Chirurgie : Québec revoit le financement dans les hôpitaux en s’inspirant du privé

Autour de 30 000 opérations chirurgicales sont réalisées chaque mois dans les hôpitaux et les centres privés du Québec.
Photo : Radio-Canada
Québec s’apprête à introduire un nouveau mode de financement des opérations chirurgicales dans les hôpitaux dans l’espoir de réduire les listes d’attente, parmi les plus longues au Canada.
Selon les détails divulgués mardi dans le plan budgétaire du ministre des Finances, le ministère de la Santé élargit le financement axé sur le patient (FAP) aux secteurs de la chirurgie dès le 1er avril 2023, afin de permettre un accroissement de la performance et une réduction des délais d’attente
.
Selon nos informations, le ministère de la Santé utilisera une grille tarifaire pour diverses interventions chirurgicales.
Les hôpitaux dont les coûts dépassent les tarifs prévus pour une intervention donnée devront trouver des solutions pour les diminuer. Il existerait de grandes disparités de coûts entre les hôpitaux.
Certaines sources médicales appuient la démarche. Le Ministère veut encourager les hôpitaux à adopter les meilleures pratiques
, affirme l’une d’elles. D’autres croient que le financement axé sur le patient risque de nuire à certains hôpitaux.
Il y en a qui vont gagner, d’autres qui vont perdre
, reconnaît un gestionnaire de la grande région de Montréal. D'autres se demandent si l’exercice forcera certains établissements ou certaies régions à abandonner des interventions pour lesquelles ils ne seraient pas performants.
Dans son document budgétaire rendu public mardi, le ministère des Finances donne l’exemple du secteur des coloscopies et des endoscopies digestives, pour lequel le nouveau mode de financement a été déployé en 2018-2019 dans les hôpitaux.
Le FAP a permis une augmentation du volume des examens de l’ordre de 18 % comparativement aux données disponibles en 2016-2017 [...], une baisse des cas en attente hors délai de 31 % [...] et un gain en productivité de 14 %
, écrit-on.
À terme, dans cinq ans, le ministère de la Santé souhaite que 100 % des 10 milliards de dollars versés pour des soins et services offerts en santé physique dans les hôpitaux du Québec soient financés sur la base de la performance
, comparativement à 25 % à l'heure actuelle.
S'inspirer des cliniques privées
Afin d’établir la grille des tarifs des différentes chirurgies, le ministère a dû compiler les données financières de dizaines d’hôpitaux ainsi que celles de trois centres de chirurgie privés.
Depuis 2016, les cliniques Chirurgie DIX30, Centre de chirurgie Rockland MD et Groupe Opmédic partagent leurs données financières avec le ministère de la Santé dans le cadre d’un projet pilote.
L'ancien ministre libéral Gaétan Barrette estimait à l’époque que le projet pilote permettra d’évaluer le coût et de l’utiliser comme outil de référence et d’élaboration de tarifs pour ce nouveau mode de financement du réseau public
.
En 2019, l'ex-ministre Danielle McCann, de la CAQla prolongation du projet expérimental permettra notamment de réaliser un nombre suffisant de chirurgies et de procédures sous scopie afin d’obtenir davantage de données fiables qui permettront une comparaison efficace des coûts
.
Selon les données obtenues par Radio-Canada pour l’année 2020, une chirurgie orthopédique coûtait 2077 $ en moyenne au DIX30, tandis qu’une chirurgie de la cataracte y coûtait un peu moins de 1000 $. Ces montants incluaient les dépenses salariales, les fournitures et les coûts indirects (administration, soutien, équipement, bâtiment).
Le recours à la sous-traitance auprès de centres de chirurgie privés détenus par des médecins s’est accentué depuis le début de la pandémie. Les centres médicaux spécialisés (CMS) représentent aujourd’hui de 10 à 15 % du volume d'opérations chirurgicales chaque semaine.
De nombreux médecins spécialistes souhaitent ouvrir de tels centres privés, impatients de pouvoir opérer leurs patients sur des listes d’attente.
Selon le président de Médecins québécois pour le régime public, le Dr Mathieu Isabel, à moyen et long termes, c’est l’existence même des CMS qu’il faut remettre en question
. Il craint qu'en continuant à développer un réseau parallèle de CMS , on risque de revivre, avec ces entreprises, certaines problématiques similaires à ce qu’on voit actuellement avec les agences privées de placement
.
Le ministre de la Santé avait présenté un plan en juin 2021 qui devait permettre de résorber les listes pour les ramener à un niveau d'avant pandémie en mars 2023. La pénurie de main-d’œuvre infirmière a changé les plans.
Attente au Canada : le Québec peine à rattraper les retards
L’annonce de Québec survient au moment où l’Institut canadien d’information sur la santé (ICIS) vient de dévoiler les plus récentes données sur les retards en chirurgie au Canada.
Selon les données de l’ICIS
, en 2022, 50 % des patients ont subi leur arthroplastie du genou dans le délai recommandé de six mois, comparativement à 70 % avant la pandémie.En Ontario, 68 % des patients ont subi cette chirurgie dans le délai recommandé en 2022, comparativement à 80 % en 2019.
Au Québec, 32 % des patients ont subi leur arthroplastie du genou dans le délai recommandé en 2022, comparativement à 72 % en 2019; un recul important.
Du côté des chirurgies de la cataracte, à l’échelle nationale, les temps d’attente sont presque revenus en 2022 au niveau d'avant la pandémie, avec 66 % des interventions pratiquées dans le délai recommandé de quatre mois.
Les temps d’attente pour une chirurgie de la cataracte sont toutefois restés plus longs qu’avant la pandémie à Terre-Neuve-et-Labrador, au Québec et en Ontario en 2022.
Selon Tracy Johnson, directrice en analytique du système de santé à l’ICISraccourcir les temps d’attente est un défi complexe, et il faudra réaliser un plus grand nombre de chirurgies qu’avant la pandémie pour rattraper les retards accumulés, dans une mesure plus ou moins grande selon la province ou le territoire
.