Crise dans les urgences : « On fait du mieux qu’on peut » à l’Hôpital de Hull

Les urgences des hôpitaux de la région continuent d'être très achalandées. Des taux d’occupation qui frôlent parfois les 200%. Des patients couchés sur des civières dans le corridor, une pénurie de personnel sans précédent. Laurie Trudel a obtenu un accès privilégié à l'urgence de l'hôpital de Hull et a rencontré ceux et celles qui, chaque jour, continuent de sauver des vies dans ce contexte difficile.
Photo : Radio-Canada / Laurie Trudel
Les urgences du Québec sont plongées dans une crise majeure. En Outaouais, l’épicentre se trouve à l’urgence de l’Hôpital de Hull. Le taux d’occupation y frôle parfois les 200 %. Des patients sont couchés sur des civières dans les corridors. Et la pénurie de personnel y est sans précédent : près de la moitié des postes sont vacants ou non pourvus.
Radio-Canada a obtenu un accès privilégié à ces lieux et a rencontré ceux qui, chaque jour, continuent de sauver des vies malgré le contexte difficile et l’épuisement. Le Centre intégré de santé et de services sociaux (CISSS) de l’Outaouais est à la recherche de solutions, mais entre-temps, la situation continue de se détériorer. Visite au cœur de ce département névralgique de l’Hôpital de Hull.
Le triage : les bons soins au bon endroit
Quand un patient de l’Outaouais franchit les grandes portes de l’urgence de Hull, c’est parce qu’il doit voir un médecin rapidement. Il y entre par ses propres moyens ou grâce à des ambulanciers.
Ceux qui arrivent en ambulance sont souvent dans un état de santé grave qui nécessite un atterrissage forcé en salle de choc. Puisqu'il manque d’infirmières pour prendre soin des patients, des ambulanciers paramédicaux sont parfois coincés de longues heures dans l’entrée du garage avec leurs patients sur des civières.
Lors de notre visite, trois patients, donc six ambulanciers paramédicaux, attendaient d’être pris en charge par le personnel de l’urgence.
L’infirmière assistante aux supérieurs immédiats (ASI) Catherine April explique que le personnel tente de libérer les ambulanciers paramédicaux le plus rapidement possible, mais que le manque de personnel lui rend la tâche difficile, voire impossible parfois, pour assurer la santé et la sécurité des patients.
« Le plus possible, on va les libérer, mais il y a des fois des situations où on n'a pas le choix de les garder. »
Un patient qui n’a pas été transporté par ambulance prend un numéro, s’assoit dans la salle d’attente… et s'arme de patience. Avec plus de 40 000 patients sans médecin de famille dans la région, l’urgence est souvent la seule option qu’il reste.
Une infirmière du triage évalue l'état de santé du patient et détermine un ordre de priorité pour la consultation médicale. Dans les cas moins urgents, le personnel tente de réorienter le plus de patients possible vers d’autres services.
« Il y a des risques, à l'hospitalisation, de contracter de nouvelles infections, des risques de déconditionnement énormes. Quand on passe une journée à l'hôpital, on perd notre masse musculaire, puis le retour à domicile va être encore plus difficile. »
Une salle de choc qui déborde
L’urgence de Hull compte quatre civières dans la salle de réanimation, communément appelée salle de choc. Il n’est pas rare que huit ou neuf patients s’y trouvent au même moment, selon le chef d’unité Rémi Dubé. C’est plus du double que la capacité maximale.
Le gestionnaire du CISSSla gestion du risque
est surutilisée.
« Ils [les employés] vivent sur l'adrénaline à penser : "Je dois garder une de mes civières libre, parce que si j'ai un trauma qui entre, un arrêt cardiorespiratoire qui entre, je dois être prêt à le recevoir". »
Bien que la priorité de l’équipe médicale consiste à offrir les meilleurs soins aux patients, les gestionnaires rencontrés à l’urgence de Hull ne s’en cachent pas : le manque de personnel présente un risque pour la qualité des soins prodigués.
