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En Nouvelle-Écosse, des travailleurs de la santé non vaccinés sont fatigués d’attendre

La Nouvelle-Écosse est l'une des dernières juridictions au pays où la vaccination contre la COVID-19 est encore obligatoire pour les professionnels de la santé. N’ayant reçu ni salaire, ni indemnités, certains ont quitté la province ou se sont réorientés. D'autres continuent d’attendre.

Marie Faulkner.

Marie Faulkner, a travaillé pendant cinq ans dans une résidence pour personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer et de démence.

Photo : Radio-Canada / Jeffrey Cooper

Par un dimanche après-midi ensoleillé, Marie Faulkner est entrée dans un café de Musquodoboit vêtue d'une chemise rose vif et d'un collier vitré.

L'ancienne travailleuse autonome dans des foyers pour personnes âgées avait choisi cette tenue avec soin. Les deux morceaux ont une signification spéciale : ce sont des cadeaux offerts par d’anciennes patientes qui lui manquent profondément.

[Ce travail] n'a été pour moi qu'une passion totale, raconte la Néo-Écossaise au-dessus d'une tasse fumante.

Marie Faulkner a peu ou pas travaillé au cours des derniers mois. Elle n'est pas vaccinée contre la COVID-19 et n'a pas accès aux emplois en santé en Nouvelle-Écosse.

Depuis décembre 2021, la province exige que ses travailleurs de la santé soient vaccinés contre la COVID-19. Mais alors que presque toutes les provinces canadiennes qui ont imposé cette même obligation se sont rétractées en 2022, elle fait partie des dernières juridictions au pays où elle est toujours en vigueur, avec la Colombie-Britannique, les Territoires du Nord-Ouest et le Nunavut.

Je pensais que tout allait changer

Marie a travaillé près de cinq ans dans des foyers privés où vivent des personnes âgées atteintes de la maladie d'Alzheimer et de démence.

Elle travaillait selon ses propres horaires, chose bénéfique pour vivre avec ses douleurs chroniques. Marie dit s’être renseignée sur les vaccins contre la COVID-19 et avoir choisi de n’en recevoir aucun, car elle ne se sentait pas suffisamment rassurée sur leur sécurité et à leur efficacité à long terme.

Tim Houston assis devant des drapeaux de la Nouvelle-Écosse.

Tim Houston, premier ministre de la Nouvelle-Écosse, lors d'une conférence de presse sur la COVID-19, le 19 janvier 2022 à Halifax. La province est l'une des dernières à obliger la vaccination de ses travailleurs de la santé. (Photo d'archives)

Photo : Communications Nouvelle-Écosse

Comme plusieurs autres travailleurs, lorsque l'exigence est entrée en vigueur, elle a décidé d'attendre. Mais avec un enfant à charge et aucun autre revenu que l'aide gouvernementale qui lui est parvenue des mois plus tard, ce choix lui a été coûteux. J'ai fini par perdre mes économies, et des agents sont venus saisir ma voiture dans mon allée.

Questionnée à savoir si elle envisage d'autres options, Marie soupire. Les 16 derniers mois, marqués par des conflits et des amitiés brisées, ont été extrêmement difficiles. Pour l'instant, souffle-t-elle, elle a plus de questions que de réponses. En toute honnêteté, je ne sais même plus, hésite-t-elle. J'ai envisagé de me suicider tellement de fois à cause des moqueries, de la honte et de la culpabilité. Pourquoi n'ai-je pas le droit de dire "non"?

Trouver sa place au soleil

Ce ne sont pas tous les employés suspendus qui ont subi de telles conséquences. Technologue forestier de métier, Ryan Joudrey a été agent de réadaptation dans un centres spécialisé de Waterville pendant environ quatre  ans avant que la politique d'immunisation entre en vigueur. Il aurait continué à y travailler pendant quelques autres années, n’eut été de cette exigence.

Ryan Joudrey sourit sur un toit.

Ryan Joudrey ne travaille plus dans le domaine de la santé en raison des exigences de vaccination.

Photo : Gracieuseté : Ryan Joudrey

Ryan, qui est chrétien, a déposé une demande d’exemption religieuse qui a été refusée. Il explique avoir une objection morale à prendre l'un des vaccins disponibles contre la COVID-19, en raison de l'origine de leur élaboration, liée à l'avortement selon lui.

Après avoir enchaîné quelques petits boulots, Ryan a été embauché en juin dernier comme technicien en installation de panneaux solaires. À moins que son ancien employeur ne le dédommage pour tout le temps que j'ai perdu, il ne retournera pas au centre. De toute façon, j'aime encore mieux ce que je fais aujourd'hui, conclut-il.

Quitter la province

Paul et Genevieve Westhaver sont mariés depuis 38 ans. Ils ont passé des années à déménager d'une ville à l'autre aux États-Unis. Lui était ingénieur biomédical, tandis qu’elle, infirmière, est devenue gestionnaire. Originaires de la Nouvelle-Écosse, ils sont rentrés au pays au début de la pandémie pour se rapprocher de leur famille.

Genevieve a accepté un poste d'infirmière, un mois avant l’entrée en vigueur de la politique. Elle dit avoir passé une année à essayer d'obtenir des exemptions, principalement pour des raisons médicales, sans succès. En janvier 2023, elle est retournée seule dans le Massachusetts pour travailler comme consultante, tandis que Paul est resté à Dartmouth.

Genevieve et Paul Westhaver.

