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Depuis 5 ans, Rocket Greens fournit des légumes frais à longueur d’année à Churchill

Des plantes dans une serre hydroponique.

Le projet a été baptisé Rocket Greens, un hommage à l’ancienne base de lancement de fusées sur laquelle se trouve le centre d’études.

Photo : Radio-Canada / Gavin Boutroy

Au milieu de la neige, des ours polaires et des vents arctiques de la baie d’Hudson poussent laitues et légumes verts, le tout dans un conteneur. Depuis cinq ans, le projet Rocket Greens permet aux habitants de la localité du nord du Manitoba de manger plus sainement.

Le conteneur se trouve au Centre d'études nordiques de Churchill, à 30 km du village. À la fin 2017, il est arrivé dans la communauté de 900 personnes située à 1000 km au nord de Winnipeg.

En mai de cette année-là, le chemin de fer, qui est l’unique lien terrestre entre Churchill et le reste du Manitoba, avait été gravement endommagé par des inondations. L’entreprise américaine qui en était alors propriétaire avait longtemps négligé cette infrastructure et a refusé de payer pour les réparations.

Résultat : le prix des denrées alimentaires a doublé du jour au lendemain, puisqu’elles devaient être acheminées à Churchill par avion. C’était l’occasion de mettre la science alimentaire au service de la communauté.

Une section de chemin de fer est sous l'eau.

Un endroit d’endommagé sur la ligne de chemin de fer entre Gillam et Churchill. (Photo d'archives)

Photo : OmniTrax

Avec du soutien du gouvernement fédéral, le Centre d’études nordiques de Churchill a conclu un partenariat avec l’entreprise Growcer pour créer une ferme hydroponique. C’était la première ferme de Growcer, qui en compte maintenant plus de 70 au pays.

Le projet a été baptisé Rocket Greens, un hommage à l’ancienne base de lancement de fusées sur laquelle se trouve le centre d’études. Pour le directeur général du centre, Dylan McCart, ce projet répond parfaitement à sa raison d’être, soit d’être plus qu’un lieu réservé aux chercheurs.

« Notre mandat est de comprendre, d’alimenter et de soutenir le Nord. »

— Une citation de  Dylan McCart, directeur général du Centre d’études nordiques de Churchill
Un bâtiment bleu très moderne.

Le Centre d’études nordiques de Churchill est situé à 30 km de la ville.

Photo : Radio-Canada / Gavin Boutroy

Qui va acheter ça?

Carley Basler a été embauchée par le centre comme coordonnatrice en durabilité, peu après l’arrivée de la ferme. En 2022, elle a quitté son poste au centre d’études pour travailler directement avec l’entreprise qui a fabriqué le conteneur.

Elle soutient maintenant des opérateurs partout au pays, grâce aux connaissances qu’elle a acquises pendant les cinq dernières années.

Mme Basler se remémore les premiers jours de projet : Il fallait trouver des idées, penser à l’emballage; toutes ces petites choses qu’il faut faire quand tu te prépares à planter une graine et devenir un fermier, pour ainsi dire.

Qui achètera ça? Qu’est-ce qu’on devrait faire pousser? Est-ce que ça intéressera même les magasins? Est-ce que ça intéressera les restaurants lors de la saison des touristes?

Finalement, Rocket Greens est devenu un programme d’abonnement au sein duquel les abonnés reçoivent une livraison de légumes verts, de laitues et de fines herbes chaque semaine. Le reste de la production était vendu aux restaurants et dans les épiceries.

Carley Basler touche de la laitue dans une serre aménagée à même un conteneur

Carley Basler, lorsqu'elle travaillait toujours au centre d'études. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Warren Kay/CBC

Environ 60 % de la production hebdomadaire allait directement aux 40 à 60 abonnés dans le village, soit de 300 à 400 plantes par semaine environ.

Au cours des cinq dernières années, estime-t-elle, Rocket Greens a fourni plus de 60 000 produits frais à Churchill, qui venait du bout de la rue. Ce sont probablement les produits les plus frais qui ont jamais été vendus à Churchill.

Nous avons une base d’abonnés très fidèles. Si je regarde ma liste de la première récolte, lorsque nous avons lancé le service, et lorsque j’ai quitté le centre d’études voilà un an, une bonne portion de ces gens sont les mêmes personnes, indique Carley Basler.

Le directeur du Centre d’études nordiques de Churchill, Dylan McCart, constate aussi l’importance de ce programme pour le village.

Ce qui ressort, c’est à quel point les membres de la communauté aiment les aliments que nous fournissons et en dépendent. Comme nous sommes au Nord, la qualité des produits dans les épiceries est très faible. Être capable d’avoir ces produits chaque semaine peut avoir une incidence positive encore plus importante que nous nous imaginons, fait-il valoir.

M. McCart est debout dans un conteneur, entouré de verdure.

Le directeur général du Centre d'études nordiques de Churchill, Dylan McCart, dans la ferme de Rocket Greens

Photo : Radio-Canada / Gavin Boutroy

La COVID-19, un deuxième isolement

La ferme de Rocket Greens fait pousser des aliments comme de la laitue, des épinards, du chou frisé, du bok choy, du basilic et, bien sûr, de la roquette. Si ces aliments peuvent largement être mangés crus, Carley Basler reconnaît que la salade n’est pas la nourriture la mieux adaptée aux hivers glaciaux de Churchill.

J’aime offrir des légumes qui peuvent être cuits puisque parfois, il fait vraiment juste très froid et la salade n’est pas ce que tu veux, illustre Carley Basler.

Un conteneur peint en vert.

Le conteneur de Growcer fait pousser des légumes frais depuis cinq ans.

