Trouver un donneur de rein sur les réseaux sociaux : l’envers du décor
Offrir un rein de son vivant à une pure inconnue, c’est le geste qu’a posé Frédéric Verville le 1er décembre dernier. Il y a un peu plus d’un an, une Trifluvienne avait lancé un cri du cœur sur les réseaux sociaux : elle avait besoin d’un rein pour vivre normalement et réaliser son rêve d’avoir un enfant.
Prendre en charge la recherche de son propre rein demande donc de l’encadrement et des compétences.
Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé
Emprunter la voie des réseaux sociaux est une démarche peu commune au Québec pour trouver un donneur d'organe, mais c'est ce que Judith Bélair-Kyle a réussi à faire. C’était une première pour le personnel de la clinique de greffe de l’équipe de l'Hôpital Maisonneuve-Rosemont.
C’est une nouveauté avec les réseaux sociaux. C’est l’avenir et il n’y a plus de limites. On l’a concrètement comme solution. C’est très important, toutefois, de laisser les équipes gérer la sensibilité et les éléments éthiques qui viennent avec ça, notamment la confidentialité
, affirme l'infirmière coordonnatrice du don vivant à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont, Valérie Joly, qui a coordonné la candidature de Frédéric.
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Dans le cas de Judith, je pense que c’est un match parfait
, admet la directrice de la Fondation du rein, division Québec, Francine Labelle. N’empêche que ça ne se passe pas toujours comme ça
, tient-elle à ajouter.
« Notre priorité, c’est la santé et la sécurité des personnes atteintes de maladies rénales. Notre préoccupation par rapport à une telle démarche, c’est vraiment qu’il y ait une forme de marché noir qui se crée. Il y a aussi toute la possibilité qu’il y ait un vol d’identité ou d’informations bancaires. »
Judith s’est effectivement fait offrir de l’argent en échange d’un rein. Elle a reçu quatre propositions en tout. Elle les a toutes ignorées. Pour moi, ce sont des signes de détresse. Ce sont des gens qui ont tellement besoin d’argent qu’ils sont prêts à vendre un rein. Je trouve tout le temps ça dramatique
, déplore Judith.
Son filet de sécurité, c’est la clinique de greffe de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont qui l’a tendu. Dans son message initial sur Facebook, les personnes intéressées devaient s’adresser directement au personnel de la clinique de greffe.
« Il est possible de poser vos questions, sans aucun engagement, en appelant mon centre de greffe à l'hôpital Maisonneuve-Rosemont [...] La démarche peut se faire sans que je ne sois au courant. »
Judith a constaté l'étanchéité de la démarche . À preuve, Frédéric a franchi toutes les étapes à son insu. Ils s'assurent que les personnes qui offrent leur rein le font pour les bonnes raisons. Ils ont même vérifié que Frédéric n’était pas quelqu’un de particulier qui serait intéressé par mon histoire, par moi, pour des raisons malsaines
, a-t-elle constaté.
Prendre en charge la recherche de son propre rein demande donc de l’encadrement et des compétences, malgré la facilité évidente avec laquelle on peut rédiger une publication sur les réseaux sociaux. Moi, j’ai la chance d’être capable de le structurer, de le penser, de le réfléchir, de faire un genre de campagne de marketing si on veut, mais c’est parce que j’ai les ressources. Ce n’est pas tout le monde qui a ça
, constate-t-elle.
Si les organes provenant de donneurs vivants ou cadavériques étaient plus nombreux, Judith n’aurait jamais eu à faire appel aux réseaux sociaux.
Ça n’a pas de bon sens que ce soit à moi de tout faire ça. Il faut que je demande aux gens de me donner un rein. Le stress que ça me demande de chercher un rein quand je suis malade et que je devrais juste être couchée. C’est fou
, argue-t-elle.
Des organes de grande qualité
La qualité des organes provenant des donneurs vivants est indéniable. La durée de vie du greffon est plus élevée. Toutefois, au Québec, le taux de donneurs vivant est inférieur à la moyenne canadienne.
Pour augmenter le nombre de donneurs, Québec a créé en 2018 le Programme québécois de don vivant de rein. Le néphrologue au Centre hospitalier de l'Université de Montréal (CHUM) Michel R. Pâquet en est le directeur. Depuis l’implantation du programme, on est passé d’une moyenne de 50 donneurs par année à 75 en 2021
, constate-t-il.
Les patients sont notamment sensibilisés plus tôt à la possibilité qu’ils aient besoin d’une greffe. Les bienfaits liés au don vivant sont aussi bien expliqués.
Pour ce qui est d’une forme de sollicitation sur les réseaux sociaux, il n’est pas nécessairement contre.
« On est en faveur de toute démarche qui va faire augmenter le don vivant au Québec. Pourvu que ce soit fait de la bonne façon et que l’on prenne en considération les enjeux médicaux, psychosociaux et éthiques de chaque démarche. »
Un rein pour Judith = 4 reins
Francine Labelle, de la Fondation du rein, aimerait que le Québec atteigne les mêmes chiffres qu’en Ontario. Elle demande une modernisation de la Loi sur le don d’organes. Selon elle, il faut miser sur le référencement. Le référencement, c’est vraiment que les professionnels de la santé puissent identifier des donateurs potentiels parmi leurs patients, puis les faire entrer dans le processus avant même qu’il y ait une annonce sur les réseaux sociaux
.
Et si, pour l’instant,la démarche de Judith pouvait faire partie de la solution?
« En trouvant un donneur à l'extérieur du cadre qui existe déjà, non seulement moi j’obtiens un rein, mais je m’enlève de la liste d’attente de donneur cadavérique. J’amène un rein de plus dans la banque de reins. »
En réalité, c’est déjà plus. Judith a obtenu son rein de Frédéric (un). Elle laisse à quelqu’un d’autre le rein qu’elle aurait obtenu en étant sur la liste d’attente (deux). À la suite de son cri du cœur, deux autres personnes ont entamé des démarches pour lui donner un rein (trois et quatre). À défaut de donner leur rein à Judith, elles ont accepté de devenir des donneurs anonymes. Ça fait donc quatre en tout.
C’est sans compter les impacts non mesurables, précise Valérie Joly. La démarche de Judith a suscité de la curiosité. Des gens ont pris de l’information. Ça va mijoter et ils pourraient revenir vers nos services
.
Et si ça se bousculait au portillon pour donner un rein, le Dr Pâquet assure que les services suivront. Il y aura toujours lieu de s’ajuster. Si dans certains cas il faut augmenter le personnel, je pense qu’on pourra aller cogner à la porte du ministère de la Santé pour leur demander si l’on peut augmenter l’offre dans certains centres de don vivant
, estime-t-il.
Maintenant greffée, Judith veut alimenter le débat, élargir le spectre des possibilités pour obtenir un don d’organe.
Frédéric compte bien la soutenir dans son désir de sensibiliser la population à la possibilité de donner un organe de son vivant. C’est ce qui l'a motivé à participer au documentaire Un rein pour Judith. Si jamais on peut rejoindre d’autres personnes qui peuvent aussi décider d’entamer des démarches, ça me ferait plaisir de le faire
.