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Des postes de psychologues vacants : les jeunes en paient le prix

Une psychologue prend des notes en écoutant les propos d'une cliente.

Le reportage d'Amélie Desmarais

Photo : iStock

En Mauricie et au Centre-du-Québec, un poste de psychologue sur cinq est vacant dans le réseau de la santé. Alors qu’il devrait y avoir 143 psychologues, 27 postes ne trouvent pas preneurs. Sans compter qu’une quinzaine de postes ont été abolis depuis deux ans pour la même raison. Pourtant, il n’a jamais autant été question de santé mentale dans l’espace public.

Le Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS MCQ), comme l’ensemble du réseau public, se vide de son expertise en psychologie et l’hémorragie se poursuit. Ceux qui restent doivent composer avec des cas de plus en plus lourds et la pression de faire vite. Une combinaison particulièrement inquiétante que constatent les médecins et leurs patients, impuissants.

Exaspérée au point de remettre sa démission

Une psychologue qui cumule 12 ans d'expérience au CIUSSS MCQ s’est confiée à Radio-Canada. Celle que nous appellerons Julie pour préserver son anonymat a remis sa démission récemment. Elle dénonce l’inflexibilité de son employeur et des pratiques axées sur la vitesse et non sur le mieux-être des patients.

« La psychothérapie, c'est pas quelque chose qui se fait en canne. Je pense que le système est pressé : pressé d'avoir des résultats, pressé de traiter les gens, pressé de les sortir aussi. »

— Une citation de  Julie

Julie voit ses collègues délaisser le réseau public les uns après les autres, certains qui ont plus de 20 ans d’expérience. C’est qu’ils n’ont plus l’impression que leur expertise est reconnue ni respectée par les patrons. Souvent, quelques séances de plus peuvent faire toute la différence dans la vie d’un patient, mais les psychologues du réseau public ont de moins en moins de marge de manœuvre pour poursuivre un traitement ou adopter une approche différente, selon elle.

J'ai des collègues qui se sont fait demander : "organise-toi simplement pour que les clients qui ont des troubles alimentaires mangent et par la suite, on les orientera vers d'autres services parce que les listes d'attente sont trop longues en psychologie".

Une situation éthiquement et déontologiquement très difficile pour elle et ses collègues.

Les listes d’attentes s’allongent et les cas s’aggravent

Julie constate que les besoins sont plus criants que jamais et que les listes d’attente débordent. Lorsqu’un patient arrive dans son bureau, il a souvent patienté plus d’un an, parfois deux ans.

Pendant ce temps, leurs symptômes s’aggravent. La problématique de santé mentale se cristallise si la personne n'a pas d'aide, explique Julie qui rappelle qu’un trouble alimentaire peut mener à la mort et que les personnes avec un trouble de la personnalité peuvent aller jusqu’au suicide.

Elle constate aussi une perte de confiance des patients avec le temps. Quand ils finissent par être appelés, ils ne veulent plus les services.

Dans les circonstances, il n’est pas étonnant que les urgences débordent, selon elle. Malheureusement, l'urgence ne peut pas faire des miracles. Résultat : les jeunes consomment plus de médicaments, plus de drogues aussi pour s'apaiser eux-mêmes.

La région, un « désert en santé mentale », selon les médecins

La Fédération des médecins omnipraticiens de la Mauricie s’inquiète aussi du non-accès à des psychologues dans le réseau public. 

Le président de la Fédération, le Dr Pierre Martin, ne se souvient  pas d’un seul de ses patients qui ait eu accès à un psychologue au public. Il qualifie la région de désert en santé mentale. Il constate une consommation chronique de médicaments chez de nombreux patients qui en prennent de plus en plus jeune et pour des périodes de plus en plus longues. 

La pédiatre qui pratique en Mauricie Karina Poliquin aussi se bute régulièrement aux limites du réseau public, mais aussi de plus en plus aux listes d’attente au privé lorsqu’elle tente d’obtenir de l’aide pour ses jeunes patients.

Karin Poliquin en entrevue qui parle, assise sur une chaise.

Karina Poliquin, pédiatre à Trois-Rivières

Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé

« C’est comme quelqu'un qui a un bras cassé : si on lui dit d’attendre deux ans avant d’avoir une opération ou un plâtre, c’est sûr que c’est inacceptable, mais c’est une réalité avec laquelle on doit jongler [dans le domaine de la santé mentale]. »

— Une citation de  La Dre Karina Poliquin

La Dre Poliquin tente de compenser en multipliant les rendez-vous avec les enfants qui souffrent de problèmes de santé mentale, parfois jusqu'à deux fois par mois. Elle n’a souvent pas d'autres choix que de prescrire des médicaments pour apaiser leurs souffrances en attendant qu’ils puissent avoir accès à un psychologue.

