fil des années et de la raréfaction de l'espace, le coût d'une seule parcelle dans le même cimetière a grimpé à plus de 10 000 $.
En 2021, M. Carnahan décède à l’âge de 91 ans. Sa veuve, Sheila Carnahan, décide de ne pas utiliser les parcelles, mais plutôt de les revendre. L'événement marque le début de sa bataille pour le droit de se départir des parcelles en privé à n'importe quel acheteur à la valeur marchande du moment.
L’affaire se retrouve en Cour Suprême de la Colombie-Britannique. Selon les experts, ce cas prouve à nouveau que la crise immobilière de la région dépasse les maisons et condos et qu’elle s’étend aux cimetières.
Nous manquons d'espace, en particulier dans le Grand Vancouver
, lance Bill Pechet, architecte et concepteur de cimetières depuis trois décennies.
« Tout comme nous avons une crise du logement pour les vivants, nous rencontrons également une crise du logement pour ceux qui veulent être enterrés. »
Litige dans la vente d’emplacement funéraire
Le contrat d’achat des deux parcelles au cimetière Pacific Heritage signé en mars 1998 contenait une clause qui stipulait que les directeurs de cimetière peuvent
racheter les parcelles du propriétaire au prix d'achat initial. Après la mort de son mari, Mme Carnahan a contacté le cimetière pour connaître les modalités de revente privée à un tiers acheteur.
Selon sa réclamation, le personnel du cimetière lui a signifié, dans un courriel en octobre dernier, que, d’après ses statuts, elle ne pouvait revendre ses parcelles au cimetière qu'au prix d'achat initial de 750 $ chacune.
Sheila Carnahan a fait valoir que le cimetière avait mal interprété
ses propres règlements, parce que la clause affirmait que les administrateurs du cimetière peuvent racheter
des parcelles et non doivent acheter
.
Les demandeurs affirment que la position prise par le [cimetière], bien qu'invalide en droit, empêche effectivement une vente à des tiers parce que le [cimetière] contrôle le registre de propriété et le fonctionnement du cimetière, y compris la préparation de la tombe pour son utilisation
, mentionne la poursuite. Dès lors, le [cimetière] pourrait effectivement empêcher le nouveau propriétaire d'utiliser la parcelle
.
Le cimetière n'a pas encore répondu à cette plainte déposée devant le tribunal.
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Des droits d'inhumation vendus à perpétuité
En Colombie-Britannique, acheter un terrain funéraire revient simplement à acheter le droit d'inhumation. Ce qui signifie qu'un acheteur paie pour le droit d'être enterré dans l'espace, mais n'acquiert pas le terrain lui-même.
Ces droits sont vendus à perpétuité, de sorte que les acheteurs peuvent détenir des parcelles aussi longtemps qu'ils le souhaitent, à moins qu'une parcelle ne soit vide depuis plus de 50 ans et que le titulaire des droits ait plus de 90 ans, auquel cas un cimetière peut lancer le processus complexe de récupération de l'espace.
Le spectre de la spéculation
Dans la région de Vancouver, la plupart des cimetières sont pleins ou presque pleins. Les valeurs des espaces funéraires suivent la tendance immobilière de la dernière décennie. Sur les sites tels que Craigslist et Kijiji, ces emplacements sont mis en vente dans la région pour une valeur établie entre 5000 $ et 50 000 $.
Ces reventes sont devenues monnaies courantes. Alors, l’organisme Consumer Protection B.C. en appelle à la prudence et encourage les acheteurs à vérifier attentivement les annonces en ligne pour s'assurer que les cimetières autorisent les ventes privées.
La planification remise en question
La crise du logement que nous rencontrons est le résultat de notre incapacité à nous développer horizontalement parce que nous rencontrons les montagnes d'un côté et l'océan de l'autre
, explique l’architecte Bill Pechet.
« Nous avons une pénurie de terrains pour le logement, et les espaces de cimetière sont une forme de logement. »
Pour une raison quelconque, la région de Vancouver semble avoir beaucoup moins d'espaces de cimetière à cause de la planification que la plupart des autres municipalités
, croit Glen Hodges, qui gère le seul cimetière de Vancouver, Mountain View.
Limiter le séjour de la dernière demeure
Certains pays européens, comme la Suisse, la Suède, l'Italie, la France et l'Allemagne limitent les baux de cimetière entre 3 et 30 ans pour libérer davantage d’espaces. En Espagne et au Royaume-Uni, les restes peuvent être déplacés après un certain temps afin que la parcelle puisse être recyclée et ensuite revendue. Le cimetière de la ville de Londres, par exemple, réutilise des tombes laissées intactes après 75 ans.
En 2019, la Ville de Vancouver a adopté une série de règlements pour mieux utiliser le moindre centimètre carré de son unique cimetière. Les emplacements du cimetière Mountain View peuvent désormais être partagés par plusieurs familles. Par ailleurs, le cimetière peut décider à quel moment réunir les ossements de différents défunts dans un même espace.
Bill Pechet suggère que la province envisage des cimetières verticaux, à l’instar du Japon, ou alors qu’elle trouve un moyen d'intégrer des lieux de sépulture dans des parcs publics. Le recyclage pourrait également être une option. Selon l’architecte, la créativité et l’innovation
sont inévitables
dans ce domaine aussi.
D'après un article de Rhianna Schmunk