Plus de policiers au Nouveau-Brunswick : ce n’est pas la solution, disent des experts

Le budget provincial fait de la lutte contre le crime une priorité et cette décision est remise en question.
Photo : La Presse canadienne / Darryl Dyck
Le budget du Nouveau-Brunswick prévoit injecter 33 millions de dollars pour améliorer la sécurité dans les communautés, ce qui inclut une augmentation de 15 % du nombre d'agents de la GRC dans la province. Selon des criminologues, cette mesure pour lutter contre le taux de criminalité qui augmente n'est pas la solution, mais plutôt un « réflexe qui n’a jamais fait ses preuves ».
Jean Sauvageau, professeur en criminologie de l’Université St. Thomas, à Fredericton, n’est pas surpris que le gouvernement ait choisi d’investir dans les corps policiers pour régler un problème complexe.
Le criminologue précise que dans le contexte où les corps policiers sont fort occupés dans la province, cette nouvelle devrait réjouir les intervenants de premières lignes. J’imagine que d'avoir un peu de renfort, ça sera le bienvenu sur le terrain
.
Mais dans le contexte de la lutte contre la criminalité, ces investissements ratent la cible. Ce n’est pas la bonne façon de faire. Ça n’aura pas les résultats escomptés
, lance-t-il.
Jean Sauvageau reconnaît que la criminalité augmente au Nouveau-Brunswick, comme partout au pays, particulièrement depuis 2014, et qu’il est plus que temps d’agir. Mais augmenter le nombre de policiers n’est pas la voie à prendre.
Si on se donnait la peine de bien étudier d’abord. De l’augmentation de la criminalité, qui commet tel type de crime, pour quelles raisons, dans quelles circonstances? On pourrait mieux cibler et probablement découvrir que c’est des trucs que la police n’est pas en mesure de faire
, explique-t-il.
Jean Sauvageau ajoute que le fait de se tourner vers la police est un réflexe quasi naturel qui n’a jamais fait ses preuves
.
Il croit que le gouvernement doit donc mieux comprendre les raisons qui expliquent l’augmentation du taux de criminalité et investir dans des ressources en lien avec ces problèmes.
Si on investissait plutôt dans la question des drogues, dans la mesure où c’est un problème de santé et non pas un problème légal, on pourrait peut-être commencer à voir un véritable impact.
Élargir notre vision
Marie-Andrée Pelland, professeure en criminologie à l’Université de Moncton, est du même avis et croit que la province n’a pas nécessairement besoin de plus de policiers.
On a besoin des équipes : travailleurs sociaux-criminologues-policiers, pour aller sur les situations de crise, parce que le policier, lui, est peut-être moins formé pour intervenir en situation de crise. Quand il y a des troubles de santé mentale, des questions de consommation de drogue, le travailleur social est formé pour ça
, dit-elle.
« Je crois qu’il faut penser à l’extérieur de la boîte. C’est pas les policiers qu'on a besoin dans les rues, par exemple de Moncton, c’est des personnes formées pour intervenir en situation de crise. »
Moncton, un endroit particulier
En août dernier, un rapport de Statistique Canada révélait que Moncton détenait le troisième taux de criminalité déclaré par la police au Canada en 2021. L’indice de gravité de la criminalité a aussi augmenté.
Le commandant du détachement Codiac de la GRCest un endroit particulier
et qu’il est difficile de le comparer à d’autres régions de la province, en invoquant les problèmes d’itinérance et de drogues.
Le commandant se réjouit de voir que le gouvernement augmente ses dépenses en matière de sécurité publique.
C’est une très bonne nouvelle pour tout le monde qui travaille pour la GRC , le milieu policier, pour la province du Nouveau-Brunswick
, dit-il, précisant que le budget de Moncton est différent et découle du budget des trois municipalités que le détachement dessert, mais que celui-ci fait souvent affaire avec des unités spécialisées de la province.
Il ajoute que pour son détachement, la priorité est de développer des partenariats avec les trois municipalités. Une présence accrue de policiers dans les rues sera remarquée d’ici les prochaines semaines et ceux-ci chercheront à interagir avec la population.
On veut faire partie de la communauté, on veut rendre la ville et la région plus sécuritaire, donc vous allez nous voir de différentes manières : à pied, en vélo, en véhicule, et j’ai bien hâte de voir les résultats
, lance-t-il.
Le conseiller municipal Charles Léger se réjouit de voir que les policiers seront plus présents dans les rues de Moncton.
Avoir des agents qui sont dédiés au crime organisé, ou au niveau des drogues, va aussi être quelque chose qui va nous être très efficace au niveau de notre sécurité publique
, dit-il.
Les priorités du gouvernement remises en question
Ainsi, dans son budget, le gouvernement Higgs choisit de faire de la lutte contre le crime une priorité.
Dans un document annexé au budget et remis en mêlée de presse mardi, la province donne plus de détails sur sa stratégie de réforme de la police. L’augmentation du financement annuel permettra d’ajouter 80 agents de la GRC , dont 51 agents de première ligne.
Le document précise aussi que les fonds supplémentaires permettront de recruter du personnel pour les unités spécialisées qui sont incapables de répondre aux besoins actuels
.
Des investissements sont également prévus pour atténuer les pressions sur le système judiciaire et améliorer la sécurité des détenus et du personnel dans les établissements correctionnels de la province.
Pour certains, ce choix n’est pas le bon.
On a vu une augmentation de 33 millions dans la sécurité publique, mais on a vu zéro mention dans la culture, on a vu très peu de mentions au niveau de l’environnement
, dit le député du Parti vert Kevin Arseneau.
Les investissements de 29,7 millions $ pour le recrutement et la rétention du personnel en santé sont un pas dans la bonne direction, mais nous sommes déconcertés de voir que le gouvernement prévoit investir encore plus d’argent, 32,6 millions, pour augmenter le nombre de policiers dans la province. Le gouvernement ne semble pas avoir les priorités à la bonne place
, soutient Bernadette Landry, coprésidente de la Coalition du Nouveau-Brunswick pour la santé.
Avec les informations de Babatundé Lawani, de Nicolas Steinbach et de l'émission La matinale