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« Chaos » dans les laboratoires du CUSM : 20 000 analyses en retard

Les congélateurs débordent et certains spécimens attendent d'être traités depuis 2021.

Des centaines d'éprouvettes encombrent des étagères gelées.

De nombreux spécimens sont accumulés, pêle-mêle, dans des sacs, au fond des congélateurs du laboratoire central.

Photo : Radio-Canada

Des employés de laboratoire du Centre universitaire de santé McGill (CUSM) s'inquiètent pour la santé de la population en raison du nombre croissant d'analyses en retard qui s'accumulent dans leurs congélateurs, parfois depuis deux ans.

N'ayant pas le droit de témoigner librement, ils ont transmis à Radio-Canada des informations et des photos pour nous aider à documenter ce qu'ils décrivent comme un chaos.

Selon nos sources, 20 852 spécimens avaient dépassé le délai de traitement habituel, en date du 27 février 2023. Le plus vieux est en attente dans un congélateur depuis septembre 2021.

Le congélateur est presque plein.

Des boîtes de livraison de spécimens entassées dans un congélateur, sans être ouvertes ni triées.

Photo : Radio-Canada

Une grave pénurie de personnel

Le CUSM, qui reçoit les spécimens de la moitié de l'île de Montréal, de l'Abitibi-Témiscamingue, du Nord-du-Québec et du Nunavik, (Nouvelle fenêtre) reconnaît que le niveau légitime de frustration est élevé.

L'établissement se dit pris dans un cercle vicieux en raison de la pénurie grave de personnel.

Sur 91 postes, 42 sont vacants au laboratoire central du CUSM, soit 46 %, selon l'Alliance du personnel professionnel et technique de la santé et des services sociaux (APTS).

L'an dernier, sur l'ensemble des laboratoires de l'établissement (672 personnes), on aurait dénombré 61 démissions, soit près de 10 % des effectifs. Et c'est sans compter les départs à la retraite anticipés, par épuisement.

C'est très stressant

En date du 27 février, des analyses importantes pour diagnostiquer des maladies du sang comme des leucémies prenaient jusqu'à 10 jours, alors que le délai maximum requis est de 48 heures.

Des centaines d'éprouvettes sont dans des supports.

On voit l'indication « backlog » (arriéré) sur des groupes de spécimens en retard, accumulés dans un congélateur.

Photo : Radio-Canada

Plus de 400 spécimens étaient en retard pour une analyse de protéines afin de détecter le myélome multiple. Certains sont en attente depuis six mois, alors que le délai maximal recommandé est de deux semaines.

Ça nous inquiète énormément pour la santé de la population, dit la vice-présidente de l'APTS, Sandra Étienne, elle-même technologiste médicale.

« Les technologistes médicaux et les techniciens de laboratoires sont en détresse, car ils sont bien conscients qu’en arrière de chaque analyse, il y a un patient qui attend un diagnostic ou un traitement. »

— Une citation de  Sandra Étienne, vice-présidente de l'APTS
Elle regarde la caméra dans son bureau.

Sandra Étienne

Photo : Radio-Canada / Thomas Gerbet

Pour les employés, c'est très stressant, ils font ce qu'ils peuvent, dit-elle.

Bien au-delà des délais d'analyse requis

Des analyses de vitamine D (1,25), souvent demandées en pédiatrie et pour les Autochtones, comptaient jusqu'à 14 mois d'attente, au lieu des deux semaines recommandées, et 773 spécimens se trouvaient en arriéré.

Près de 2000 analyses de lipoprotéine étaient aussi en retard, jusqu'à un maximum de 17 mois (septembre 2021), au lieu du délai de deux jours requis.

Tous les échantillons prélevés qui nécessitent une réponse rapide sont traités le jour même, assure la porte-parole du CUSM, Rebecca Burns.

« Certaines analyses, comme le dosage de la vitamine D (1,25) ou celui de la lipoprotéine, qui ne sont pas cliniquement urgentes et donc pas traitées en priorité, sont en attente en raison de la pénurie grave de personnel dans les laboratoires des hôpitaux du Québec. »

— Une citation de  Rebecca Burns, porte-parole du Centre universitaire de santé McGill

Des analyses jetées à cause des retards

On est rendus à jeter des spécimens expirés, affirme Sandra Étienne. Interrogé à ce sujet, le CUSM ne le confirme pas, mais ne l'infirme pas non plus. Il a répondu : En raison des retards, il arrive que plus d’une demande soit faite pour la même analyse et pour le même patient. Dans ces rares cas, les prélèvements les plus anciens sont annulés.

