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Québec accusé de laxisme dans le dossier de la poussière rouge

Le ministère de l'Environnement n'a pas pu déterminer la cause d'un épisode de poussière rouge survenu en août.

Triptyque de photos montrant des chiffons et une paume de main recouverts de poussière rouge.

Des résidents du quartier Maizerets ont diffusé sur un groupe Facebook privé des photos qui témoignent de la présence de poussière rouge sur leur propriété.

Photo : Facebook/Les voisins de Maizerets

Le ministère de l’Environnement n’a pas pu déterminer l'origine de la poussière rouge aperçue l’été dernier dans le quartier Maizerets, à Québec. Des citoyens qui militent pour une meilleure qualité de l’air estiment qu’il aurait pourtant pu facilement établir un lien de causalité avec les activités portuaires en cherchant plus loin.

Le 18 août 2022, un résident de l’avenue De Villebon a contacté Urgence-Environnement après que ses voisins et lui eurent remarqué, deux jours plus tôt, de la poussière rouge sur leur propriété.

Radio-Canada a obtenu le rapport d'intervention du service d'urgence environnementale à la suite d'une demande d'accès à l'information. On y apprend que l’analyse de l’échantillon prélevé sur le site a révélé une concentration plus élevée de calcium et de fer.

Des traces d’aluminium, de magnésium, de sodium et de potassium ont également été détectées, mais dans des concentrations moins élevées.

D’autres métaux dont la présence se situait juste au-dessus de la limite de détection méthodologique ont aussi été relevés, notamment de l’arsenic, du plomb et de l’antimoine.

Possibilités limitées

Entre l’apparition de la poussière et l’appel fait à Urgence-Environnement, environ 48 heures se sont écoulées au cours desquelles de la pluie est tombée.

Étant donné la faible quantité de poussière présente au moment de la visite de l’équipe du Ministère, la méthode d’échantillonnage par frottis a été retenue. Or, celle-ci ne permet pas de déterminer la provenance des substances contenues dans l’échantillon.

La méthode par frottis permet seulement d'identifier les éléments présents dans la poussière, mais sans pouvoir avoir, si je peux dire, une signature ou vraiment identifier une source, a expliqué Carl Touzin, directeur régional du contrôle environnemental pour la région de la Capitale-Nationale au ministère de l’Environnement, en entrevue à Radio-Canada.

« Malheureusement, on n'a pas pu identifier la source, mais tous les efforts possibles ont été déployés pour faire ces analyses-là. »

— Une citation de  Carl Touzin, directeur du contrôle environnemental, Capitale-Nationale

M. Touzin a profité de l’occasion pour inviter les citoyens à contacter les autorités compétentes dès qu’ils constatent la présence de poussière ou de toute autre substance inhabituelle. Il précise que l’équipe d’Urgence-Environnement est joignable 24 heures sur 24, sept jours sur sept. Le numéro à composer sans frais est le 1 866 694-5454.

Pour la porte-parole de l’Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec, Véronique Lalande, cette poussière rouge ne peut venir d’ailleurs que des installations portuaires. Elle reproche au Ministère de ne pas avoir cherché à aller au fond des choses.

Malgré la faible quantité de poussière prélevée dans le quartier Maizerets, Mme Lalande soutient que d’autres méthodes auraient pu être utilisées pour en déterminer la provenance.

Identification assez facile

Si la quantité est faible, il y a quand même d'autres mécanismes, [telle que] l'association entre la proximité d'une opération, la liste des produits, la direction des vents et le lieu où ça s'est passé. Tout ça, selon nous, contribuerait assez facilement à identifier la principale source possible, a fait valoir la militante.

« Je pense qu'il était clair pour tout le monde que ça provenait des activités portuaires, mais on se camoufle en disant : "Les quantités ne sont pas assez fortes et on ne pense pas qu'on pourrait aller jusqu'à une condamnation." »

— Une citation de  Véronique Lalande, Initiative citoyenne de vigilance du Port de Québec

Le Ministère donne selon elle l’impression de ne pas vouloir voir la réalité en face par crainte de devoir affronter le Port. Ce faisant, il élude le problème, dit-elle.

Le Port, c'est vraiment l'éléphant dans la pièce, et c'est la baleine dans la mer qu'on n’a de cesse de ne pas nommer. Donc, on contourne, on fait comme si de rien n'était, alors que les chiffres sont clairs, puis on va remettre toujours de nouveaux rapports, de nouvelles choses, parce qu'en fait, la lecture, chaque fois, ce n'est pas celle qu'on veut, parce que c'est celle qui exigerait de hausser le ton et d'exiger d'un joueur délinquant qu'il se conforme, accuse Véronique Lalande.