Genevieve et Paul Westhaver. Genevieve a décidé qu'elle terminerait sa carrière aux États-Unis, où elle se dit mieux traitée.

Photo : Gracieuseté

Lorsqu'elle évoque les trois dernières années, sa voix tremble de tristesse et de colère. Ce qui a été dévastateur, dit-elle, c'est le choc émotionnel, tout autant que le choc financier.

Genevieve veut travailler encore dix autres années avant de prendre sa retraite. Mais même si le gouvernement néo-écossais fait marche arrière, elle a l'intention de passer le reste de sa carrière comme travailleuse autonome aux États-Unis, où elle dit être mieux traitée et mieux rémunérée. Je pense que les États-Unis m’ont mieux servie. Le rêve serait d'aider les infirmières à venir aux États-Unis.

Aucun changement pour l’instant, dit la province

Questionné à savoir pourquoi l’obligation vaccinale est toujours en vigueur, le ministère de la Santé et du Mieux-être a donné très peu de détails. Nous ne planifions pas actuellement de renverser l’obligation, a écrit une porte-parole dans un courriel.

Le ministère s’est dit dans l’incapacité d’accorder à Radio-Canada une entrevue avec le Dr Robert Strang, médecin hygiéniste en chef de la Nouvelle-Écosse, ou avec un représentant. Le ministère n'a pas non plus répondu à savoir si, quand et dans quelles conditions la province pourrait revenir sur sa décision. Il est important de continuer à protéger les Néo-Écossais qui courent les plus grand risque de maladie grave et de décès, a écrit la porte-parole.

Une infirmière observe son aiguille avant la vaccination.

L'infirmière Carolyne Aremo prépare un vaccin contre la COVID-19, le 8 avril 2021 à Upper Hammonds Plains, en Nouvelle-Écosse.

Photo : Len Wagg / Gouvernement de la Nouvelle-Écosse

Il est difficile de dire combien de travailleurs non vaccinés sont actuellement suspendus. Le 3 mars, la Régie de la santé de la Nouvelle-Écosse (RSNÉ) comptait 78 employés en congé en raison de la politique vaccinale, et l’IWK Health Centre en comptait sept.

En décembre 2021, la province affirmait que 99 % des employés de la RSNÉ et d'IWK étaient vaccinés, ce qui laisse entendre que ceux qui ne le sont pas représentent une petite minorité. Le syndicat NSGEU (Nova Scotia Government Employees Union) et le Syndicat des infirmières et infirmiers de la Nouvelle-Écosse ont tous deux refusé de se prononcer.

Une décision qui ne serait pas fondée sur la science

Selon Patrick Fafard, professeur à la faculté des sciences sociales et à la faculté de médecine de l'Université d'Ottawa, le manque de transparence de la province est un problème. On peut critiquer la Nouvelle-Écosse parce qu’elle détonne avec les autres provinces, mais c’est possible qu'elle le fasse pour de bonnes raisons. Or, elle ne veut pas, ou ne peut pas être transparente quant au raisonnement qu'elle utilise, commente-t-il.

Selon Colin Furness, professeur à l'Institut des politiques, de la gestion et de l'évaluation de la santé de l'Université de Toronto, il est probable que le maintien du vaccin obligatoire ait davantage à voir avec la logique des politiques de santé et avec différentes croyances concernant les obligations d'un travailleur qu’avec la situation épidémiologique de la Nouvelle-Écosse.

Dr Colin Furness.

Colin Furness, professeur à l'Institut des politiques, de la gestion et de l'évaluation de la santé de l'Université de Toronto

Photo : Radio-Canada

Tant Patrick Fafard que Colin Furness affirment que puisque les travailleurs non vaccinés sont relativement peu nombreux, le maintien ou le retrait de l'obligation aurait un impact très faible tant sur la propagation de la COVID-19 que sur les pénuries de personnel.

À l'heure actuelle, les vaccins sont très efficaces pour prévenir les maladies graves et l'hospitalisation. Ils ne sont pas très efficaces pour prévenir les infections et, par conséquent, ils ne sont pas très efficaces pour prévenir la transmission, explique Colin Furness.

M. Furness estime que tous les travailleurs de la santé devraient être vaccinés contre la COVID-19, mais il encourage également les établissements à s'adapter à ceux qui ne le sont pas en leur confiant des tâches sans contact avec des patients vulnérables. Sinon, il y a un risque à attiser les troubles sociaux.

Un manifestant, devant le parlement, avec un drapeau du Canada.

En 2022, des manifestants ont envahi le centre-ville d'Ottawa. (Photo d'archives)

Photo : La Presse canadienne / Justin Tang

« Le Convoi de la liberté a peut-être été alimenté par une série de facteurs, mais il a certainement été déclenché par une exigence de vaccination. »

— Une citation de  Colin Furness, professeur à l'Institut des politiques, de la gestion et de l'évaluation de la santé de l'Université de Toronto

Pour sa part, Patrick Fafard croit que les juridictions canadiennes devraient être transparentes sur leur processus de décision.

Au Royaume-Uni et dans certains pays scandinaves, nous sommes prêts à dire, "c'est une question de valeurs". Mais cette nuance n'est pas courante dans la politique canadienne, explique-t-il. Trois ans après le début de la pandémie, pouvons-nous faire passer la conversation à un niveau plus sophistiqué et cesser de prétendre que tout est une question de formules, d'algorithmes et de données scientifiques?

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