De mauvaises conditions de travail

L'APTS dénonce la surcharge de travail de ses membres en raison des retards et du manque d'effectifs. Selon Sandra Étienne, les solutions que propose le CUSM sont rébarbatives et n'aident en rien la rétention du personnel.

Elle cite l'exemple de postes à quarts de travail rotatifs (jour, soir, nuit) qui n'offrent pas de stabilité aux employés. Aussi, elle critique le temps supplémentaire imposé.

Sandra Étienne demande que Québec valorise les professions de technologistes médicaux et de techniciens de laboratoires, et que des mesures d'attraction et de rétention soient mises en place.

Deux techniciens s'affairent.

Un laboratoire du Centre universitaire de santé McGill, en 2015.

Photo : Radio-Canada / Thomas Gerbet

Il faut plus d'automatisation, selon le CUSM

Le Centre universitaire de santé McGill reconnaît que la pénurie de technologistes et de secrétaires médicaux dans les laboratoires publics génère un stress important et de la fatigue chez le personnel sur place.

L'établissement blâme aussi les départs de technologistes médicaux et d’autre personnel hautement qualifié vers le secteur privé ou d’autres professions qui offrent des salaires plus attractifs.

« Cette situation favorise les départs, ce qui cause davantage de stress et de fatigue. Il s’agit d’un cercle vicieux sur lequel nous travaillons en collaboration avec le ministère.  »

— Une citation de  Rebecca Burns, porte-parole du Centre universitaire de santé McGill

Selon le CUSM, la solution passe aussi par plus d’automatisation dans nos processus d’analyse.

L'établissement affirme que le problème touche tous les laboratoires du Québec. Des initiatives ont été mises en place par le ministère de la Santé pour pallier cette situation [...]. Nous espérons qu’elles auront un effet et aideront à améliorer la situation dans les prochaines semaines.

Des médecins inquiets

Le mois dernier, un pédiatre de Rimouski s’inquiétait de devoir faire des diagnostics tardifs à cause des retards. La Fédération des médecins spécialistes du Québec (FMSQ) et la Fédération des médecins omnipraticiens (FMOQ) ont aussi écrit au ministre Christian Dubé pour lui demander d'intervenir.

« La situation s'est détériorée et elle risque de compromettre la sécurité des patients. »

— Une citation de  Extrait de la lettre envoyée au ministre par la FMSQ et la FMOQ, le 15 février 2023

Martin Champagne, président de l'Association des médecins hématologues et oncologues du Québec, a raconté à Radio-Canada avoir constaté des délais de plus d'un mois, simplement pour ouvrir le paquet de spécimens livrés au laboratoire du Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM).

Les délais sont parfois catastrophiques, dit le médecin. Il relate une histoire lors de laquelle le laboratoire du CHUM ignorait totalement où étaient les tubes, parce qu'ils n'étaient pas encore sortis des boîtes.

Il répond aux questions à l'extérieur.

Martin Champagne, président de l’Association des médecins hématologues et oncologues du Québec.

Photo : Radio-Canada

La réforme Optilab de l'ex-ministre Barrette mise en cause

Martin Champagne attribue aussi une partie du problème au projet Optilab, lancé par l'ancien gouvernement libéral. L'ex-ministre de la Santé Gaétan Barrette a créé des mégalaboratoires, appelés laboratoires serveurs, où sont transférés une grande partie des analyses d'autres hôpitaux.

Il y a un cercle vicieux causé par Optilab, selon Sandra Étienne de l'APTS. Nous demandons une décentralisation des laboratoires. Le Parti québécois a fait la même demande au début du mois.

Le gouvernement en réflexion

Nous avons bien entendu les préoccupations des médecins face à Optilab, dit le cabinet du ministre de la Santé du Québec, Christian Dubé.

« Jamais nous ne ferons de compromis sur la santé des Québécois, ce n’est pas négociable. »

— Une citation de  Cabinet du ministre de la Santé Christian Dubé

Un groupe de travail a été mis en place avec le ministère, la FMSQ et la FMOQ pour discuter de pistes de solutions concernant Optilab. Une deuxième rencontre est prévue sous peu. Nous souhaitons que des solutions concrètes puissent en émerger, dit le cabinet du ministre.

Un forum spécifiquement sur Optilab sera aussi organisé au cours du mois d’avril avec les ordres professionnels, les syndicats et les acteurs du réseau pour faire le point sur l’organisation des laboratoires.

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