L’épave Ville de Vanier sera retirée des eaux à Gatineau

C'est une histoire fascinante que celle de ce bateau, le Ville de Vanier, qui a coulé dans le lac Leamy il y a 40 ans. La garde côtière canadienne vient de recevoir le feu vert pour retirer l'épave des eaux. Une opération très délicate. Reportage de Nelly Albérola.
Photo : Radio-Canada / Photo tirée des archives de Radio-Canada.
L’épave de la dernière goélette en bois jamais construite au Québec gît depuis 1983 dans le bras de décharge du lac Leamy, à Gatineau. Il y a quelques semaines, la Garde côtière canadienne a reçu l’autorisation de l’enlever.
Quarante ans après avoir brûlé dans un incendie, les restes de la goélette Ville de Vanier seront retirés des eaux. La Garde côtière a obtenu, le 22 février, le feu vert de la part de l’Agence d’évaluation d’impact du Canada.
Bien que ça ne constitue pas une urgence, les dangers relatifs à la sécurité du public, à l'environnement et à la sécurité de la navigation ont motivé notre décision d’enlever rapidement l’épave
, explique Victor Chiasson-LeBel, surintendant au programme des navires préoccupants à la Garde côtière canadienne, dans la région du centre.
À regarder :
Un récent programme de nettoyage
Depuis la Loi sur les épaves et les bâtiments abandonnés ou dangereux adoptée en 2019, la Garde côtière a le mandat de s’occuper des navires dits préoccupants. Dans ce cas-ci, l’épave n’est pas signalée et les gens peuvent la heurter en s’approchant avec leur embarcation
, poursuit le professionnel. Quand les eaux sont basses, les nageurs peuvent s’y rendre et se faire mal sur les morceaux de bois et les clous rouillés.
Sur le plan environnemental, la Garde côtière n’a pas répertorié de polluant à bord de l’épave, même s’il en reste peut-être dans certains compartiments que nous n’avons pas encore inspectés
, précise le surintendant.
Selon la Garde côtière canadienne, huit épaves ont déjà été retirées des eaux québécoises depuis le lancement du programme.
L’époque de la Jean Richard
La goélette Ville de Vanier a eu plusieurs vies avant de périr par les flammes, en août 1983.
Construite en 1959 dans le village de Petite-Rivière pour le compte du capitaine Paul-Émile Carré, la goélette a servi au tournage d’un documentaire du cinéaste québécois Pierre Perrault.
À l’origine, le bateau s’appelait Jean Richard, du nom d’un fils du capitaine qui, disait-on à l’époque, serait le prochain à prendre la mer.
Sa carrière commerciale fut assez courte, de 1959 à 1972-1973 seulement
, raconte Hubert Desgagnés, conseiller scientifique bénévole au Musée maritime de Charlevoix. Elle a transporté du bois de pulpe, mais aussi de la dynamite vers les ports de la Côte-Nord, à Sept-Îles.
Aux dires du passionné, cette entreprise familiale a connu plusieurs remous. Cinq ans après avoir lancé son bateau, le capitaine Carré décède
, narre-t-il. Quelques années plus tard, son fils, censé lui succéder à la barre, meurt dans la jeune vingtaine. Pour son épouse qui a hérité du bateau, ça n’a pas dû être les meilleures années.
Une seconde vie tumultueuse
La goélette retrouve une nouvelle vie dans la deuxième partie des années 1970.
À cette époque, plusieurs personnalités, artistes connus ont eu leur phase maritime, et se sont mis à acheter des navires pour en faire des bateaux de plaisance
, se souvient le conseiller scientifique.
Les archives de Radio-Canada nous permettent de retracer, en partie, la seconde vie de la Jean Richard - Ville de Vanier : elle a été rachetée, puis transformée pour accueillir un maximum de passagers.
Son gabarit lui permettait de passer l’écluse de Carillon [entre le Québec et l’Ontario], c’est comme ça qu’elle s’est retrouvée dans la région de Gatineau
, avance Hubert Desgagnés.
Devenant tour à tour un lieu flottant de réception et de discothèque sur la rivière des Outaouais, elle fut même, pendant quelques jours, une maison de jeux tenue par l’éternel candidat aux élections politiques John Turmel.
Mais la période des soirées fut éphémère et la goélette s’est rapidement retrouvée amarrée au quai de Hull, abandonnée aux actes de vandalisme.
Après des années de bras de fer, la Commission de la capitale nationale (CCN), administratrice du quai, et le propriétaire de la goélette à l’époque, Jean-Paul Barrette, ont décidé d’un commun accord de déplacer l’embarcation.
Quelques mois plus tard, un incendie détruisait en quasi-totalité la section arrière de la Ville de Vanier.
À écouter :
Témoin de l’histoire maritime québécoise
La Garde côtière va faire appel à un entrepreneur privé pour retirer l’épave de la Ville de Vanier. Nous allons tenter d’obtenir l’enlèvement dans les prochains mois
, annonce Victor Chiasson-LeBel. Le retrait se fera par la voie maritime, pour minimiser les impacts sur la biodiversité environnante.
Des reptiles et des batraciens ont été identifiés dans les milieux humides, près des berges.
Quant à savoir le coût exact de l’opération, la question reste, pour le moment, sans réponse. On a un ordre de grandeur qui peut aller d'une à 10 fois nos estimations
, souligne le surintendant. Dans ce cas-ci, on parle de plusieurs centaines de milliers de dollars.
Aux dires du fonctionnaire, des discussions avec le Musée maritime de Charlevoix ont été entamées pour valoriser certains artefacts de la goélette. Charlevoix était la seule place à fabriquer ce genre de bateau
, assure Hubert Desgagnés. Ni sur la côte ouest, ni en Europe, ni en Afrique, on ne faisait des bateaux ainsi. Ce sont nos derniers témoins, il faut les préserver du mieux qu'on peut, même si ce ne sont que des morceaux de ces témoins-là.
Tout ce qui ne sera pas récupérable sera recyclé.
La fin des goélettes en bois
Sans son rachat dans les années 1970, la goélette n’aurait, de toute façon, pas vécu très longtemps.
« Dès 1955, on était presque d’accord, mais on ne l’admettait pas encore, que c'étaient les dernières années des goélettes de bois. »
Une fois la Seconde Guerre mondiale terminée, les propriétaires de bateaux ont commencé à remplacer leur goélette en bois par des caboteurs en acier qui avaient une meilleure capacité de transport.
La priorité avait changé : elle était désormais sur les routes et non plus plus sur les voies maritimes
, explique le conseiller scientifique.
Mise à l’eau le 23 mai 1959, juste avant le lever du soleil, la Jean Richard - Ville de Vanier a été la dernière goélette en bois à fond plat lancée sur les bords du Saint-Laurent.