Véronique Lalande accorde une entrevue dans le hall d’entrée des bureaux de Radio-Canada à Québec.

Véronique Lalande croit que la faible quantité de poussière prélevée par le Ministère sert de prétexte à celui-ci pour ne pas montrer du doigt les activités portuaires.

Photo : Radio-Canada

Le député de Jean-Lesage, Sol Zanetti, peine quant à lui à comprendre qu’après des années de controverse liée à la présence de poussière rouge dans les quartiers centraux de Québec, le gouvernement, par l’intermédiaire du ministère de l’Environnement, n’ait toujours pas mis en œuvre un mécanisme qui permettrait d’en connaître la provenance.

Ça vient du Port

Ça fait cinq ans que la CAQ est là, ça fait plus de 11 ans qu'il y a eu un gros épisode médiatisé de poussière rouge dans Limoilou et on n'a pas encore de résultats de stations permanentes pour mesurer d'où viennent les poussières rouges. Ça n'a vraiment pas de bon sens, s'insurge l’élu de Québec solidaire.

« On s'entend, là. On sait d'où vient la poussière rouge dans Limoilou. On sait d'où viennent ces affaires-là. Ça vient du Port de Québec. »

— Une citation de  Sol Zanetti, député de Jean-Lesage, Québec solidaire

Si le Ministère n’est pas en mesure d'établir le lien entre la poussière rouge et les activités portuaires, il devrait à tout le moins invoquer le principe de précaution et forcer le Port et ses opérateurs à améliorer leurs procédés, plaide M. Zanetti.

Sol Zanetti lors d’une entrevue accordée à l’extérieur l'hiver de jour. À l'arrière-plan, on aperçoit le quartier Limoilou.

Les partisans du principe de précaution comme Sol Zanetti soutiennent que l’absence de certitude scientifique absolue ne doit pas servir de prétexte à repousser l’adoption de mesures qui permettraient de protéger l’environnement et la santé publique.

Photo : Radio-Canada

Il faut adopter les mesures les plus sécuritaires de transbordement, s'inspirer des pratiques internationales les plus avancées, les plus sécuritaires, et en ce moment, ce n'est pas ça qu'on fait. Le gouvernement est vraiment d'un laxisme pas croyable. Il laisse le Port tourner les coins rond, dénonce le député.

Je suis tanné que les autorités se cachent derrière le prétexte qu'on n'a pas assez de données. Utilisons donc toutes les précautions qu'on peut utiliser, protégeons la santé du monde, puis ça va déjà être ça, ajoute-t-il.

Contrôle renforcé

Le responsable du contrôle environnemental dans la région de la Capitale-Nationale au Ministère se défend de rester les bras croisés. Carl Touzin affirme qu’un plan d’action renforcé qui utilise des techniques novatrices et des méthodes sophistiquées a été déployé pour déterminer les sources de contamination et, éventuellement, pour sévir contre les pollueurs.

Ce plan de contrôle va notamment permettre de mieux caractériser ce qu'on retrouve dans les stations d'échantillonnage pour venir faire un appariement avec une source potentielle [de contamination] et, par la suite, intervenir, explique M. Touzin.

Carl Touzin accorde une entrevue à Radio-Canada en vidéoconférence.

Carl Touzin assure que le ministère de l'Environnement déploie tous les efforts nécessaires pour préserver la qualité de l’air dans les quartiers centraux de Québec.

Photo : Radio-Canada

Impossible cependant d’en savoir plus sur les techniques et sur les méthodes auxquelles le directeur du contrôle environnemental fait allusion.

Malheureusement, le Ministère ne peut pas dévoiler ses stratégies de contrôle, ne peut pas donner le détail, parce que toutes les activités de contrôle peuvent éventuellement mener à des sanctions ou à des recours. Donc, pour des raisons d'efficacité, là, vraiment, on ne peut pas donner plus de détails, fait-il valoir.

Aucun recours écarté

Carl Touzin assure toutefois que lorsque des non-conformités aux normes environnementales seront constatées, des mesures appropriées seront prises contre les responsables.

Le Ministère prendra tous les recours nécessaires, que ce soit des sanctions administratives, pécuniaires, des injonctions, des ordonnances, des avis d'exécution ou même des sanctions pénales, énumère-t-il.

« Actuellement, je vous rassure, aucun recours n'est exclu dans ce dossier-là. »

— Une citation de  Carl Touzin, directeur du contrôle environnemental, Capitale-Nationale

M. Touzin mentionne que dans le cadre du plan de contrôle renforcé, le Ministère exerce une présence accrue sur le territoire du Port de Québec et dans ses environs. En 2022, plus de 20 visites y ont été effectuées.

