Le propriétaire des vaches en cavale avait un épais dossier au MAPAQ
Il y a deux mois prenait fin la cavale des célèbres vaches de Saint-Sévère. Derrière cette histoire cocasse en apparence se cache un producteur agricole dépassé par les événements, qui n’en est pas à ses premiers démêlés avec le ministère de l’Agriculture. Le propriétaire de la ferme minimise la gravité des infractions commises, tout en reconnaissant qu’il y a place à l’amélioration.

Le reportage d'Amélie Desmarais
Photo : Radio-Canada / Yoann Dénécé
Radio-Canada a appris grâce à la Loi sur l’accès à l’information que la Ferme Clément Lapointe et fils, propriétaire des vaches qui se sont évadées, a reçu 13 fois la visite des inspecteurs du MAPAQ au cours de la dernière décennie et que ceux-ci lui ont remis 11 avis de non-conformité entre 2010 et 2018.
Par la suite, cinq constats d’infractions totalisant plus de 5000 $ ont été remis à la ferme en 2013 et 2016 par le ministère de la Justice.
L’amende la plus salée, 3750 $, pour avoir enfreint en 2016 la loi sur le bien être animal n’a toujours pas été payée par l’entreprise agricole, qui doit toujours plus de 4000 $ au gouvernement pour des constats d’infractions impayés.
Le MAPAQLa Loi sur l’accès nous empêche de répondre favorablement à la communication de documents ultérieurs à ceux qui vous ont été communiqués, tant et aussi longtemps qu’il est possible que des démarches en justice soient entreprises
, peut-on lire dans un courriel.
Interventions entre 2010 et 2018 :
13 visites du MAPAQ
11 avis de non-conformité
5 constats d’infraction
Solde impayé en date du 1er mars 2023 : 4038 $
Entorse à la loi sur le bien-être animal
En mai et septembre 2016, des inspecteurs du MAPAQ
qui ont rendu visite à deux reprises à la Ferme Clément Lapointe et fils ont constaté de nombreuses entorses à la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal. C’est d’ailleurs à la suite de la visite du 7 septembre 2016 qu’un constat d’infraction de 3750 $ a été donné, selon le ministère de la Justice.Dans les rapports, un inspecteur déplore que l’entretien de base des animaux est non assuré
, que plusieurs vaches et veaux sont gardés dans des conditions insalubres
, que l’eau est d’une qualité douteuse
et la nourriture en quantité insuffisante
.
L’inspecteur indique que plusieurs vaches ont les onglons longs ou très longs
et que quelques bovins présentent des signes de maigreur
. Il note la présence de moisissure dans les mangeoires des veaux et d'un oiseau mort dans l'abreuvoir extérieur
.
« Les veaux ont les pattes, les flancs et le ventre croûtés du fumier. Le plancher et les murs sont recouverts d'excréments solides et liquides de couleur brunâtre. Le propriétaire des animaux ne s'assure pas que le bien-être des animaux ne soit pas compromis. »
La vétérinaire et conseillère en bien-être animal au MAPAQ
, Émilie Pelletier, explique que la Loi sur le bien-être et la sécurité de l’animal est entrée en vigueur en 2015 et qu'il y est inscrit que le lieu doit être salubre, propre et convenable. Mme Pelletier indique que les inspecteurs se déplacent généralement à la suite d’une plainte ou pour faire un suivi.Selon elle, il y a toujours une gradation des sanctions, sauf quand la situation est jugée trop grave. Les inspecteurs remettent d’abord des avis de non-conformité et allouent un délai pour apporter des correctifs. Toutefois, lorsque la situation le justifie, un rapport d'infraction est rédigé par l’inspecteur et transmis au ministère de la Justice, qui donne les constats d’infractions.
Des problèmes de conformité répétés
Lors de leurs nombreux passages, les inspecteurs du MAPAQ
ont noté à répétition au fil des ans de nombreuses non-conformités.Les quelque 80 pages de documents obtenus révèlent qu’un premier avis a été remis dès 2010 en lien avec des équipements malpropres et des médicaments mal rangés, et notent aussi l’absence d’étiquettes de traçabilité sur les oreilles des vaches.
En mars et en mai 2013, les mêmes non-conformités sont à nouveau rapportées et deux constats d’infraction sont donnés. Dans la petite étable se trouvent plusieurs bovins entassés, écrit l’inspecteur, peut-on lire dans le rapport. Il n'y a pas de ventilation et la lumière ne semble pas suffisante. Il y a accumulation de fumier et les animaux n'ont pas de place pour se coucher sans être les uns sur les autres.
Il indique qu’on retrouve une vingtaine de taures dehors au champ dont la seule source d'eau est un ruisseau
. Il note également que 38 bovins et sept veaux n’ont pas d’étiquettes d’identification.
En 2015, à la suite d’une plainte, un inspecteur retourne sur les lieux et constate les mêmes problèmes et remet de nouveau un avis de non-conformité à Pierre Lapointe et son père, qui s'occupaient alors tous deux de l'exploitation agricole.
Je constate qu'effectivement 16 taures sont gardées à l'extérieur et n'ont pas d'abri contre les intempéries
, écrit l’inspecteur dans son rapport.
Il déplore notamment que les bassins d'eau à l'extérieur soient vides ou gelés, qu’il n’y ait pas d’eau dans l’une des étables et qu’il y ait une accumulation de fumier.
