Des devoirs signés ChatGPT? Compilatio vole au secours des universités
Le robot conversationnel ChatGPT a été rendu accessible au grand public le 30 novembre dernier.
Photo : Radio-Canada / Érik Chouinard
Il est gratuit, rapide, polyglotte et compte une excellente plume : comment dissuade-t-on les élèves du monde entier de faire rédiger leurs devoirs par le robot conversationnel ChatGPT? Compilatio, une société française spécialisée dans la détection du plagiat, a son idée.
Le succès foudroyant de ce logiciel lancé en novembre par OpenAI, une jeune pousse américaine, a provoqué un certain émoi dans les universités, qui redoutent que la tentation de lui faire écrire les travaux non surveillés soit trop forte. Nombre d'établissements ont déjà banni son usage et la résistance s'organise peu à peu.
La petite entreprise Compilatio, basée à Annecy, dans les Alpes françaises, a saisi sa chance. Elle a bousculé ses priorités et travaille à mettre rapidement au point un logiciel de détection des intelligences artificielles (IA), destiné spécialement aux universités.
Mise sur pied en 2003, l’entreprise fournit depuis des années aux enseignants et enseignantes un logiciel antiplagiat qui débusque les passages copiés-collés. Commercialisé en plusieurs langues dans une quarantaine de pays, l’outil équipe 98 % des universités françaises, selon Compilatio.
Lorsque ChatGPT est apparu, les enseignants se sont tournés vers nous, car il s'agit d'une nouvelle forme de triche, c'est un cas de plagiat
, indique son président et fondateur, Frédéric Agnès. Aujourd'hui, n'importe quel élève, n'importe où dans le monde, peut produire en 5 minutes un devoir de 20 pages.
Plus de 90 % de fiabilité
Compilatio dispose d'une technologie qui permet de déceler [...] à plus de 90 % de fiabilité la distinction IA-humain
, souligne-t-il, ajoutant que le logiciel fonctionne en plusieurs langues, soit l’anglais, le français, l’italien et l’espagnol.
L’entreprise avance même sur son site que son logiciel est plus efficace que celui de la jeune pousse montréalaise Draft & Goal, qui a lancé en janvier un détecteur d’IA.
Un démonstrateur sur le site de Compilatio (Nouvelle fenêtre) permet d'en faire l'expérience : testé avec une dépêche AFP, le logiciel a décelé avec 99 % de fiabilité [le texte d'un] humain
.
Mais pour quelques essais faits sur des textes générés par ChatGPT, le détecteur d’IA ne détectait pas toujours qu’ils avaient été rédigés par un robot conversationnel.
Une bonne partie des 30 personnes employées par le groupe, dont plusieurs doctorants et doctorantes en informatique, planche sur le logiciel, actuellement encore en phase de test.
D'ici deux mois, on pourra envisager d'avoir une première version
, explique la cheffe de produit, Laure Chabat.
« On sent qu'il y a une crainte des clients. Leur fournir une solution, c'est éviter qu'ils aillent trouver la solution ailleurs. »
ChatGPT a été conçu pour produire le texte le plus probable possible dans un contexte donné, un peu comme l'outil complétez la phrase
des moteurs de recherche, en plus performant. Il le fait tellement bien qu'on trouve ça magique
, souligne M. Agnès.
L’IA pour combattre l’IA
OpenAI a lancé en février son propre outil de détection de l'IA en accès libre, mais reconnaît qu'il n'est pas entièrement fiable à ce stade.
Comment faire la différence, alors? Un humain ne réfléchit pas comme ça, il a des imperfections
, relève M. Agnès.
Le système de détection de Compilatio, lui aussi basé sur l'intelligence artificielle, va donc consister à mesurer la prévisibilité du texte, son niveau de langage, la largeur du champ sémantique; des indicateurs que nous, humains, ne saurons pas mesurer, mais qui produisent un signal
, explique l'entrepreneur.
Le corps professoral reste optimiste
Mais au-delà du jeu du chat et de la souris technologique
, Compilatio a à cœur de fournir un accompagnement et de promouvoir [une culture] d'intégrité dans les établissements universitaires, plus que de taper sur les doigts des étudiants
, insiste M. Agnès.
Les logiciels antiplagiat ont fait leurs preuves, d’après Alain Gay, enseignant à l'école d'ingénierie ISARA et également coordonnateur du groupe technique sur le plagiat à l'Université de Lyon, dans le sud-est de la France.
Leur seule existence a provoqué en deux ou trois ans une chute phénoménale de l'usage du copier-coller
parmi les élèves, souligne-t-il.
« Avec ChatGPT, on ne sait pas encore exactement comment on va s'y prendre, mais on va maintenir la même logique : formation dans un premier temps, puis détection et répression, si nécessaire. »
Thomas Capron, étudiant en deuxième année à l'ISARA, se sert au quotidien
de ChatGPT. Ça permet de bonnes recherches, précises et concises, sur des notions de cours [...]. Mais une utilisation pour faire un devoir complet, ce n'est pas très constructif
, admet-il.
Les enseignants et enseignantes pourront toujours avoir recours aux devoirs surveillés, tempère Yann Demarigny, microbiologiste et enseignant-chercheur à l'ISARA. Il ne faut pas avoir peur. C'est un outil qui va venir enrichir notre pédagogie
, estime-t-il.
C'est à nous d'embrasser notre siècle et de nous adapter [...] Je pense qu'on trouvera aussi des aspects positifs, constructifs pour la formation de nos jeunes
, conclut M. Gay.