Grands espoirs pour la haute mer
Le premier traité mondial destiné à protéger les écosystèmes des eaux internationales est une étape très importante.

Le premier traité destiné à protéger les écosystèmes des eaux internationales est une étape très importante.
Photo : afp via getty images / Josepeh Prezioso
C’est un traité imparfait, mais historique.
Ça faisait 20 ans que les pays de la planète négociaient pour s’entendre sur la protection de la biodiversité en haute mer. Après des années de débats scientifiques, de controverses juridiques et de tractations politiques, les États ont enfin conclu un accord sur la conservation et l'utilisation durable de la biodiversité dans les zones situées au-delà des compétences nationales.
Le traité signé pourrait être un pas de géant pour la protection des océans.
Pour la première fois de l’histoire, les pays se sont mis d'accord pour protéger la haute mer, qui était en quelque sorte le maillon manquant pour pouvoir classer 30 % de l’océan sous un statut de protection d’ici 2030, selon l’accord international pour la biodiversité conclu en décembre 2022, à Montréal.
C’est majeur.
Le navire a atteint le rivage
, a dit la présidente de la Conférence intergouvernementale sur la biodiversité marine des zones ne relevant pas de la compétence nationale, Rena Lee, quand l’accord a été enfin conclu, le 4 mars dernier.
Ça aura pris du temps. Mais l’enjeu, il faut le dire, n’est pas simple.
La haute mer, c’est vaste. C’est près de la moitié de la superficie de la planète, une zone qui représente près des deux tiers des océans du globe. Elle commence là où les frontières nationales s’arrêtent, au-delà des zones économiques exclusives des États, à 200 milles nautiques des côtes (370 kilomètres).
Elle n’est donc du ressort d’aucun État. En fait, la haute mer appartient à tout le monde… et à personne en même temps.
Au fil du temps, on s’est bien aperçu que ce grand vide juridique posait problème.
Les pays ont beau s’être entendus en décembre dernier à Montréal, à la conférence des Nations unies sur la diversité biologique (COP15), pour protéger 30 % des aires terrestres et marines d’ici 2030, tout ça ne concernait finalement que les zones gérées par les États eux-mêmes.
Tout le reste, ce qui veut tout de même dire environ 60 % de la superficie des océans, restait une zone exempte, pour l’essentiel, de règles de protection.
Or, dans le grand large, les problèmes sont nombreux.
La haute mer sous la pression des activités humaines
D’abord, les deux dernières décennies ont vu les problèmes de la surpêche et de la pêche illégale exploser, mettant à risque les stocks de poissons. C’est un phénomène extrêmement bien documenté.
Selon les experts de l’agence onusienne pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), à peine les deux tiers des populations de poissons et de crustacés sont aujourd’hui pêchés de façon durable, c’est-à-dire de façon à ce que l’espèce puisse se reconstituer. Les nouvelles technologies de pêche permettent de racler le fond des océans à de très grandes profondeurs. En haute mer, donc, la situation se dégrade.
Il y a ensuite le très grave problème de la pollution. Celle produite par le transport maritime et les déversements d’hydrocarbures, bien entendu. Mais celle, aussi, générée par le plastique. Dans une étude publiée le 8 mars dernier dans la revue scientifique Plos One (Nouvelle fenêtre) (en anglais), des chercheurs américains constatent que la pollution des océans par le plastique a explosé depuis 2005, un effet de l’augmentation exponentielle de la production de plastique dans les deux ou trois décennies précédentes. Ils évaluent qu’aujourd’hui entre 1,1 et 4,9 millions de tonnes de plastique sont répandues dans les océans. Ils estiment que si rien n’est fait, le taux de pénétration des particules de plastique dans les océans va plus que doubler d’ici 2040.
Il y a enfin le problème de l’exploitation des ressources minières et des ressources génétiques. Le fond des océans en haute mer recèle des métaux, des éponges marines d’eau profonde, des algues, des coraux, des bactéries et des carburants que reluquent de nombreuses compagnies et de nombreux États.
D’où la nécessité, on le comprendra, que cette vaste zone soit gérée par un traité international.