Les standards ministériels sont respectés, dit le CIUSSS

Impossible de savoir combien de temps il faut patienter en Mauricie et au Centre-du-Québec pour voir un psychologue dans le réseau public de la santé. Le CIUSSS MCQ refuse de transmettre l’information et parle plutôt de programmes de traitement, d’autosoins, d’équipes interdisciplinaires et de cibles de 30 jours pour une amorce de services.

La conseillère-cadre pour la direction du programme de santé mentale et dépendance au CIUSSS MCQ, Marie-Pierre Milot, affirme que l’exode des psychologues est une préoccupation constante, mais précise que les standards ministériels sont respectés.

Malgré tout, grâce aux différents professionnels mis à contribution, comme des travailleurs sociaux, des psychoéducateurs, des agents de relations humaines et des infirmières, au CIUSSS MCQ, on respecte les délais d’attente, insiste-t-elle.

La conseillère-cadre indique que rapidement, une amorce de traitement est proposée aux personnes qui sont dirigées vers le guichet d’accès en santé mentale pour identifier leurs problèmes et outiller les personnes. S’il y a une attente qui dépasse un 30 jours, on les relance, on réévalue leurs symptômes, soutient Mme Milot.

« C'est comme un principe d'entonnoir : si on oriente des usagers qui n'ont pas besoin de psychothérapie dans d'autres types de services, à ce moment-là, ça nous fait de la place pour les gens qui ont réellement besoin de psychothérapie. »

— Une citation de  Marie-Pierre Milot, conseillère-cadre pour la direction du programme de santé mentale et dépendance au CIUSSS MCQ

Quant aux postes de psychologues, ils font l’objet d’un affichage en continu, selon elle. Les postes vacants sont là, on attend juste que des gens veuillent bien les prendre, affirme Mme Milot. C'est pour ça qu'on comble nos postes vacants par d'autres types de professionnels en attendant des psychologues.

Marie-Pierre Milot, travailleuse sociale de formation, s'étonne d’entendre les doléances de Julie. Ces gens-là ont l'opportunité de s'exprimer auprès de leur gestionnaire, dit-elle.

La personne qui est dans le bureau avec le psychologue est aussi importante que la personne qui est sur la liste d'attente et qui a hâte de voir un psychologue.

Une situation alarmante partout, selon l’Ordre des psychologues du Québec

La situation est alarmante partout dans la province et elle compromet la qualité des services à la population, martèle la présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, la Dre Christine Grou.

En Mauricie et au Centre-du-Québec, comme dans les autres régions, environ le quart des psychologues travaillent dans le réseau public. Selon elle, ils représentaient le tiers de la profession il y a une dizaine d'années.

Les psychologues qui cumulent en moyenne 8 ou 9 ans d’études universitaires, dont un doctorat obligatoire quittent le réseau pour le privé principalement pour deux raisons, soit les salaires et les conditions d'exercice.

« Ce qu'on ne traite pas, souvent, ça s'aggrave et ça se complexifie et ce qu'on ne traite pas coûte tellement plus cher, pas juste sur le plan financier, sur le plan humain et sur le plan sociétal. »

— Une citation de  La Dre Christine Grou, présidente de l’Ordre des psychologues du Québec
Christine Grou assise sur une chaise.

Dre Christine Grou, psychologue et présidente de l’Ordre des psychologues du Québec (Photo d'archives)

Photo : Ordre des psychologues du Québec

Il a une limite à ne pas permettre aux psychologues de poursuivre un soin ou de traiter, s’insurge-t-elle. On appelle ça le syndrome des portes tournantes, c'est-à-dire qu'ils sortent vite, mais ils reviennent vite aussi.

Se battre pour faire son travail

Julie, qui est encore en poste pour quelques semaines, a l'impression qu'elle doit constamment se battre pour continuer à faire son travail.

Avant tous ces changements-là, j'ai aidé des jeunes dont la vie a changé par la suite, se remémore-t-elle. C'est justement pour avoir la chance de voir ses patients évoluer qu’elle se dévoue chaque jour depuis 12 ans.

Elle s’inquiète pour les plus vulnérables de la société qui n’ont pas les moyens d’aller au privé ou qui ont des problèmes de santé mentale sévères.

Trois fois plus de services prodigués, selon le ministère de la Santé

Il n’est pas simple d’avoir un portrait clair des listes d’attente et postes vacants dans la province. Une compilation de la Coalition des psychologues du réseau public québécois fait état de 123 départs en 2021-2022 en santé, services sociaux et dans le milieu de l’éducation, soit 5 fois plus que l’année précédente.

Par courriel, un porte-parole du ministère de la Santé et des Services sociaux du Québec (MSSS) affirme que le ministère n’utilise pas de données concernant le nombre de postes ni le nombre de postes vacants.

Il ajoute qu’en 2021-2022, trois fois plus de personnes ont reçu des services de santé mentale au Québec et souligne le travail exceptionnel des intervenants.

Le réseau emploie plus de 2000 psychologues et il en faudrait 300 à 1000 de plus d’ici 5 ans, selon ce porte-parole.

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