Les bénévoles au bord de l’épuisement professionnel
Avec les bouleversements liés à la COVID-19, la pénurie de main-d'œuvre et le désengagement de l'État, les bénévoles sont sollicités comme jamais, au point où certains, épuisés, se détournent lentement de leur engagement.

Philippe Valois a pris un pause dans son engagement bénévole, épuisé par l'ampleur de la tâche.
Photo : Radio-Canada / Vincent Rességuier
« L'aspect humain était très important », concède sans détour Philippe Valois. Ce chargé de cours en psychologie à l’UQAM a été bénévole pendant plusieurs années au sein d’un organisme communautaire qui aide les étudiants à rédiger leurs travaux universitaires.
Il avait pour mission de créer une bonne ambiance de travail et de s’assurer qu'il y ait du café chaud pendant les pauses.
Un bénévolat stimulé par sa propre expérience, puisqu’il a bénéficié de ce service pour passer à travers la rédaction de sa thèse.
Le temps que je donnais comme bénévole, c'était pour redonner à l'organisme,
raconte-t-il. C'était vraiment enrichissant personnellement.
Pendant la pandémie, tout a changé. Avec les confinements successifs, sa contribution a dû se faire par visioconférence pendant de longues périodes. Les retours au bureau ne se sont pas avérés plus agréables, notamment à cause des mesures sanitaires.
Il s’est surtout retrouvé dans une position où il devait soutenir des personnes isolées, parfois en détresse ou en dépression.
On n'était pas formés pour ça, ce n'était pas notre rôle et on ne savait pas comment agir
, déplore celui qui est devenu, à la même époque, père de famille.
Pendant cette période, l'organisme a subi une importante restructuration, ce qui, dit-il, a entraîné une augmentation des tâches qui revenaient aux bénévoles. À bout de souffle, il a finalement décidé de passer à autre chose.
« J'étais à la limite de l’épuisement professionnel. Je ne veux pas dire que c'est uniquement la faute de l'organisme, mais le temps de bénévolat faisait partie du problème. »
Un essoufflement généralisé
Selon la professeure au Département de Communications sociales et publiques de l’UQAM
, Consuelo Vásquez, le cas de Philippe Valois est loin d'être isolé.C'est ce qu'elle a découvert lors d'une étude sur la transformation du bénévolat, menée dans plusieurs régions du Québec.
Avec son équipe, elle a réalisé des dizaines d’entrevues dans des environnements très diversifiés
: milieu hospitalier, services sociaux, groupes militants, organismes communautaires, etc.
Une des thématiques transversales était un fort épuisement des bénévoles, mais aussi des personnes qui les accompagnent
, conclut-elle.
Elle a observé des symptômes physiques, comme de la fatigue ou des pertes de mémoire. Mais avant tout, on a vu des bénévoles anxieux
, explique la professeure, qui a relevé une forme de frustration
, voire de désespoir
, face à la charge de travail.
Professionnalisation du bénévolat
D’après Consuelo Vásquez, en plus des bouleversements apportés par la pandémie de COVID-19, il y a, au Québec, un phénomène généralisé de professionnalisation du bénévolat.
Dans bien des milieux, les bénévoles sont recrutés pour leurs compétences ou leur expérience. Et, comme dans le privé, on retrouve les exigences du travail rémunéré, telles que la performance ou l'excellence.
La professionnalisation du bénévolat, Geoffrey Molle l'a constatée dans ses anciennes fonctions, abandonnées il y a quelques semaines en raison justement d’un conflit de valeurs
.
Pendant près de quatre ans, il a été gestionnaire de l'expérience bénévole pour un organisme à but non lucratif qui œuvre dans le milieu de la santé, une institution pancanadienne qui a recours à des milliers de bénévoles.
« Pour moi, le bénévolat, c'est de l'humain avant tout et j'avais l'impression qu'on était en train de se tourner vers des données sur un tableau Excel. »
Avec ses collègues, il s’est retrouvé à gérer d’interminables listes de courriels et de curriculum vitæ. Les contacts chaleureux se faisaient de plus en plus rares. Il avait le sentiment que certains bénévoles étaient considérés comme des employés, que ce soit pour la charge de travail ou les compétences requises.
Il prend pour exemple des personnes recrutées pour s’occuper des médias sociaux et qui devaient revendiquer une expérience ou un diplôme pertinents.
La démission silencieuse des bénévoles
Ces pratiques ont été accentuées, selon lui, par la pénurie de main-d'œuvre avec, entre autres, une fuite d'employés des OBNL
vers des milieux où les salaires étaient plus compétitifs.Geoffrey Molle pointe un cercle vicieux
que son ancien employeur a des difficultés à briser. Avec les nombreux départs d’employés, des bénévoles deviennent parfois les piliers des organisations. À cause d’une charge de travail accrue, ils se désengagent à leur tour, fatigués de boucher des trous.
Il y a eu un gros creux en termes de bénévolat et la reprise commence à se faire doucement
, ajoute Eve-Isabelle Chevrier, directrice générale du Centre d'action bénévole de Montréal.
Avec son équipe, elle oriente des bénévoles vers plus de 350 organismes de la région métropolitaine. Et certains font face à des difficultés de recrutement et de rétention.
Elle constate que le nombre de bénévoles s’avère moins important qu’avant la pandémie, une situation qui s’explique en grande partie par un investissement moindre de la part des 65 ans et plus, une génération habituée à donner beaucoup de temps
. Ils ont été mis sur la touche par les confinements et bon nombre d’entre eux ne sont pas revenus.
Bris de service et désengagement de l’État
Elle redoute maintenant qu'il y ait des bris de service au sein d'organismes communautaires de première ligne.
Par exemple, au Centre de prévention du suicide, qui recherche constamment de nouvelles recrues. C'est une situation alarmante, selon Mme Chevrier, parce que, s’il manque de bénévoles, il y a des appels qui ne se prennent pas, il y a des cris de détresse qui ne seront pas entendus
.
« C’est particulièrement critique pour les popotes roulantes, alors que c'est un service essentiel en termes de maintien à domicile et qui repose sur le bénévolat. »
Elle reproche aux gouvernements fédéral et surtout provincial un désengagement des secteurs de la santé et des services sociaux. Elle est d’avis que le filet social
ne devrait pas reposer autant sur les épaules de bénévoles.
Un point de vue que partage la professeure Consuelo Vásquez. Elle déplore que le bénévolat devienne une ressource facile
pour répondre à des besoins criants
et milite pour un meilleur financement des organismes à but non lucratif qui interviennent en première ligne.
Au Québec, selon la Fédération des centres d'action bénévole, 2,5 millions de personnes font du bénévolat, ce qui représente 310 millions d’heures d’engagement chaque année.