Des Sino-Canadiens se sont sentis abandonnés face au racisme pendant la pandémie

La pandémie de COVID-19 a aussi été le théâtre d'une hausse d'actes de racisme anti-asiatique. Des regroupements pour les dénoncer ont eu lieu à Toronto, comme ici en mars 2021 après une fusillade à Atlanta (Photo d'archives).
Photo : Izumi Sakamoto
Une étude de la faculté d'études sociales Factor-Inwentash de l'Université de Toronto, en partenariat avec le chapitre torontois du Conseil national des Canadiens chinois, s’est penchée en profondeur sur le ressenti des Canadiens d’origine chinoise face à la montée du racisme anti-asiatique durant la pandémie. Entre sentiment d’abandon et difficulté d’accepter l’idée d’un racisme ordinaire, les participants et chercheurs appellent à la normalisation des discussions à ce sujet.
La pandémie de COVID-19 a été le théâtre de bien des débats houleux, mais aussi d’une montée du racisme anti-asiatique. Avec un virus souvent associé à la Chine, les Canadiens d’origine chinoise ont été bien souvent la cible de remarques désobligeantes, d’insultes voire d'attaques physiques.
Les chercheurs de l’Université de Toronto ont confronté l’expérience de cinq personnes ayant vécus du racisme anti-asiatique avec un groupe de parole de 26 personnes d’origine chinoise de différents groupes d’âge, certaines ne parlant que mandarin ou cantonais.
Le protocole de recherche avait pour objectif de délier les langues sur le sujet.
Un sentiment d’abandon
Un des principaux résultats de l’enquête est le concept de Wu Nai (⽆ 奈).
Cette expression souvent utilisée dans la communauté chinoise désigne un sentiment de désespoir et d’abandon.
Les personnes ne savent pas quoi faire. Elles se sentent dépourvues. Elles ne savent pas si quelque chose peut être fait
, explique Izumi Sakamoto, professeur associé à la faculté Factor-Inwentash d'études sociales de l’Université de Toronto.
Elle rapporte quelques questionnements soulevés par les participants.
Ce n’est pas quelque chose que je peux rapporter à la police. Je ne sens pas que je peux parler à ma famille et mes amis
, donne-t-elle en exemple.
Izumi Sakamoto précise que plusieurs participants avaient du mal à identifier les micro-agressions comme des actes racistes et tendent à les minimiser. La prise de parole en groupe a permis de délier les langues.
Bien qu’elle ait travaillé avec le Conseil national des Canadiens chinois depuis une vingtaine d'années, la chercheuse souligne que c’est la première fois qu’elle entend l’expression Wu Nai utilisée pour parler de racisme.
Un racisme vu comme moins important
Autre point important de l’étude, plusieurs Sino-Canadiens interrogés avaient du mal à voir le racisme anti-asiatique comme une forme de racisme légitime
comparé à d'autres.
Beaucoup de Sino-Canadiens peuvent penser qu’en comparaison du racisme anti-Noirs ou du racisme anti-Autochtones, on n’a pas été tués en allant à l’école, on n’a pas de tombes dans nos écoles, on n’est pas tué par la police dans la rue. Peut-être que le racisme anti-asiatique existe, mais il n’est pas si mal
, souligne Izumi Sakamoto.
À lire et à écouter :
En découle une internalisation du racisme. Les personnes finissent par se demander ce qu’elles ont fait de mal pour être traitées ainsi
, explique la chercheuse.
Dans des communautés où la question de la santé mentale est taboue, plusieurs Sino-Canadiens de deuxième génération ont expliqué avoir de la difficulté à partager leur expérience du racisme avec leurs aînés.
Il y a une certaine idée selon laquelle vous devez ravaler vos sentiments et faire mieux. Il faut que je dépasse ça parce que mes grands-parents ont connu pire
, explique Izumi Sakamoto.
En parler pour briser l’isolement
Les chercheurs de l’Université de Toronto précisent dans leur rapport que la lutte contre le racisme anti-asiatique passe avant tout par la reconnaissance de celui-ci.
Selon eux, la principale conclusion de cette première recherche en la matière démontre la nécessité d’en parler et de faire parler les personnes qui vivent des actes de racisme et des micro-agressions.
« C’est important que nous parlions de ce racisme anti-asiatique. C’est important pour le valider. Même si ce ne sont pas de grandes actions violentes, ça se déroule. C’est important de le mettre dans la conscience des gens »
Le rapport recommande notamment d’insister sur la question du racisme anti-asiatique dans l’espace éducatif et dès le plus jeune âge.
Les chercheurs estiment que parler davantage de l’histoire des communautés asiatiques au Canada est déjà un premier pas important, à l’instar de ce qui se fait pour les communautés noires.
Izumi Sakamoto insiste sur le fait qu’il ne s’agit pas de mettre les différentes communautés en compétition, mais de reconnaître toutes les formes d’oppression.
C’est important de parler de l’histoire des communautés asiatiques au Canada, de développer les groupes de défenses de droits des communautés d'origine asiatique et de briser les idées préconçues
, ajoute-t-elle.
La chercheuse espère pouvoir recommencer l’expérience avec un groupe plus large, mais reconnaît qu’il est difficile de trouver des candidats avec lesquels le niveau de confiance est suffisant pour faire ce genre de groupes de travail intergénérationnels du genre.