[En 2022], il y a eu quatre avis de non-conformité qui ont été signifiés [au Port] pour l'émission de matières particulaires, donc pas en raison de la composition de la matière particulaire mais bien en raison de leur émission à plus de deux mètres à partir de la source, précise Carl Touzin.

Les installations du port de Québec photographiées depuis la Haute-Ville l'automne.

Le ministère de l'Environnement s'est rendu à plus d'une vingtaine de reprises sur le territoire du Port de Québec au cours de l'année 2022. (Photo d'archives)

Photo : Radio-Canada / Carl Boivin

Montré du doigt par les citoyens et par les groupes qui militent pour une meilleure qualité de l’air dans Limoilou et dans les autres quartiers centraux, le Port de Québec rappelle que le dernier épisode de poussière rouge dont il a été reconnu responsable remonte à plus d’une dizaine d’années.

Le dernier événement qui concerne le Port dont j’ai été témoin, à ma connaissance, c'est celui qui date de 2012, et le Port a fait ce qu'il avait à faire à l'époque, a affirmé le président-directeur général de l’Administration portuaire de Québec, Mario Girard, en entrevue à Radio-Canada.

Contributeurs multiples

M. Girard a fait remarquer que le Groupe de travail sur les contaminants atmosphériques (GTCA), dont le rapport a été rendu public à la fin janvier, a démontré que les sources de contamination de l’air dans les quartiers centraux de la capitale étaient multiples (transports, industries, construction, chauffage au bois, etc.).

On parle d'un rapport véritablement de science. [...] On retient, on comprend que c'est de multiples contributeurs, ça, c'est important, et que ça va devenir un travail collectif auquel le Port va définitivement collaborer, c'est certain, assure Mario Girard.

Mario Girard accorde une entrevue en marge d’une conférence de presse au Terminal de croisière Ross Gaudreault.

Mario Girard affirme que le Port de Québec offre son entière collaboration pour améliorer la qualité de l’air dans les quartiers riverains des installations portuaires.

Photo : Radio-Canada

Depuis que Radio-Canada a rencontré M. Girard, un autre rapport sur la qualité de l’air, celui réalisé dans le cadre du projet « Mon environnement, ma santé », a été publié.

Menée par la Direction de santé publique du CIUSSS de la Capitale-Nationale, cette étude a également mis en lumière les multiples sources de contamination dans les secteurs de Limoilou, de Vanier et de la Basse-Ville.

Collaboration impeccable

Les deux rapports ont néanmoins souligné la contribution des activités portuaires à la présence de contaminants atmosphériques, notamment du nickel, dans l’air des quartiers riverains.

Pour illustrer la collaboration impeccable du Port aux efforts destinés à assainir l'air, Mario Girard a mentionné que celui-ci a transmis ses données au GTCA ainsi qu’au Ministère.

Il s’agit toutefois uniquement des données recueillies à l’extérieur du territoire portuaire. Le Port et ses opérateurs ont jusqu’ici refusé de communiquer les données qu’ils colligent in situ, tient à rappeler Sol Zanetti.

Le gouvernement doit exiger que le Port et les compagnies qui y opèrent lui donnent toutes les données qu'ils ont parce qu'ils ont des capteurs sur place, puis ils nous cachent leurs données depuis des années, déplore-t-il.

L’autoroute Dufferin-Montmorency photographiée du haut des airs en hiver.

La présence d’autoroutes et d'installations industrielles contribue à la pollution atmosphérique dans le secteur Limoilou. (Photo d’archives)

Photo : Radio-Canada

Le député de Québec solidaire dit qu’il faut ajouter des capteurs et des stations permanentes pour déterminer d’où viennent la poussière rouge et les autres contaminants qu’on trouve dans l’air ambiant des quartiers riverains du Port.

Une image très claire

Véronique Lalande croit pour sa part qu’il y a déjà suffisamment de données disponibles pour connaître les impacts des activités portuaires sur la qualité de l’air. Le temps est venu, dit-elle, de les analyser et d’agir en conséquence.

On a plus de 20 ans de données. [On parle] de milliers, de milliers et de milliers de données. Si on ajoute en plus celles du Port et de ses utilisateurs, jamais aucun endroit au Canada n'a eu autant de stations d'échantillonnage et n'a eu autant de mesures, plaide Mme Lalande.

On peut bien, pendant six mois, rajouter quelques stations et penser qu'avec ça, on va arriver à une image claire. Mais l'image, elle est très claire. Il suffit juste, enfin, d'oser la regarder dans les yeux et d'agir, insiste la militante.

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