Aide médicale à mourir : la notion de handicap loin de faire consensus

Sonia Bélanger, ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, accompagnée de Christian Dubé, ministre de la Santé, lors de la présentation du projet de loi 11 élargissant l'aide médicale à mourir à l'Assemblée nationale.
Photo : La Presse canadienne / Jacques Boissinot
Deux visions se sont opposées mardi sur la pertinence de réserver l'élargissement de l'aide médicale à mourir (AMM) aux handicaps seulement qualifiés de « neuromoteurs ».
Plusieurs intervenants ont pris part au début des consultations publiques à l'Assemblée nationale sur le projet de loi du gouvernement Legault visant à étendre les soins de fin de vie.
D'une part, des groupes, comme le Collège des médecins, demandent sans détour le retrait de l'adjectif neuromoteur
afin d'englober plusieurs types de handicaps, et ainsi de s'arrimer avec le fédéral. De l'autre, l'ex-députée péquiste Véronique Hivon − considérée comme la mère
de la loi actuelle sur l'AMM − lance un appel à la prudence et à un débat de fond, étant donné que la définition du mot handicap est extrêmement large
.
La ministre déléguée à la Santé et aux Aînés, Sonia Bélanger, a présenté le mois dernier le projet de loi 11 qui, s'il est adopté, permettra à une personne atteinte d'une maladie grave et incurable menant à l'inaptitude, comme l'alzheimer, de faire une demande anticipée d'AMM.
Il donnera également accès à l'AMM aux personnes souffrant d'un handicap neuromoteur grave et incurable (paraplégie, paralysie cérébrale, amputation après un accident, etc.).
Aux yeux de l'Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité (AQDMD) et du Collège des médecins du Québec, le qualificatif neuromoteur
n'a pas lieu d'être. Ils font valoir que son utilisation va dans le sens contraire du Code criminel sur les conditions d'admissibilité relatives à l'AMM, qui excluent un tel adjectif depuis 2016.

La loi fixe des conditions très strictes auxquelles une personne doit répondre pour recevoir l’aide médicale à mourir.
Photo : Getty Images / LPETTET
Toute maladie amène à un handicap, qu'il soit léger ou important, qu'il soit temporaire ou transitoire. Et tout handicap vient d'une maladie
, a plaidé devant les députés le président de l'AQDMD et neurochirurgien, le Dr Georges L'Espérance.
« Il n'y a pas eu de dérives »
Aux inquiétudes soulevées quant à de possibles dérives en l'absence du mot neuromoteur
, le Dr L'Espérance répond que plusieurs balises sont déjà prévues, telles que les critères de maladie incurable et grave.
Mettons que j'ai un handicap parce que je me suis coupé le majeur. Bien, c'est peut-être incurable, mais ce n'est pas une maladie grave et ça ne mène pas à un déclin irréversible
, a-t-il donné en guise d'exemple.
Le Dr L'Espérance a par ailleurs précisé que le handicap intellectuel sévère doit être exclu de la loi en raison de la question de l'aptitude au consentement.
La principale préoccupation du Collège des médecins est de priver de nombreuses personnes lourdement affectées par leur handicap, mais ne répondant pas au qualificatif de neuromoteur.
La notion de handicap est claire partout au Canada, sauf ici. À notre connaissance, il n'y a pas eu de dérives nulle part au Canada à ce sujet-là
, a soutenu le président du Collège, le Dr Mauril Gaudreault, qui insiste sur l'importance de regarder l'état global de la personne et non l'origine de son handicap.
Selon lui, les balises pour éviter les dérapages sont claires et suffisantes. À vouloir clarifier davantage [la notion de handicap], je pense que l'on complique les choses
, a-t-il dit.
Pas une mince affaire
Mme Hivon estime que toute la notion de handicap ne représente pas une mince affaire
ou de petits débats
.
Qui peut juger en vertu de quel principe? Serait-il plus souffrant, par exemple, de perdre l'usage de ses jambes que de perdre l'usage de sa vue ou de son ouïe? Qui va déterminer ça?
, s'est-elle questionnée, invitant les parlementaires à pousser leurs consultations en ligne.
Mme Hivon s'inquiète de ce que l'absence de définition ou de restrictions autour du terme handicap ouvre la porte à l'AMM à des cas de handicaps intellectuels graves et incurables où les personnes sont toujours aptes à consentir.
L'ancienne députée de Joliette estime que le Québec se tendrait un piège s'il décidait de s'harmoniser avec le gouvernement fédéral et le Code criminel.

L'ex-députée péquiste Véronique Hivon
Photo : Radio-Canada / Ivanoh Demers
On n'aurait jamais bougé en 2009, le Code criminel n'était pas ouvert à l'aide médicale à mourir. Et là, on ne bougerait pas sur la demande anticipée
, a affirmé Mme Hivon.
Le président de la Commission sur les soins de fin de vie, le Dr Michel Bureau, croit que de retirer le qualificatif de neuromoteur
risquerait d'inquiéter 98 % des gens ayant un handicap qui ne se sentent pas concernés actuellement.
Ils ne demanderont pas l'aide médicale à mourir, ils n'y ont jamais pensé, leur entourage n'y a jamais pensé. Et là vous allez leur demander. Je trouve que nous questionnons des gens qui ne veulent pas entendre la question
, a-t-il mentionné.
La ministre Bélanger a reconnu au bout de la première journée de consultations que la notion de handicap neuromoteur était loin de faire consensus. Sa mouture législative reprend l'intégralité du projet de loi 38 de son collègue de la Santé, Christian Dubé, dont l'adoption avait échoué en juin dernier.
L'opposition lui a reproché de l'avoir présenté trop tard et d'y avoir inclus justement une disposition surprise sur les handicaps neuromoteurs graves. Cette disposition avait été larguée, dans une tentative d'accélérer l'adoption de la pièce législative.
Mardi, des intervenants ont aussi incité les législateurs à clarifier les dispositions entourant le refus de recevoir l'AMM et l'implication des proches.
Les consultations doivent se poursuivre mercredi.