Photo : Radio-Canada / Gavin Boutroy

Alors que l’isolement provoqué par les mésaventures du chemin de fer a mené à la création du projet Rocket Greens, la COVID-19 en a souligné l’importance encore davantage.

La population de Churchill hors-saison touristique était élevée, puisqu'elle ne pouvait alors pas voyager. De plus, ces habitants ne pouvaient pas accéder à des aliments avec un voyage en train à Thompson.

Nous avions 60 ménages abonnés et nous fournissions des légumes aux deux épiceries à cette époque-là, affirme Carley Basler.

La COVID-19 a aussi mené à une expansion rapide de Growcer, selon le cofondateur et PDG de l'entreprise, Corey Ellis.

« Le réseau a beaucoup grandi dans les 24 derniers mois et a doublé d’année en année depuis deux ans. »

— Une citation de  Corey Ellis, cofondateur et PDG de Growcer

L’entreprise compte maintenant des achats de 70 fermes, dont une trentaine sont déjà en marche. La ferme la moins chère de Growcer coûte 205 762 dollars canadiens et peut produire 3856 kg (8500 lb) d’aliments par année.

La COVID, je crois, a assurément été un facteur qui a accéléré les affaires, puisque les gens ont reconnu que la chaîne d’approvisionnement sur laquelle ils comptaient n’était pas aussi fiable qu’ils le croyaient, souligne M. Ellis.

Une ferme comme une autre

Carley Basler note qu’en plus de la nécessité d’être prévoyante et imaginative en raison de l’isolement, Rocket Greens faisait face aux mêmes défis que toute autre entreprise maraîchère. Je disais aux gens que même si ça ressemble à un laboratoire et que c’est dans un conteneur, en fin de compte, c’est quand même de l’agriculture, dit-elle.

Parfois, tes graines ne germent pas. Parfois, une pompe s’arrête; une pièce d’équipement tombe en panne; une sécheresse ou une inondation arrive; un petit papillon s’infiltre et mange tout le bok choy..., illustre Mme Basler.

À la place d’une lutte contre les mauvaises herbes, un conteneur comme celui-là requiert beaucoup de désinfection et de nettoyage.

Des tuyaux dans un conteneur.

Une portion récemment mise à jour du système de contrôle de la ferme hydroponique.

Photo : Radio-Canada / Gavin Boutroy

Les conditions extrêmes de Churchill ont été un test parfait pour la technologie de Growcer, selon Corey Ellis. Nous avons pu comprendre, à -40 oC, quelles sont les choses qui se cassent et quelles sont les choses qui ne fonctionnent pas, dit-il.

Il indique que les connaissances de Carley Basler ont été essentielles dans le développement de Growcer et de ses nouveaux modèles de fermes. Ces dernières utilisent un système hydroponique différent et sont plus faciles à nettoyer.

Quand elle était encore au centre d’études, Carley Basler disait à la blague qu’elle souhaitait échanger la ferme pour un nouveau modèle. J’aurais aimé avoir l’occasion d’essayer une nouvelle ferme, avoue-t-elle.

L’insécurité alimentaire, une urgence

Environ un tiers des fermes de Growcer se trouvent dans ces communautés autochtones et du Nord. Les autres appartiennent à des clients commerciaux et des établissements d’éducation.

Corey Ellis note qu’en plus de contribuer à la sécurité alimentaire des communautés isolées, les fermes de Growcer aident à faire baisser les prix.

Un train arrêté.

Un train en gare à Churchill. De nombreux habitants prennent le train à des intervalles réguliers pour aller acheter des produits alimentaires à Thompson, qui est accessible par la route, et où les prix sont donc plus bas.

Photo : Radio-Canada / Gavin Boutroy

C’est une bonne chose, puisqu’il y a cette offre de légumes à des prix raisonnables que les gens sont prêts à payer, et cela exerce une pression descendante sur le prix de marché des légumes, résume-t-il.

L’insécurité alimentaire est une urgence nationale, selon la professeure agrégée de la Faculté d’environnement, de la terre et des ressources de l’Université du Manitoba Shirley Thompson. Cette dernière affirme que 51 % des ménages constitués de membres de Premières Nations souffrent d’insécurité alimentaire et souligne que ce chiffre atteint 63 % chez les ménages inuit.

C’est une urgence. Si 51 % des Canadiens souffraient d’insécurité alimentaire, nous renverserions l’édifice du Parlement! lance-t-elle. C’est une crise sanitaire. Elle se présente comme quatre fois plus de diabète [chez les personnes concernées, par exemple], ajoute la professeure.

Un ville enneigée.

Churchill se trouve sur la côte de la baie d'Hudson, à 1000 km en vol d'oiseau au nord de Winnipeg.

Photo : Radio-Canada / Gavin Boutroy

Shirley Thompson croit que des technologies comme les fermes hydroponiques de Growcer peuvent contribuer à la sécurité alimentaire, mais qu’elles ne sont pas une solution miracle.

Ce genre de programme requiert une certaine expertise et un lien avec une université, selon la chercheuse. Ensuite, il faut un investissement initial considérable qui nécessite des subventions.

Et moi, je n’arrive même pas à trouver de l’argent pour acheter un tracteur pour une communauté [qui tente de se lancer en agriculture pour contribuer à sa sécurité alimentaire], fait remarquer Mme Thompson.

Selon elle, le gouvernement fédéral doit investir plus d’argent pour la création d’un plan national sur la sécurité alimentaire mené par des communautés autochtones.

Il y a de la place pour toutes ces idées [dont des technologies comme les fermes de Growcer]. L’insécurité alimentaire est énorme. [...] Nous avons besoin de quelque chose qui peut être déployé à grande échelle, et ce, très rapidement, résume-t-elle.

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