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Contre le « manque de soutien », une élève milite pour encadrer les violences sexuelles

Alors que le ministre de l’Éducation vient tout juste de déclencher une enquête générale sur les inconduites sexuelles en milieu scolaire, une école secondaire de Sherbrooke est le théâtre d’une lutte pour améliorer son traitement envers les présumées victimes d’agressions sexuelles.

Amandine est devant une école secondaire et regarde la caméra.

Amandine Frère-Lefèvre se bat depuis des mois pour mieux soutenir les victimes de violences sexuelles dans les écoles secondaires.

Photo : Radio-Canada

Des dizaines de macarons ont récemment fait leur apparition à l’École secondaire du Phare, à Sherbrooke. On les voit sur des manteaux, des sacs à dos. « On vous croit », peut-on y lire. Derrière cette initiative : Amandine Frère-Lefèvre, qui se bat depuis des mois pour que les écoles primaires et secondaires de la province accompagnent mieux les élèves qui se disent victimes d’agressions sexuelles.

Les macarons, je les distribue aux élèves de l’école pour montrer qu'on fait un front commun pour soutenir les victimes d'agression sexuelle, lance d’un ton assuré l’élève de cinquième secondaire.

Un macaron sur lequel on peut lire la phrase ''on vous croit'' est épinglé sur un manteau.

Ces macarons ont récemment été distribués à l’École secondaire du Phare, à Sherbrooke.

Photo : Radio-Canada

Cinq jeunes filles se sont confiées à Amandine au cours des derniers mois. Elles auraient été agressées sexuellement par le même adolescent. Si les agressions se seraient déroulées en dehors du contexte scolaire, les présumées victimes devaient côtoyer leur présumé agresseur lorsqu’elles étaient à l’école.

L’an dernier, l’une d'entre elles a porté plainte à la police et la direction de l'école a été alertée. En attendant de savoir si des accusations seraient portées, des mesures d'éloignement ont été mises en place pour éviter qu'elle croise son présumé agresseur. Ces mesures sont tombées quand le Directeur des poursuites criminelles et pénales (DPCP) a annoncé qu'aucune accusation ne serait portée contre l’adolescent visé.

Amandine est bouleversée par le sentiment d'abandon vécu par son amie. Ça m'a vraiment détruit émotionnellement d'apprendre ça, que rien n’a été fait, confie-t-elle. J'ai été voir la direction, je l’ai contactée pour poser quelques questions. Si elle a obtenu quelques réponses, Amandine est restée sur sa faim et croit que l'école aurait pu en faire plus pour soutenir ses amies.

« Le message qui est souvent revenu, c'est que ce n'est pas à moi à faire ces démarches; c'est aux victimes de venir parler. Ça me semble irréaliste parce que, si moi j'ai de la misère à le faire et que je ne suis pas une victime, imaginez celles qui ont un traumatisme à gérer! »

— Une citation de  Amandine Frère-Lefèvre, élève de cinquième secondaire, École secondaire du Phare

Amandine n’est pas la seule qui a été alertée. Le Centre d'aide et de lutte contre les agressions à caractère sexuel (CALACS) confirme que trois élèves du même établissement sont venues chercher de l'aide.

Kelly Laramée est assise sur un bureau dans la classe d'une école secondaire.

Kelly Laramée est intervenante pour le CALACS Agression Estrie, un organisme qui vient en aide aux femmes victimes d'agression sexuelle.

Photo : Radio-Canada / Marion Bérubé

Ces victimes-là dénoncent avoir vécu une agression sexuelle, soutient l’intervenante du CALACS, Kelly Laramée.

Kelly Laramée accompagne du mieux qu’elle peut la jeune fille qui a porté plainte à la police. Entre les murs de l’école, les moyens d’actions de l’intervenante sont limités.

« Ce n'est vraiment pas évident quand tu arrives face à face avec ton agresseur dans un corridor. C'est à toi de changer de corridor. C'est à toi de changer de côté. »

— Une citation de  Kelly Laramée, intervenante, CALACS Agression Estrie

Au retour des fêtes, l’élève est épuisée et décide de terminer sa scolarité à la maison. Elle m'a nommé que c'était trop difficile, qu'elle était tannée de se battre pour être soutenue, pour être accueillie dans ce qu'elle vivait, révèle Kelly Laramée. Elle était découragée des démarches qu'elle devait faire.

« Aucun élève n'est laissé en plan »

Bien au fait des événements relatés à l'École du Phare, le secrétaire général du Centre de services scolaire de la Région-de-Sherbrooke (CSSRS), Donald Landry, reconnaît que la situation est délicate. Difficile d’intervenir lorsque les évènements se déroulent en dehors du contexte scolaire.

Le devant de l'École du Phare.

« C'est sûr qu'au niveau du soutien professionnel, il est possible pour nous d'offrir des services », mentionne Donald Landry du CSSRS.

Photo : Radio-Canada

On ne pourrait et ne voudrait pas intervenir dans la mesure où on n’a pas constaté nous-même les situations, explique-t-il. Ça deviendrait extrêmement délicat parce que ce serait les allégations d’une personne par rapport à celle d’une autre. Lors des situations qui se présentent dans nos écoles, on intervient et on agit, mais on ne peut pas commencer à enquêter dans des situations de sous-sol de maison.

