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Analyse

Les promesses de François : solitude et impuissance

Après dix ans au pouvoir, le pape François semble seul et souvent épuisé. Fin de règne? Voici le troisième et dernier texte à propos des promesses de François.

Le pape François, seul dans son fauteuil roulant devant le lac Ste. Anne.

Le pape François se recueille devant le lac Ste. Anne, en Alberta, lors de sa visite au Canada en juillet 2022.

Photo : Associated Press / Eric Gay

Depuis plusieurs décennies maintenant, les papes voyagent. Souvent, ce sont des moments d’allégresse pour les catholiques. Ci-dessus, une des photos les plus saisissantes du règne de François. Elle résume dix ans de pouvoir, de batailles et de promesses.

Un homme, le chef de la plus grande institution religieuse, seul, en fauteuil roulant, devant un lac aux rivages incertains. Il n’y a rien devant lui, sinon tous les fantômes de ceux qui lui ont donné rendez-vous au Canada.

Pendant plus d’un siècle, des milliers d’enfants autochtones ont été arrachés à leurs familles et livrés à des religieux surtout catholiques qui ont tout fait pour éliminer leurs cultures.

Ils y sont presque parvenus.

Dans cette sombre histoire, avant François, dix papes se sont succédé sans jamais s’excuser pour la participation active de leur Église dans ce que le pape François considère lui-même comme un génocide. Il y a eu des regrets, mais guère plus.

Du moins jusqu’au printemps 2022.

Devant cette tragédie, qu’est-ce que le pape révolutionnaire pouvait bien offrir à ceux qui ont tant souffert?

Des tambours et des raquettes dans la salle Clémentine

En mars 2022, le pape François a ouvert les portes de la salle Clémentine aux représentants des Premières Nations. Une salle mythique du Vatican, où sous les fresques magnifiques et le marbre froid, tant de grands personnages, depuis 500 ans, ont défilé.

Et voilà ces images bouleversantes. David Serkoak fait résonner son tambour. Kevin Scott fait une danse traditionnelle flamboyante. Et Adrian N. Gunner, un jeune Cri de Waswanipi, qui offre au pape une paire de magnifiques raquettes traditionnelles.

Un Autochtone offre une paire de raquettes au pape François, lors d'une audience au Vatican.

Adrian N.Gunner a offert au pape François des raquettes traditionnelles. Il y a 40 ans, son grand-père Billy Diamond avait lui aussi offert des raquettes au pape Jean-Paul II.

Photo : Reuters / Vatican Media

C’est déjà une victoire que de faire résonner la voix des premiers peuples du Canada dans l’antre de ceux qui ont tout fait pour supprimer leur culture. En vous donnant ces raquettes maintenant, a dit au pape Adrian N. Gunner en cri, je veux vous faire savoir et vous montrer que notre langue et notre culture sont toujours bien vivantes.

Ce fut un long voyage pour les membres des Premières Nations qui se sont rendus jusqu’à la salle Clémentine, au Vatican. Un si long voyage pour quelques mots. Et les voici enfin.

Je veux vous dire, de tout mon cœur, je suis vraiment désolé. Avant que le pape François n’ajoute : Je me joins à mes frères évêques du Canada pour vous présenter mes excuses.

Même moi, j'avais des larmes, se souvient la grande cheffe des Cris du Québec, Mandy Gull-Masly. J'ai vu un homme qui a vraiment pris la chance d'attirer l'attention sur quelque chose qui n’était pas bien connu dans le monde. La vérité sur ces pensionnats, la vérité sur l’expérience des survivants.

Portrait de Mandy Gull-Masty

Mandy Gull-Masty, première femme élue grande cheffe des Cris du Québec.

Photo : CBC/Olivia Stefanovich

Mandy Gull-Masly ne pouvait se douter qu’au dernier jour de son périple au Vatican, le pape allait s’inviter au Canada, comme sur un coup de tête. Sans doute pour donner du poids aux excuses? Que valent les mots quand on a tant tardé à les dire?

Était-il déjà trop tard?

