Pourquoi Calgary a-t-elle le taux de chômage le plus élevé des villes canadiennes?
L'écart se creuse entre les demandes des employeurs et celles des chercheurs d'emploi à Calgary.
Photo : Radio-Canada
Avec son économie en croissance et une pénurie de main-d’œuvre, « l’Alberta vous appelle », répète le gouvernement provincial dans une publicité. Le taux de chômage de Calgary, à 6,6 %, est toutefois la douche froide dans ce portrait idyllique de l’économie albertaine. En février, il était le plus élevé de toutes les grandes villes canadiennes.
Depuis août, les pertes d’emploi sont constantes. En six mois, 30 600 postes ont été éliminés à Calgary, alors qu’Edmonton en a gagné 27 700 et Montréal, 71 400.
Que se passe-t-il au sein de la capitale économique de la province?
Le fossé employeurs-demandeurs
Mathilde Le Roux, conseillère en emploi à l’agence Prospect, constate un écart entre les compétences recherchées par les employeurs et celles des demandeurs d’emploi. Étant donné qu’elle travaille beaucoup avec des francophones, la maîtrise de l’anglais est la première barrière, mais d’autres s’ajoutent à cela.
Je vais aller sur quelque chose de très spécifique, mais moi, j’ai eu beaucoup de clients qui sont arrivés et qui sont dans le domaine de l’ingénierie. Sauf que, pour être ingénieur ici, il faut être reconnu par l’APEGA [Association of Professional Engineers and Geoscientists of Alberta]
, explique-t-elle, ajoutant : Du coup, ces profils-là, où il y a une réglementation à respecter, vont être très qualifiés, mais il va falloir du temps pour que leurs compétences soient reconnues.
L’Alberta a ainsi attiré plus de 52 000 immigrants, net, d’autres provinces et de l'étranger au troisième trimestre de 2022. Le gouvernement provincial le célèbre, mais la réalité, ce sont aussi de longs mois non seulement d’attente de reconnaissance de diplômes et de certifications, mais aussi de démarches administratives.
Le marché du travail de Calgary, ville par excellence des hydrocarbures, se remet toujours de la chute des prix du pétrole de 2014 et de 2020, suggère également Mathilde Le Roux : Même si le secteur du pétrole et du gaz commence à recruter, ça s’est restructuré, donc, on a besoin de moins de main-d’œuvre.
La spécialiste des questions d’emploi à la Canada West Foundation, Janet Lane, ajoute de l’eau au moulin quant à cette suggestion : Nous avons toujours des gens qui avaient des salaires élevés et qui n’ont toujours pas retrouvé un travail équivalent ou un travail tout court.
Les statistiques n’existent pas précisément pour Calgary, mais la proportion provinciale de chômeurs de longue durée (au-delà de 27 semaines de recherche d’emploi) est élevée, à près de 22 %. C’est le taux le plus élevé des grandes provinces canadiennes et cela nous vient des congédiements de nos industries traditionnelles
, dit Janet Lane.
L’étrange cohabitation du chômage et de la pénurie
Comment expliquer, alors, les inquiétudes autour d’une pénurie de main-d’œuvre? Pour Janet Lane, la réponse est simple : Calgary n’attire pas les employés convoités.
« Nous avons un taux élevé de diplômés postsecondaires à Calgary et de très nombreux emplois qui ne demandent pas une éducation postsecondaire. »
Sur 103 000 emplois vacants en septembre 2022 en Alberta, les deux tiers, soit environ 70 000, demandaient un diplôme d'études secondaires ou moins d'éducation, précise-t-elle.
La restauration, l’hôtellerie et le commerce de détail font partie de ces secteurs en recrutement. En ce sens, la campagne publicitaire du gouvernement provincial s'avère peu utile parce qu’elle ne cible pas les employés qu’elle tente d’attirer, selon Mme Lane.
Elle conseille plutôt d’encourager les formations pour ces emplois en demande.
La balance penche en faveur des employeurs
Cristina Schultz, de l’agence de placement About Staffing, constate un autre fossé : celui des conditions de travail. Les demandeurs de travail recherchent du travail hybride ou des possibilités de télétravail, mais les offres disponibles et ce que les employeurs veulent, ce sont des employés au bureau
, explique-t-elle.
La roue grince aussi lorsque la question des salaires est abordée. Quand on parlait beaucoup de pénurie, les employeurs ont dû être créatifs pour attirer les employés avec des avantages supplémentaires, des incitatifs et des augmentations de salaire. [...] Ils sont aujourd’hui plus réalistes et plus conservateurs de leur budget.
Dans ce jeu de pouvoir, les employeurs ont plus de chance de gagner, estime-t-elle, surtout avec le taux de chômage élevé : La balance penche un petit peu, mais pas encore totalement d’un côté.
Pas de panique, selon la Ville
Le gestionnaire du Département d’économie de la Ville de Calgary, Oyin Shyllon, ne panique toutefois pas encore. Oui, avoir six mois de pertes d’emploi est inquiétant, mais un véritable problème chronique se dessine à neuf mois, selon lui.
Il croit simplement que Calgary est dans un cycle d’affaires différent de celui des autres villes.
« Nous avons eu une forte croissance d’emploi par rapport à d’autres villes. Nous ralentissons, maintenant. »
La chose qui le rassure, c’est que les emplois perdus sont surtout à temps partiel.