En 2016, trois constats d’infraction ont été donnés à la suite des visites du MAPAQ
. En 2017, une nouvelle plainte concernant l’absence d’abri pour les bovins donne lieu à une nouvelle visite d’un inspecteur qui juge la plainte non fondée. Le dernier document obtenu révèle un avis de non-conformité émis en 2018. L’inspecteur a noté des enjeux en lien avec la propreté des vaches et de leur environnement ainsi que des équipements laitiers.Un propriétaire à l’ancienne mode
Pierre Lapointe, qui exploitait la ferme avec son père jusqu’en 2021, admet avoir reçu les visites répétées du MAPAQ
dans le passé, mais minimise les infractions commises.Il y en a sur toutes les fermes, il faut qu'ils trouvent de quoi quand ils viennent, lance M. Lapointe lors du passage de Radio-Canada à la fin février. On va faire ce qu'ils nous demandent.
« C'est quasiment impossible que [les inspecteurs du MAPAQ] ne trouvent rien [à reprocher]. »
Pierre Lapointe reconnaît tout de même avoir pu être dépassé par la réglementation en constante évolution et plus récemment lorsque ses vaches ont pris la clé des champs.
Je suis d'accord, on est dépassé, admet finalement le propriétaire des vaches . On est peut-être encore à l'ancienne mode, mais en tout cas, je sais que, pour les animaux, ils vont bien dehors.
Il dit retenir de cette histoire toute la gang qu’il a eue pour l'aider
. Il a d’ailleurs entrepris récemment une démarche pour mettre ses installations aux normes. Au moment de notre passage, il attendait la visite d’un consultant. Il vient nous aider à nous mettre sur le plancher pour qu'on soit à l'ordre, dit-il. Ça change très vite.
Lors du passage de Radio-Canada, certaines vaches n’avaient pas d’étiquettes de traçabilité à l’oreille, dont deux veaux conçus en cavale et nés au cours des dernières semaines.
Questionné à ce sujet, Pierre Lapointe indique qu’il n’a pas l’intention de leur mettre tout de suite. Je ne veux pas leur faire des blessures parce qu'elles ont eu assez de misère à Saint-Sévère
, se justifie l’homme. Je leur fais bien attention, moi, je fais à ma tête
, conclut-il.
Une cavale coûteuse
Les bovins les plus célèbres de la province ont passé plus de 6 mois en liberté, causé des dizaines de milliers de dollars en dommages et mobilisé pendant des semaines le personnel de la Municipalité de Saint-Sévère, des agriculteurs locaux, l’Union des producteurs agricoles (UPA) de la Mauricie, les intervenants du MAPAQdes cowboys de Saint-Tite et une dresseuse de chevaux. Le ministère, qui a chapeauté les opérations après les nombreux appels à l’aide de la municipalité de Saint-Sévère, est d’ailleurs incapable, malgré nos demandes répétées, de chiffrer les coûts de cette cavale.
,La Municipalité de Saint-Sévère, à elle seule, estime à près de 30 000 $ ce que ses citoyens ont dû payer pour retourner les vaches à leur propriétaire. Malgré les promesses du MAPAQ
de la rembourser, la petite Municipalité n’a toujours pas revu la couleur de son argent.L’UPA
de la Mauricie qui a été très impliquée dans l’opération d’une quarantaine de jours qui a permis de rattraper les bêtes en liberté arrive à coût nul, selon son président Martin Marcouiller.On avait des coûts par rapport à l'alimentation des animaux, des taures
, explique-t-il, ajoutant que c’est la ferme Clément Lapointe et fils qui a payé la facture. Les agriculteurs du coin qui ont consacré d’innombrables heures à la traque l’ont fait bénévolement, selon l’UPA .
C'est la première fois qu'on vit quelque chose qui est une situation assez banale, mais qui devient aussi énorme
, confie M. Marcouiller, qui s’implique à l’UPA depuis une vingtaine d’années.
La détresse des agriculteurs
Le président de l’UPA
de la Mauricie, Martin Marcouiller, se préoccupe de la santé mentale des producteurs agricoles.Le président, qui est aussi producteur de porcs en Mauricie, affirme que les normes évoluent très rapidement et que le Québec est l’une des provinces les plus réglementées au pays. Que ce soit au niveau du MAPAQ, du bien-être animal ou de l'environnement, tout est vraiment réglementé
, constate M. Marcouiller, déplorant du même souffle la paperasse et la bureaucratie qui viennent avec
.
C'est l'enfer
, plaide M. Marcouiller. Oui, c'est bon, les animaux, le bien-être animal, l'environnement, mais il y a un autre côté, il y a une surcharge au niveau des producteurs et c'est ça qui commence à être un peu lourd à supporter.
« Au lieu de parler des vaches en cavale, si on pouvait parler un peu de détresse psychologique chez nos producteurs, productrices. »
Le président de l’UPAIl a comme été dépassé par tout ça, mais le principal, c'est que l'opération est terminée
, explique Martin Marcouiller, qui insiste sur la solidarité entre producteurs, mais aussi sur la détresse que vivent certains d’entre eux.
Il indique d’ailleurs que les producteurs qui ont subi des dommages ont été remboursés par les assureurs de la Ferme Clément Lapointe et fils.