Il y en a, un risque… Je ne serais pas honnête si je disais qu’il n’y en a pas
, reconnaît la Dre Dionne. On fait du mieux qu'on peut
, ajoute la cheffe du département d’urgence par intérim.
Médecine de corridor
Après plusieurs heures assis dans la salle d’attente, les plus mal en point finissent par être admis à l’urgence et par voir un médecin dans les locaux prévus à cette fin. Pour d’autres, c’est le corridor qui servira de bureau de consultation.
Le personnel de l’urgence de l’Hôpital de Hull doit régulièrement faire preuve d’imagination pour trouver des corridors où installer des civières. Inévitablement, on s'est comme habitués un peu à ça, surtout avec les derniers taux d’achalandage qu'on a eus
, affirme Rémi Dubé.
Les gestionnaires tentent de ne pas laisser les patients à l’urgence plus de 72 heures, mais pour ce faire, il doit y avoir des lits disponibles aux étages de l’hôpital. C’est le nerf de la guerre.
« On a vu des patients passer 10 jours sur une civière d'urgence, faute de lits à l'étage. [...] Imaginez la pression sur la structure hospitalière. »
En ce moment, une soixantaine de lits sont fermés aux étages parce qu’il n’y a pas d’infirmières pour prendre soin des patients qui s’y trouveraient.
La présidente du Syndicat des professionnelles en soins de l’Outaouais (SPSO), Karine D’Auteuil, s’inquiète de cette grave pénurie qu’elle qualifie de roue infernale
.
On ferme des unités parce qu'on n’a pas assez de personnel, mais là, ça déborde à l'urgence. On a beau rajouter du monde, on subit la pénurie dans tous les départements
, se désole-t-elle.
Non seulement il manque de lits, mais ceux qu’il reste sont occupés par des patients qui devraient se trouver ailleurs, principalement dans un centre d’hébergement et de soins de longue durée (CHSLD) ou dans une résidence privée pour aînés (RPA).
Selon la Dre Dionne, le quart des patients qui occupent les lits de l’Hôpital de Hull attendent une place dans un de ces centres. La CAQlibérer 1700 lits à l'échelle de la province dans des CHSLD, dans des cliniques de réadaptation et dans des ressources intermédiaires.
souhaite d’ailleursIl manque de 400 à 500 places seulement pour l’Outaouais.
Des pistes de solution
C’est bien connu, les infirmières sont nombreuses à quitter l’Outaouais pour aller travailler en Ontario, où les salaires et les conditions de travail sont plus alléchants. Malgré des primes récemment offertes pour inciter les infirmières de l’Outaouais à rester, Rémi Dubé confirme que l’urgence de l’Hôpital de Hull a perdu des joueurs solides à cause de la fatigue et de la pression constante
.
Les gestionnaires tentent d'aménager, d’ici le mois de mai, un horaire qui permettra aux infirmières d’être en congé deux fins de semaine sur trois. Ils envisagent aussi l’autogestion des horaires. Un projet pilote a été réalisé à l’urgence de Gatineau en 2021. Par contre, la présidente du SPSO estime que les critères imposés par Québec sont irréalistes en contexte de crise.
Le gouvernement a imposé beaucoup de critères pour adhérer à l'autogestion : pas beaucoup de roulement de personnel, un gestionnaire stable, et il ne faut pas qu'il y ait des taux [trop élevés] de congés de maladie, d'absences, de postes dépourvus
, précise Karine D’Auteuil.
La présidente du SPSO
espère que le gouvernement reverra ses critères, sans quoi ce sera impossible à mettre en œuvre, selon elle.« Il faut que les solutions viennent du gouvernement. Il faut qu'il y ait quelque chose de radical de fait pour venir aider. »
Afin de diminuer la pression sur les équipes aux urgences, le ministre de la Santé du Québec tente d’inciter les Québécois à composer le 811 ou à consulter un médecin dans les GMF plutôt que de se rendre à l’hôpital.
La cheffe du département d'urgence par intérim, la Dre Cristal Dionne, explique que, chaque jour, 30 % des patients auraient pu être vus ailleurs et qu’il y a du travail de sensibilisation à faire auprès de la population pour optimiser ces corridors de services.