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Une course au logement souvent payée comptant par les nouveaux arrivants

La pénurie de logement est un casse-tête pour les nouveaux arrivants. Sans historique de crédit, certains sont contraints d’offrir un dépôt de garantie exorbitant ou encore plusieurs mois de loyer d’avance, une pratique pourtant illégale.

Chantal Dubé, conseillère à l'ACEF de Laval, donne un atelier sur le logement aux étudiants en francisation du Collège Montmorency.

Chantal Dubé, conseillère à l'ACEF de Laval, donne un atelier sur le logement aux étudiants en francisation du Collège Montmorency.

Photo : Anne-Louise Despatie

Maria, son conjoint et ses trois enfants ont posé leurs valises durant l’hiver 2022 à Montréal. Après des années passées dans le processus d’immigration, ces Ukrainiens ont finalement pu émigrer au Québec tout juste avant que la guerre ne se déclenche dans leur pays.

Les enfants cherchaient une maison comme dans les films américains, raconte Maria. Comme Home Alone! Avoir une adresse devient la priorité, afin de pouvoir les inscrire à l’école.

Mais même si elle trouve rapidement un emploi dans le domaine bancaire, il est difficile de convaincre les propriétaires de retenir sa candidature, faute d’historique de crédit à son actif. Elle se fait donc à l’idée de devoir donner un dépôt de garantie aux propriétaires pour être retenue.

Je me suis très bien renseignée sur la vie au Québec avant d’arriver, mais je n’avais pas le choix, témoigne-t-elle.

Durant ses recherches, un propriétaire lui propose même de payer d'avance 12 mois en argent comptant, sans même signer de bail. J’étais prête à payer en avance un ou deux mois. Je disais ça aux propriétaires pour être acceptée, parce qu’avant, on était refusés tout le temps, ajoute-t-elle. Mais 12 mois?

Elle trouve finalement une petite maison qui convient aux besoins de sa famille. Mais là encore, la propriétaire lui demande un an d'avance.

Je leur ai expliqué que je ne pouvais pas payer 12 mois parce que dans ce cas, j’allais remettre tout l’argent que j’avais apporté avec moi. On a négocié très fort et on a conclu avec un huit mois. Pour se protéger, elle demande à la propriétaire de l’indiquer au bail, ce qu'elle accepte.

Des locataires sont prêts à tout pour mettre la main sur l'un des rares logements disponibles en cette période de crise. C'est le cas d'une famille immigrante à Montréal qui a déboursé 16 000 $, l'équivalent de huit mois de loyer. Pourtant, exiger le paiement d'un dépôt ou d'un loyer à l'avance est illégal au Québec. Reportage d'Anne-Louise Despatie.

Le far west du logement

L'expérience de Maria est loin d'être unique. Les comités logement constatent eux aussi qu'un nombre croissant de locataires versent plusieurs mois de loyer à l'avance pour obtenir un logement.

Nous autres, on parle de far west. C’est la jungle présentement! s’exclame Chantal Dubé, témoin privilégiée du marché locatif. Conseillère logement à l'Association coopérative d'économie familiale (ACEF) de Laval, elle milite dans le milieu du logement social depuis une trentaine d’années.

Mme Dubé est régulièrement invitée à donner des ateliers aux étudiants en francisation au Collège Montmorency afin d'outiller ces nouveaux arrivants. Au programme : comprendre un bail, les règles concernant l’avis d’augmentation de loyer ou encore le fonctionnement du Tribunal administratif du logement.

 Des étudiants assis à une table de travail, l'air attentif.

Des étudiants au cours de francisation du Collège Montmorency assistent à l'atelier sur le logement donné par Chantal Dubé, conseillère logement à l'Association coopérative d'économie familiale (ACEF) de Laval.

Photo : Anne-Louise Despatie

« Avant, c’était le dossier de crédit qui était demandé systématiquement. Aujourd’hui, c’est le dépôt de garantie! »

— Une citation de  Chantal Dubé, conseillère à l’ACEF de Laval

Quand on s’est rendu compte que le marché ne fournissait pas à la demande et que le gouvernement tardait à faire sortir les logements sociaux de terre, on s’est dit : "On va éduquer les locataires", raconte-t-elle. C’est la seule façon qu’on a présentement pour améliorer leurs conditions d’occupation.

Le dépôt de garantie est aussi une pratique bien connue dans l’arrondissement de Côte-des-Neiges. C'est effectivement très fréquent ici, dans le quartier, et c'est surtout pour les nouveaux arrivants, témoigne Camille Thompson, organisatrice communautaire pour l’organisme OEIL Côte-des-Neiges.

L'homme et la femme sont assis de chaque côté de la table. Mohammed explique son problème à Camille.

Mohammed Fissoune et Camille Thompson, organisatrice communautaire pour l’organisme OEIL Côte-des-Neiges.

