Enquête
Suicide d’une adolescente : une radiation de quatre mois demandée pour une psychologue

Lili Homier n'avait que 13 ans lorsqu'elle s'est enlevé la vie.
Photo : Famille Homier
Une psychologue des Laurentides sera vraisemblablement radiée temporairement parce qu’elle n’a pas évalué le risque de suicide d’une adolescente en détresse. Lili Homier s’est enlevé la vie à seulement 13 ans et, à la suite d’une plainte des parents de la jeune fille devant l’Ordre des psychologues, Annie Moreau n’aura plus le droit de traiter des enfants pour le reste de sa carrière.
La radiation d'une durée de quatre mois est une recommandation commune des avocats de la psychologue et des parents de Lili, qui sont les plaignants dans cette affaire.
Devant le conseil de discipline, vendredi, Annie Moreau a admis ne pas avoir respecté les règles de l’art de sa profession et ne pas avoir tenu compte des limites de sa compétence. Elle accepte de ne plus avoir le droit d'exercer sa profession auprès de clients de moins de 14 ans.
La plainte a été déposée à la suite du suicide de Lili Homier, en novembre 2017. La jeune fille, considérée comme une surdouée, composait avec de graves problèmes d’anxiété accompagnés de symptômes de dépression et d’idées suicidaires clairement exprimées.
L’adolescente était suivie par une équipe multidisciplinaire composée de Mme Moreau, d’une travailleuse sociale et d’un psychiatre affilié au CSSS
des Sommets, à Sainte-Agathe-des-Monts.Annie Moreau, qui a rencontré Lili à 39 occasions sur une période d’un an, a admis n’avoir jamais évalué son risque suicidaire et ne pas avoir élaboré un plan de sécurité pour elle. La psychologue a également reconnu avoir omis de communiquer des faits importants au psychiatre qui traitait Lili. Elle a aussi été sanctionnée pour sa mauvaise tenue de dossier.
J’aurais voulu avoir les connaissances et les compétences à cette époque-là pour aider votre fille, j’en suis désolée
, a déclaré la psychologue en s’adressant à Fanie Charbonneau, la mère de Lili, qui était présente dans la salle.
Travail en silo
Le rapport du psychologue expert retenu par les parents relève des manquements significatifs
dans la démarche thérapeutique de sa consoeur Annie Moreau. Alors que l’état de Lili s’était nettement dégradé, au mois d’octobre 2017, Frédéric Laterrière conclut que la psychologue n’a pas pris les moyens nécessaires pour favoriser un autre dénouement dans le cas de sa cliente. [...] Un placement d’urgence dans une équipe de soins spécialisés aurait pu être recommandé par la psychologue afin d’aider Lili à traverser sa période de crise suicidaire.
Le rapport note également le manque de collaboration de la psychologue avec les parents de Lili. Quelques semaines avant sa mort, ces derniers avaient trouvé une corde accrochée au plafond, et leur fille s’était enfermée dans sa chambre avec un couteau. Lorsqu’ils ont tenté d’informer la psychologue de la dégradation de l’état de Lili, Annie Moreau a refusé de les rencontrer, leur proposant plutôt de s’adresser à la travailleuse sociale.
Le manque de communication, voire le travail en silo de la psychologue, a pu contribuer en partie au décès de cette adolescente
, conclut l’expert.
Lili avait par ailleurs demandé elle-même à rencontrer sa psychologue toutes les semaines, ce qu'Annie Moreau a refusé, en statuant que des rencontres mensuelles étaient suffisantes.
Devant le conseil de discipline, Fanie Charbonneau a offert un témoignage troublant. Ça a été mon plus gros choc de réaliser que, pendant tout ce temps, ma fille a été entre les mains d’une personne qui n’avait pas de compétences.
« Cette sanction pour Mme Moreau ne représente pratiquement rien. Nous, notre sentence, elle est pour la vie. »
Un signalement à la Direction de la protection de la jeunesse, trois semaines avant la mort de Lili Homier, aurait pu mener à une admission en unité psychiatrique d’urgence. Le signalement n’a pas été retenu par la DPJ
, parce que Lili était déjà prise en charge par une équipe de professionnels.Parcours du combattant
C'est à la suite d’une deuxième plainte des parents de Lili Homier que la radiation a été prononcée. En réponse à leur première plainte, le syndic de l’Ordre avait conclu une entente confidentielle
avec la psychologue, qui s'était engagée à suivre plusieurs formations, sans toutefois reconnaître aucune faute. Depuis, Annie Moreau a effectivement suivi ces formations et a été supervisée par une consoeur pour une période de 16 heures.
Les parents ont refusé cet arrangement. Fanie Charbonneau estime que le syndic de l’Ordre a voulu balayer [leur] plainte sous le tapis
en refusant de présenter le cas de Mme Moreau devant le conseil de discipline. Ils ont donc présenté une seconde plainte, privée cette fois-ci.
Je trouve extrêmement préoccupant, décevant et injuste que ces manquements graves n’aient pas amené le syndic à déposer dès le départ une plainte devant le conseil de discipline
, a déclaré Mme Charbonneau avec émotion, vendredi. Elle dit avoir entrepris des démarches pour rappeler à tous les psychologues du Québec l’importance d’évaluer un enfant qui tient des propos suicidaires, en rappelant qu’un enfant de 13 ans ne se magasine pas un diagnostic de dépression pour le plaisir
.
L’avocat des parents, Claude Leduc, renchérit : Comment le public peut-il être protégé si le public ne connaît pas les faits, parce que le syndic n’a pas déposé de plainte devant le conseil de discipline? Et si les psychologues eux-mêmes ne sont pas au courant? [...] L’exemplarité et la dissuasion, c’est étonnant que le bureau du syndic ait manqué cette mission-là.
La présidente du conseil de discipline a promis de faire connaître sa décision rapidement
. Selon nos sources, il est très rare que le conseil n’entérine pas une suggestion de sanction lorsqu'elle est présentée par les deux parties.
Annie Moreau continue de pratiquer au CSSS
des Sommets, à Mont-Tremblant.Besoin d'aide?
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