Quand le pape a annoncé qu'il venait au Canada, il y a eu toutes sortes de réactions, se rappelle Mandy Gull-Masty. Il y a des personnes qui ont dit : "Pourquoi? On n'a plus besoin de lui." Il y avait des gens fâchés. Et d’autres qui avaient hâte de l'entendre.

Et trois mois plus tard, ce fut un voyage étonnant. Les plaines d’Abraham étaient pratiquement vides. Le grand stade d’Edmonton n’était certainement pas plein à craquer. Le si populaire pape François n’a pas fait salle comble! Comment est-ce possible?

Une foule sur la Grande Allée.

Seulement quelques centaines de personnes attendaient le passage du pape devant l’entrée du parc des Champs-de-Bataille sur la Grande Allée, bien loin des foules attendues.

Photo : Radio-Canada / Louis-Simon-Lapointe

Ce voyage n’était pas une fête. Le pape avait rendez-vous avec une des pages les plus laides de l’histoire de l’Église catholique au Canada. Je crois que c’est comme ça qu’il faut voir ces images stupéfiantes. Une prière au cimetière. Le pape en fauteuil roulant sur le site d’un des plus importants pensionnats pour Autochtones de l’époque. Il a écouté. Il s’est excusé. Et puis à nouveau. Et encore. Dans l’avion, sur le chemin du retour, il a même parlé de génocide. Ce n'est pas rien quand même.

Tout le monde parlait du pape François, se souvient Mandy Gull-Masly. Et moi, je me suis demandé comment il se sent, lui, comme homme, comme personne. J'étais, je peux dire, fier de lui, même s'il y avait des moments où il était tout seul.

Était-ce trop peu? Trop tard? Après plus d’un siècle de silence, les mots peuvent-ils encore faire une différence? Ou blesser davantage?

Au bord du lac Ste. Anne

Et enfin cette image immense au bord du lac Ste. Anne. Celle d’un pape, tout à coup, qui semble si vieux. Et impuissant.

Rien de ce qu’il peut dire ou faire ne changera quoi que ce soit à ce qui a été vécu. La douleur, le désespoir, la colère. Rien ne pourra effacer sa responsabilité. Les violences commises au nom de la supériorité blanche et catholique. Tous ces morts que seul le silence au cimetière permet d’entendre.

Le pape François, assis sur un fauteuil roulant, se recueille dans un cimetière face à des tombes.

Lors de son voyage au Canada, le 25 juillet 2022, à Maskwacis en Alberta, le pape François a renouvelé ses excuses pour l'implication de l'Église dans le système des pensionnats pour Autochtones.

Photo : AP / Gregorio Borgia

Et les promesses?

L’arrivée au pouvoir du pape François a soulevé un vent d’espoir et de changement inouï. Il y a dix ans, certains parlaient d’une révolution.

Eh bien, pour moi, ce voyage au Canada est un des moments les plus puissants des dix ans de pouvoir de François. Même une révolution ne peut refaire le passé. Il y a des promesses qu’on ne peut jamais tenir.

Et demain?

Il n’y a que les cardinaux qui peuvent voter au moment de l’élection d’un pape. Il n’y a que le pape qui puisse nommer les cardinaux. Or, en dix ans, François aura nommé près des deux tiers des cardinaux qui auraient droit de vote si un conclave avait lieu aujourd’hui.

Alors, ces cardinaux de François, pour qui voteront-ils? La vérité, c’est qu’on n'en sait rien. À Rome, il y a toujours des noms de successeurs potentiels qui circulent vers la fin du règne d’un pape. Pas cette fois.

Ces nouveaux cardinaux viennent souvent de loin, d’endroits parfois ignorés par le gouvernement de l’Église. Ces cardinaux ne connaissent pas très bien Rome et le Vatican. Ils n’ont jamais participé à un conclave. Il n’est même pas certain qu’ils aient jamais visité la chapelle Sixtine. Ils sont souvent occupés avec la réalité de leur bout de planète.

Cet éventuel conclave promet de brouiller les cartes des spécialistes. Du coup, ce pourrait être l’acte ultime de ce pape venu faire la révolution.

Pour en apprendre davantage sur les 10 ans du pape François, ne manquez pas le documentaire Les promesses de François, en rediffusion le dimanche 12 mars à 21 h 30.

À lire aussi :

Les promesses de François :

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