Qu’est-ce qui se retrouvera dans le budget Girard?
Le ministre des Finances du Québec, Eric Girard, lors de la traditionnelle séance de photos précédant le dépôt du budget à l'Assemblée nationale.
Photo : Radio-Canada / Sylvain Roussel
Malgré des nuages noirs à l’horizon et la perspective d’une récession, le gouvernement du Québec, qui compte sur un bilan financier meilleur que prévu, devrait annoncer des baisses d’impôt dans son budget déposé aujourd’hui par le ministre des Finances Eric Girard.
Contexte inflationniste, hausse des taux d’intérêt, ralentissement économique, marchés boursiers en forte volatilité, cet exercice d’équilibriste s’effectue toutefois dans une période hautement imprévisible.
Même si le portrait pourrait se noircir au cours des prochains mois, le premier ministre François Legault a confirmé récemment que son gouvernement ira de l’avant avec des baisses d’impôt. L'objectif : soulager les Québécois en période d’inflation, une promesse phare de la Coalition avenir Québec (CAQ) durant la dernière campagne électorale.
« Je pense qu’il faut aider la classe moyenne. [...] Je pense qu’on est capables, avec la situation actuelle des finances publiques, à la fois de donner un répit du côté des impôts, de remettre de l’argent dans le portefeuille des Québécois, incluant la classe moyenne, et de continuer de mieux financer les services. »
À l’hiver, le ministre Girard avait fait le même pronostic. En général, le gouvernement respecte ses engagements
, avait-il lancé aux journalistes.
Baisses d’impôt
La table est donc mise pour une baisse d’impôt. Mais à quoi ressemblera-t-elle? Lors de la dernière campagne, la CAQ
s’était engagée à réduire de 1 % les deux premiers paliers d’imposition des contribuables.Concrètement, pour une personne touchant 30 000 $ par année, la baisse d’impôt serait de 109 $, selon les estimations faites dans la plateforme électorale de la CAQ
en 2022. Pour un travailleur gagnant 50 000 $, la baisse serait de 329 $ cette année. Et pour une personne touchant 100 000 $, la baisse atteindrait 810 $.La mesure coûtera toutefois près de 2 milliards de dollars en 2023 uniquement, selon l’estimation de la Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke, et sera financée en réduisant les versements dans le Fonds des générations, qui doit servir au remboursement de la dette.
Si la mesure risque d’être populaire pour plusieurs Québécois dont le budget est beaucoup plus serré en cette période d’inflation, elle demeure critiquée par certains groupes, notamment les grandes centrales syndicales qui souhaiteraient une augmentation des investissements dans les services publics.
Qui plus est, la baisse ne profitera pas aux moins nantis, rappelait l’Institut de recherche et d'informations socioéconomiques (IRIS), dans une étude parue la semaine dernière.
Selon les données de cet institut progressiste, près de 35 % de la population québécoise n'aura pas un revenu suffisant pour profiter de l'allégement fiscal. Ce serait une baisse d'impôt inéquitable, car elle favoriserait surtout les contribuables avec des revenus plus élevés
, a déploré le chercheur Guillaume Hébert, en entrevue à Radio-Canada.
Plus d’argent en santé et en éducation?
Cela dit, le gouvernement caquiste veut aussi augmenter les dépenses dans les missions de l’État comme la santé et l’éducation. Son cadre financier lors de la dernière campagne prévoyait des dépenses supplémentaires de près de 30 milliards de dollars.
Je pense qu'ils augmenteront les dépenses de santé de manière assez significative et je pense que l'éducation est une priorité majeure
, a d’ailleurs déclaré le directeur de l'Institut d'études canadiennes de l'Université McGill, Daniel Béland, dans une entrevue à CBC.
D’ailleurs, des voix se font entendre pour que le gouvernement augmente sensiblement le financement du système de santé.
L’Association pour la santé publique du Québec (ASPQ) demande notamment de rehausser le financement d’un milliard de dollars de plus par année, au moment où le vieillissement de la population accentue la pression sur le système de santé.
Avec les récents événements qui ont secoué le Québec, notamment le drame à Amqui, le premier ministre François Legault a aussi promis de mettre plus d’argent dans les services en santé mentale. On doit en faire plus
, a-t-il dit il y a quelques jours.
Pour lutter contre l’inflation, Québec avait déjà délié les cordons de la bourse lors de la dernière mise à jour économique, en décembre dernier, en déployant son bouclier anti-inflation
avec des investissements supplémentaires de 13 milliards de dollars d’ici cinq ans.
En outre, le gouvernement va mettre 8,1 milliards de dollars pour bonifier le montant de soutien aux aînés, 3,5 milliards de dollars pour financer les chèques de 400 $ et 600 $ envoyés aux contribuables et 1,6 milliard de dollars pour financer le plafonnement de l’indexation de plusieurs tarifs gouvernementaux (notamment Hydro-Québec).
De l'aide financière pour le transport en commun devrait aussi être annoncée lors du budget. Selon l’Association des transporteurs urbains du Québec, le manque à gagner atteindra 565 millions de dollars cette année pour les sociétés de transport. D’autres investissements sont aussi à prévoir dans la lutte contre les changements climatiques.
Certains aimeraient aussi que le gouvernement s’attaque à la pénurie de main-d’œuvre, qui est plus criante au Québec qu’ailleurs au Canada, et à la crise du logement, qui sévit dans plusieurs régions.
Un meilleur portrait financier, mais…
Si le gouvernement peut à la fois annoncer des baisses d’impôt et une hausse de dépenses dans ses missions, c’est notamment en raison d’un portrait financier meilleur que prévu.
En février dernier, le ministre Girard évoquait une année 2023 pleine de questionnements, mais une situation financière contrôlée pour le Québec.
Ça va toujours être une année difficile, parce qu'il y a eu des hausses de taux importantes et ça affecte les individus, les entreprises. Néanmoins, le début de l'année est plus fort que prévu et ça, c'est positif
, avait-il souligné.
Lors de la mise à jour financière de décembre dernier, Québec avait revu à la baisse son déficit budgétaire. Alors qu'il s'élevait à 6,5 milliards de dollars dans les prévisions du dernier budget de mars 2022, il devrait se situer à 5,2 milliards de dollars au 31 mars 2023. Le gouvernement prévoyait toujours revenir à l’équilibre budgétaire en 2027-2028.
Québec tablait aussi sur un scénario de croissance de 0,7 % en 2023, en forte baisse face au 2 % d’augmentation prévu en mars 2022.
Mais il reste encore plusieurs points d’interrogation. Comment se comportera l’inflation au cours des prochains mois? Et avec la hausse des taux d’intérêt, la fragilité dans le secteur bancaire et le resserrement du crédit anticipé, une récession, si elle s'avérait, serait-elle plus forte qu'anticipé?
En décembre dernier, Québec avait aussi prévu un scénario avec récession. Dans un tel cas, l’activité économique reculerait de 1 % en 2023 avant de progresser de 1,2 % en 2024. Avec le recul de l’inflation à prévoir et un ralentissement économique, les revenus pourraient donc être moindres pour le gouvernement.
Cela dit, Québec peut aussi compter sur un marché de l’emploi solide avec l’ajout de 129 700 emplois en 2022. L’an passé, le taux de chômage a aussi été à son plus bas depuis 1976, à 4,3 %.