L’esthétique d’une étiquette fait vendre mais n'assure pas la qualité d'un produit
L’épicerie a fait un tour d’horizon de cette tendance où des peintres, des illustrateurs et des graphistes embellissent les emballages de nombreux produits comme la bière, le vin, le café ou le chocolat.

À la chocolaterie « L'état de choc », les emballages de chocolats fins sont plus léchés les uns que les autres.
Photo : Radio-Canada / L'épicerie
Lorsque nous faisons notre épicerie, nous sommes exposés à plus de 30 000 produits différents. Or, 85 % des nouveaux produits ne survivent pas sur les tablettes plus d’un an.
C’est un rapport de séduction, explique Sylvain Allard, professeur et directeur du programme de design graphique à l’UQAM. Les emballages et le graphisme, ça fait faire la première vente.
Et ça, les entreprises alimentaires l’ont bien compris : elles travaillent fort pour nous séduire avec leurs étiquettes de plus en plus soignées.
Les étiquettes jouent un grand rôle sur la perception de la qualité d'un produit. C’est aussi une façon pour les entreprises d’exprimer le côté artisanal de leur production. En développant une culture de l'alimentation locale, on avait envie de parler à nos gens avec un langage de proximité, avec le langage du Québec, par exemple. Ça donne beaucoup de diversité dans les produits par rapport à une époque où on avait des produits qui se ressemblaient tous un peu avec une présentation suggérée
, constate le professeur de design graphique.
Tendance forte chez les microbrasseries
Dans un contexte où les microbrasseries se multiplient et où la concurrence est de plus en plus féroce, elles usent de créativité pour attirer l’attention des consommateurs et des consommatrices. Pierre-Luc Gagnon, conseiller en bières et gérant de la section microbrasserie au Dépanneur Peluso Rachel, où près de 2000 bières sont exposées
, l’a constaté.
« Le monde de la bière, c'est parmi ce qu'il y a de plus éclaté présentement au niveau de l'étiquetage. »
Il y en a pour tous les goûts : des canettes très épurées aux illustrations humoristiques en passant par des mosaïques de couleurs. Ça fait 12 ans que je travaille chez Peluso et je le vois. Quand il y a quelque chose de particulier sur une canette, les gens s'y attardent. C'est vraiment ce qui se trouve sur l'emballage qui va faire plus jaser que ce qu'il y a dans la canette
, ajoute l’expert en bières.
À partir des années 1980-1990, des brasseries comme Boréale ou Unibroue ont rejeté les emballages traditionnels, avec leurs blasons classiques ou leur esthétique reliée au monde du sport, pour miser sur des étiquettes plus originales. Ils ont commencé à vouloir raconter des histoires. On veut raconter des histoires et rattacher une histoire à notre produit
, explique Sylvain Allard.
Il y a quelques années, on avait toujours l'impression que les brasseurs faisaient affaire avec leurs cousins qui avaient des bases en Photoshop. Ça donnait l'impression qu'ils brassaient leur bière dans le sous-sol
, fait remarquer Pierre-Luc Gagnon.
Cependant, aujourd’hui, de nombreux artistes ont émergé grâce aux alcools québécois et vivent de leur art sur les produits. Pierre-Luc Gagnon constate que les amateurs de bières connaissent et reconnaissent de plus en plus certains illustrateurs, tandis que plusieurs microbrasseries indiquent même l’information sur leurs canettes.
Les artistes exposent sur les étiquettes de vin
Après la bière, les cidres, les spiritueux et les vins se sont eux aussi tournés vers des artistes pour leurs nouveaux habits.
Louis-Philippe Mercier, copropriétaire de La boîte à vins
, travaille avec une centaine de vignerons des quatre coins du Québec. Dans les cinq dernières années, avec l’arrivée des vins nature, c’est à peu près tout le monde qui a changé ses étiquettes pour s'ajuster au marché
, explique-t-il.
Les étiquettes traditionnelles avec des châteaux pour désigner une exploitation viti-vinicole sont maintenant dépassées. « On essaie de s'éloigner de ça, d’avoir quelque chose d'un petit peu plus funky, plus coloré. On engage souvent des artistes ou des firmes de marketing pour avoir quelque chose qui sort de l'ordinaire », dit Louis-Philippe Mercier.
Les vins Pinard et Filles ont beaucoup fait jaser à leurs débuts lorsqu’ils se sont associés au peintre Marc Séguin pour illustrer leurs bouteilles. L’étiquette a créé un engouement pour un vin que le public n’avait pas encore goûté.
Pinard et Filles est peut-être aujourd'hui encore le vin qui est le plus en demande sur le marché. Ils ont vraiment explosé sur les réseaux sociaux. À l'époque, il y a cinq ou six ans, on ne vendait pas vraiment sur Instagram et compagnie. Il y avait une stratégie sur le paraître qui était très très forte
, explique Louis-Philippe Mercier.
« Est-ce qu'on est rendus à acheter pour le look? C'est sûr que ça aide. Mais l'important, ça reste le contenu et non le contenant. »
Le professeur Sylvain Allard abonde dans ce sens. L'emballage peut faire une première vente, mais ça ne garantit pas nécessairement que le consommateur va revenir. Il y a tout de même une fidélisation qui peut se faire à travers l'image, qui est aussi un plaisir de l'objet. L'objet est non seulement fonctionnel mais aussi esthétique.
Des emballages de café originaux
Loin des sacs en papier brun, la tendance des beaux emballages est aussi bien établie chez les micro-torréfacteurs. Par exemple, les produits de Café Traffic, un microtorréfacteur montréalais, sont emballés dans des sacs colorés et ornés d’illustrations originales qui font souvent référence à la culture populaire.
Jesse Lewin, cofondateur de Café Traffic, raconte que personne ne l’a pris au sérieux quand il a proposé d’emballer ses cafés dans des emballages s’apparentant à des sacs de bonbons. Il y a cinq ans, personne ne voyait le sac de café comme un objet mais simplement comme un contenant de café
, ajoute son collègue Simon-Pierre Giguère, directeur de production et codirecteur du design.
Chez Café Traffic, presque tout le design graphique est fait à l’interne. On est très fiers du café que l’on choisit et des grains que l’on torréfie. On veut que cette qualité se reflète dans notre branding. On veut aussi communiquer la personnalité des employés
, explique Simon-Pierre Giguère.
Tartinades, sauces, chocolats… L’art alimentaire s’expose maintenant partout au Canada. Dans les pays anglo-saxons, où la notion de marketing est très présente, on sent cette espèce d'énergie qui continue et qui semble ne pas avoir de frontières. Quand on est rendu avec des emballages de café roses, il semble que tout est possible. Et pourquoi pas?
conclut Sylvain Allard.