Photo : Anne-Louise Despatie

L’organisme a accueilli Mohammed Fissoune, qui est arrivé de France l’été dernier avec sa famille. N’ayant pas d’historique de crédit au Canada, il a dû payer trois mois de loyer à l’avance : le premier et les deux derniers mois de la période de validité du bail. Quand on a demandé : "Pourquoi ces trois mois-là?", il nous a dit que c'est la réglementation, que les gens font ça ici, au Canada.

Les comités logement rapportent que les avances en argent demandées aux locataires prennent plusieurs formes. Parfois, ça va être plusieurs mois à l'avance, d'autres fois, juste un dépôt de sécurité pour d’éventuels dommages. D’autres fois, ce sera des dépôts pour les clés, des dépôts pour les meubles…, énumère Mme Thompson, qui constate que les nouveaux arrivants ignorent souvent la loi et qu’ils sont coincés par la nécessité de trouver rapidement un toit.

Peu de pouvoir de négociation pour les locataires

Le dépôt de garantie est encadré par le Code civil du Québec, qui stipule qu’un locateur ne peut exiger d’avance le paiement de plus d’un mois de loyer. Il est aussi précisé que le propriétaire ne peut demander une somme d’argent autre que le loyer.

Pourtant, les dépôts de garantie demandés par les propriétaires dépassent très souvent le premier mois de loyer, comme l’explique Antoine Morneau-Sénéchal, avocat spécialisé en droit du logement.

« J’ai déjà vu plusieurs mois payés d’avance en argent comptant. Mais mon record à vie, c’est un an payé d'avance au complet. »

— Une citation de  Antoine Morneau-Sénéchal , avocat spécialisé en droit du logement

Des solutions existent pourtant, selon l’avocat. Les gens peuvent exercer un recours pour se faire rembourser, s'ils le désirent.

Un autre effet indirect de ce dépôt de garantie, note Mme Thomson, est qu'il vient accentuer la pénurie de logements en réduisant encore plus l'accès à un toit pour bien des gens.

Ça vient réduire l'accessibilité de plusieurs logements pour plein de locataires en fait, qui ne sont pas capables de payer 7000 $ de dépôt ou trois mois de loyer à l'avance, constate-t-elle. Cela les met dans une situation encore plus vulnérable.

Diminuer la prise de risque pour les propriétaires

La ministre responsable de l’Habitation n’envisage pas pour l’instant de légiférer sur le dépôt de garantie ou le paiement de plusieurs mois de loyer, mais elle critique ces pratiques constatées.

« En période de crise du logement, il n'est pas temps de demander des paiements d'avance, alors que plusieurs personnes peinent à payer le mois courant. »

— Une citation de  France-Élaine Duranceau, ministre de l’Habitation

Si le locateur ne peut exiger un dépôt de garantie au Québec, la CORPIQ, qui représente 30 000 propriétaires, dit observer le phénomène inverse, soit des locataires qui proposent eux-mêmes de payer quelques mois de loyer à l’avance.

 Dans son bureau, vêtu d'une chemise blanche, sans cravate.

Marc-André Plante, directeur des affaires publiques et des relations gouvernementales à la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ).

Photo : Capture d'écran

Or, cette façon de faire ne serait pas contraire à la loi, selon Marc-André Plante, directeur des affaires publiques et des relations gouvernementales à la Corporation des propriétaires immobiliers du Québec (CORPIQ).

Si jusqu'ici la jurisprudence favorisait les locataires qui contestaient le versement de plusieurs mois de loyer ou d'un dépôt de garantie, un premier jugement donnant raison à un propriétaire ayant accepté un dépôt de sa locataire en 2019 serait venu changer la donne, soutient M. Plante.

Lorsqu'il ne se qualifie pas pour obtenir un logement [...] c’est important de souligner que le locataire, dans son panier de solutions, peut présenter le dépôt de garantie, dit-il. Par exemple, un nouvel arrivant qui n’a pas nécessairement d’enquête de crédit, pas d’endosseur, pas d’emploi pour diminuer la prise de risque, il peut proposer à son propriétaire un dépôt de garantie.

Le dépôt de garantie devrait être vu comme une occasion pour les locataires les plus vulnérables, estime M. Plante.

Selon le rapport de la Société canadienne d'hypothèques et de logement (SCHL) publié en janvier dernier, le taux de logements vacants se situait à 1,7 % à l’échelle de la province en 2022, soit une baisse de 0,8 % par rapport au taux de 2,5 % en 2021.

Sur l’île de Montréal, le taux est descendu de 3,7 % à 2,3 %, notamment en raison d’un rebond de la migration internationale, ainsi que d’un ralentissement de l’accession à la propriété. Dans la banlieue, les taux d'inoccupation sont encore plus faibles, soit 1,2 % pour la Rive-Sud, 1,8 % pour Laval et 1,3 % pour la Rive-Nord.

Pour les nouveaux locataires qui s’installent Montréal, leur quatre et demie de deux chambres coûtera en moyenne 1235 $ par mois (en hausse de 14,5 %).

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