À la découverte du quartier noir disparu de Windsor

Défilé de l'émancipation à Windsor sur l'avenue Ouellette à la fin des années 1950.
Photo : Bibliothèque Leddy, archives et collections spéciales
Une exposition numérique met en lumière l'histoire de l'ancien quartier noir de Windsor, détruit dans les années 1960.
Appelé le corridor de la rue McDougall, ce quartier du centre-ville correspond aujourd'hui à la promenade Riverside Est au nord, la rue Goyau à l'ouest, la rue Giles Est au sud et l'avenue Howard à l'est.
Il n'en reste aujourd'hui que très peu de traces, mais comme le montre l’exposition virtuelle We Were Here (Nouvelle fenêtre), le corridor a été animé et dynamique pendant près d'un siècle avant de disparaître sous l'effet d'une nouvelle politique d'aménagement urbain.
Pour Willow Key, étudiante au département d'Histoire de l'Université de Windsor qui a mené les recherches à l'origine de l'exposition, celle-ci montre avant tout la résilience d'une communauté qui a perdu son quartier au nom du progrès
.
La naissance d'un quartier
C'est peu de temps après 1833, au moment où l'Empire britannique abolit l'esclavage, que la ville de Windsor devient le refuge, comme d'autres municipalités de la région, de nombreux anciens esclaves fuyant les États américains restés esclavagistes par le Chemin de fer clandestin.
Jusqu'à la fin de la guerre de Sécession et l'abolition de l'esclavage aux États-Unis, les fugitifs continuent d'affluer de ce côté-ci de la rivière Détroit, renforçant progressivement la communauté noire dans la région.
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À leur arrivée, ces hommes et ces femmes sont logés dans des baraquements de l'armée. Ceux qui décident de rester à Windsor s'installent le long de l'avenue Windsor et des rues McDougall et Mercer, entre la rivière Détroit et la rue Wyandotte. Ce secteur devient alors le cœur du corridor de la rue McDougall qui va par la suite s'étendre au-delà de la rue Érié.
Une communauté vibrante
Au tournant du siècle, le quartier compte plusieurs églises, des écoles et des commerces.
Au nombre de ces enseignes, l'hôtel Walker House, le premier hôtel de Windsor qui appartient à des Noirs et offre un hébergement sûr aux voyageurs noirs, qu'ils soient Canadiens ou Américains, à partir des années 1885.
L'école Mercer est aussi un lieu très prisé pour l'éducation des enfants de la communauté.
Les résidents s'organisent également pour avoir une voix politique. Parmi les nombreuses initiatives qui visent essentiellement à faire face à la ségrégation raciale, trois groupes parviennent à influencer la législation locale et provinciale en matière de droits civils et de droits de l'homme : la Central Citizen's Association (1928), le Windsor Interracial Council (1947) et le Guardian Club (1960).
En 1941, la population noire de Windsor s'élève à plus de mille personnes. Dans les années 1950, ce sont environ 250 familles. Le corridor de la rue McDougall offre à l'époque un espace où la communauté peut vivre à l'abri de la discrimination, notamment en matière de logement.
Il faut dire qu'à l'époque, la Ville applique une politique ségrégationniste qui empêche les résidents noirs d'acheter ou louer une maison dans plusieurs quartiers. Cette pratique encourage aussi les familles noires à rester dans le corridor de la rue McDougall. La surpopulation dans les logements devient alors monnaie courante.
La fin d'une communauté
À la fin des années 1950, Windsor veut se lancer dans un programme de rénovation urbaine. À l'instar d'autres municipalités comme Toronto ou même Halifax, on veut moderniser les espaces et se débarrasser des quartiers considérés comme délabrés
.
En 1959, Windsor reçoit des fonds fédéraux et provinciaux pour aller de l'avant avec ses projets qui visent aussi à stimuler l'activité touristique au centre-ville. De nombreuses maisons du corridor de la rue McDougall sont alors saisies puis démolies.
À la place des maisons individuelles, des logements sociaux sont construits. Ceux-ci sont toutefois souvent trop petits pour accueillir les familles de la communauté noire qui sont à l'époque trois à quatre fois plus grandes que dans les autres communautés.
Les résidents sont forcés de déménager dans d'autres quartiers de Windsor, mais la politique de logement municipal discriminatoire va en pousser plus d'un à partir pour Détroit ou Toronto.
Malheureusement, la communauté ne s’en est jamais remise et les liens entre les membres se sont détériorés
, explique Willow Key, qui a elle-même de la famille qui habitait sur la rue McDougall.
Un projet pour changer les mentalités
Selon elle, ce qui s'est passé à Windsor est loin d'être isolé. D'autres communautés noires au pays, mais aussi d'autres groupes ethniques, ont vécu des expériences similaires.
Ces événements sont au centre de l’histoire canadienne. Ils montrent que des décisions politiques des années 50 et 60 ont touché des communautés vulnérables au pays. Ces erreurs du passé devraient nous servir dans notre réflexion pour la création de futurs centres urbains
, indique l'étudiante qui espère que ses recherches et l'exposition We Were Here pourront être des guides dans ce domaine.
Un souhait que partage Sarah Glassfor, archiviste de la Bibliothèque Leddy de l'Université de Windsor.
Les développements des années 60 sont controversés à Windsor. Les gens qui ont été touchés faisaient partie de minorités ethniques. C’est une histoire de justice et j’espère que les attitudes et les perspectives vont changer
, indique-t-elle.
En plus de l'exposition numérique, une application mobile devrait voir le jour en avril permettant de faire une visite autoguidée du quartier historique.
Avec les informations de l'exposition numérique We Were Here : Documenting Windsor's McDougall Street Corridor et de Cyrielle Delmas