Ce que permettra le traité
La mesure phare de cette entente internationale est certainement celle qui permettra à la communauté internationale de créer des aires marines protégées en haute mer, afin de limiter et d’empêcher les activités humaines dans ces zones. C’est une avancée importante qui permettra de mieux gérer la pêche, les routes commerciales et l’exploration des ressources minières. Les propositions de zones protégées seront évaluées par un conseil scientifique et technique.
Mais le traité ne vise pas qu’à protéger des zones marines.
Il comprend aussi des dispositions très importantes qui vont au-delà de la simple protection.
D’une part, l’entente a aussi pour but de garantir que les ressources océaniques nouvellement découvertes, et les bénéfices qui en découlent seront équitablement répartis entre les pays développés et les pays en développement.
L’accord résout ainsi le différend longtemps insoluble concernant les gains tirés des ressources génétiques marines, qui vont surtout dans les poches des pays riches, qui sont les seuls à avoir la capacité de les exploiter.
Le matériel génétique issu des plantes, des animaux, des microbes ou d’autres origines, va peut-être intéresser des secteurs comme la médecine, la pharmacie, les cosmétiques, la chimie. Des sommes importantes pourront ainsi être générées par ceux qui les exploitent. Mais en vertu de l’entente, les bénéfices seront partagés : les pays développés ont accepté d’effectuer des versements anticipés qui iront dans un fonds commun.
Encore faut-il que ces ressources existent! Plusieurs biologistes pensent qu’il y a peu de ressources génétiques exploitables à ces profondeurs. On verra.
Mais tout ça reste une très bonne nouvelle.
D’autre part, l’accord permet un autre progrès majeur, bien que limité : la possibilité pour les pays de soumettre les activités en haute mer à des évaluations d’impact environnemental. Cette disposition est particulièrement importante pour les activités dont les effets sont mal connus, comme les activités minières en mer profonde.
Cette mesure a toutefois des limites : selon l’accord, les études restent du ressort unique de chaque pays, individuellement. Si c’est un navire qui porte pavillon canadien qui est impliqué dans une activité, c’est le Canada qui réalisera l’évaluation. Les États devront faire preuve de transparence à cet égard… Car l’accord laisse le soin aux pays qui réalisent l’étude d’impact de décider si l’activité pourra être menée ou non. Le rôle des autres pays se limitera à pouvoir notifier leur désaccord et à consulter les autres États membres.
On voit déjà les problèmes à venir.
C’est une des grandes faiblesses de l’accord. Mais c’est aussi le résultat d’un compromis sur un enjeu qui bloquait les négociations depuis des années.
Défis à surmonter
Si un traité est enfin né maintenant, après toutes ces années de négociations, c’est peut-être parce que l’on connaît mieux ce qu’il y a à protéger. Les nouvelles technologies d’observation et de recherche nous permettent de mieux connaître la richesse de la biodiversité de la mer au grand large.
On protège mieux ce qu’on connaît.
Mais malgré la signature de ce traité, il y a encore loin de la coupe aux lèvres.
Pour l’heure, ça ne reste qu’une entente de principe. Pour qu’il puisse entrer en vigueur, et pour que les fonds puissent s’échanger, le texte devra d’abord être ratifié par soixante pays. Ça ne devrait pas poser un problème, mais ça ne se fera pas du jour au lendemain.
Le plus grand défi restera certainement d’appliquer l’accord. La haute mer, on le disait, c’est la moitié de la planète! Comment pourra-t-on surveiller tout ce qui se passe en mer? Certes, des technologies comme les satellites, les radars et les drones permettront une meilleure surveillance.
Mais l’accord devra imposer ses exigences en matière de transparence. Quand il s’agit d’entente internationale, ce n’est jamais simple.
Il restera aussi à élaborer une structure pour répartir les fonds, un processus de consultation, des règles claires d’évaluation environnementale et une liste initiale de zones à protéger.
Aussi porteur d’espoir soit-il, le voyage qui reste à faire avant de vraiment atteindre le rivage n’est pas terminé.
Et on peut penser qu’il y aura de la houle.