« On ne peut pas s'attendre à ce que le réseau scolaire arbitre ce qui se passe le soir et les fins de semaine dans chacun des foyers, c’est absolument impossible. »

— Une citation de  Donald Landry, secrétaire général du Centre de services scolaire de la Région-de-Sherbrooke

Les élèves qui ont interpellé la direction [de l’École du Phare] ont été rencontrées, ajoute-t-il. On leur a offert des services. Maintenant c’est leur décision de donner suite à l’offre de service.

Une loi-cadre réclamée

Amandine a interpellé Christine Labrie pour l’informer de la situation. Choquée par ces allégations, la députée de Sherbrooke a contacté à trois reprises le CSSRS. Le directeur général, Sylvain Racette, a finalement accepté de la rencontrer au cours des prochaines semaines.

Quand ce sont les élèves eux-mêmes qui sont rendus à nous dire : ''là, vous ne nous aidez pas bien. Aidez-nous davantage. Ce que vous faites, ce n'est pas suffisant!'' On est vraiment en retard. On ne devrait pas être à la remorque des élèves pour nous dire comment les aider, estime la politicienne.

« Moi, comme adulte, je ne peux pas accepter qu'un élève nous dise : ''aide-moi'', puis qu'on ne réponde pas à cet appel-là. »

— Une citation de  Christine Labrie, députée de Sherbrooke, Québec solidaire

L’opposition réclame depuis plusieurs années une loi-cadre pour prévenir et combattre les violences sexuelles dans les écoles primaires et secondaires. Québec solidaire avait déposé un projet de loi sur la question en 2021 et compte présenter une version actualisée.

Dans le projet de loi qu'on avait déposé, on parlait d'activités de prévention et de sensibilisation auprès des élèves, explique Christine Labrie [...] On parlait de définir avec des politiques claires : c'est quoi le rôle de chaque personne au sein de l'école? C'est quoi le rôle de la direction? De l'enseignant? On veut un répertoire des ressources pour chaque école parce qu’elles sont différentes selon les milieux.

Il n'y a pas de règles établies, renchérit Kelly Laramée du CALACS. En ce moment, ça fonctionne au cas par cas. Chaque direction décide ce qu’elle fait, les mesures qu’elle applique. Ça fait vraiment des situations qui peuvent être incohérentes où une victime va avoir du soutien dans une école, puis une autre n’en aura pas.

« Plus d’ateliers dans les écoles svp! »

Amandine sait pertinemment qu’elle ne peut pas changer le passé. Je veux essayer le plus possible d'avancer, de pouvoir aider les futures victimes, soutient-elle. Elle souhaite maintenant que l’école mette en place des mesures pour mieux outiller les élèves à faire face à d’éventuelles violences sexuelles.

Ça commencerait d'abord par plus de cours de sexualité chaque année, donne-t-elle en exemple. Moi, j'ai eu la chance d'avoir le CALACS qui est venu dans ma classe à la demande d'une élève. L'atelier est offert gratuitement. Ils ont des intervenants qui sont là pour faire ça.

Kelly Laramée donne une conférence dans un auditorium devant des jeunes assis.

« Le CALACS donne une multitude d'ateliers, explique Kelly Laramée. C'est important de déconstruire des mythes et préjugés que les jeunes ont peut-être. »

Photo : Radio-Canada / Marion Bérubé

Kelly Laramée du CALACS se promène aux quatre coins de l’Estrie pour offrir ce genre d’ateliers. On vient beaucoup parler des agressions sexuelles et du consentement. [...] C'est important de prévenir, de sensibiliser, puis d'éduquer nos jeunes parce qu’à cet âge-là, ils ont leur première relation sexuelle, puis ils ne savent pas nécessairement c’est quoi le consentement. Il y en a qui ne savent pas c'est quoi une agression sexuelle.

Il ne reste que quelques mois avant la fin de l'année scolaire. Amandine espère que son message soit entendu, même lorsqu’elle aura quitté l’École du Phare pour le cégep.

Je voudrais juste que les gens comprennent que c'est important d'être là pour les victimes, souligne-t-elle. J'aimerais que mes démarches aboutissent, qu'on voit vraiment des choses mises en place au CSSRS ou dans n'importe quelle autre école. C'est exactement ce que je demande depuis le début.

Déjà, des changements seront à l’ordre du jour lors de la prochaine rentrée scolaire. Québec mise sur le protecteur national de l’élève, qui entre officiellement en poste à la rentrée 2023, pour traiter les signalements de violences à caractère sexuel.

Le ministre de l’Éducation Bernard Drainville a quant à lui déclenché une enquête de portée générale à la suite de multiples allégations d’inconduites sexuelles dans le réseau scolaire. Les premiers constats et recommandations devront être transmis au ministre au plus tard le 2 juin prochain et le rapport final d’ici le 31 juillet.

À la suite de la distribution des macarons, la direction rencontre à nouveau Amandine Je me suis juste fait dire que ce n'était pas la bonne manière de faire, résume-t-elle. On lui suggère de passer par les processus d'autorisation pour avoir la permission de les faire circuler.

Si les macarons s'entassent maintenant dans son casier, en attendant d’être de nouveau accrochés sur les sac à dos et les manteaux de ses pairs, Amandine espère que leur message va résonner au-delà de son école.

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