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Analyse

Les promesses de François : le pape a-t-il écouté les victimes?

Les criminels en soutane sont la bête noire de l’Église catholique. Le pape François avait promis d’écouter les victimes. Promesse tenue? Ou déception? Voici le deuxième texte d’une série de trois sur les dix ans de François à la tête de l’Église catholique.

Gros plan sur le pape François, qui semble sérieux et songeur.

Le pape François avait promis d'écouter les victimes de l'Église.

Photo : Getty Images / AFP/TIZIANA FABI

Depuis 10 ans, le pape François fait sans cesse l’éloge de l’humilité et des laissés-pour-compte. Une Église humble, indulgente et bienveillante. Voilà le projet!

Mais existe-t-il un dossier en particulier qui nous permet de mesurer comment le discours du pape a changé ou pas la réalité des laissés-pour-compte?

S’il existe un tel dossier, c’est celui des criminels en soutane qui ont pourri la vie de milliers de victimes et de l’Église.

Voici l’histoire de Juan Carlos et la bataille du Chili.

La bataille de Juan Carlos

J’ai rencontré Juan Carlos Cruz à Rome. J’y étais pour un reportage. Lui, pour revoir un ami qu’il aime profondément.

Quand j’ai demandé à Juan Carlos de me raconter son histoire, il n’a pas hésité une seconde. Il a l’habitude. Après tout, c’est son histoire qui va mener à la bataille du Chili et à la démission en bloc de tous les évêques chiliens.

J'avais 15 ans quand j’ai perdu mon père. Alors on m’a dit "va voir ce prêtre, c'est un saint homme". Alors j'y suis allé.

Le père Fernando Karadima avait effectivement toute une réputation! Il connaissait tout le monde dans la haute société chilienne.

« Peu de temps après, les agressions ont commencé… Évidemment, c'était horrible. »

— Une citation de  Juan Carlos Cruz
Juan Carlos Cruz devant le Vatican.

Le Chilien Juan Carlos Cruz est une victime du père Fernando Karadima.

Photo : Reuters / ALESSANDRO BIANCHI

Pour ajouter à l’horreur, pendant que Juan Carlos ou ses amis étaient agressés, un autre prêtre, en retrait, aurait observé la scène en silence.

Mgr Barros est évêque aujourd’hui. À l’époque, il n’était qu’un jeune prêtre. Et il a vu les agressions. Il regardait, il était là. Il s’éloignait quand nous étions agressés.

L’histoire de Juan Carlos peut sembler incroyable, mais pas tant que ça, au fond, quand on écoute les nombreux témoignages de victimes de criminels en soutane.

En France, à lui seul, le père Bernard Preynat aurait commis des centaines d’agressions sur une vingtaine d’années. Parmi les victimes, François Devaux.

L’Église fait l'extrême inverse de ce pour quoi elle a été créée. La pédophilie et la dissimulation de crimes dans l'Église, c'est tuer l'esprit de petits garçons.

François Devaux en entrevue.

François Devaux a créé l'association La parole libérée, à l'initiative des victimes d'un aumônier scout du diocèse de Lyon, en France, Bernard Preynat.

Photo : Radio-Canada / Alain Crevier

François Devaux avait 10 ans à l’époque. Dès les premiers contacts sexuels, il en a parlé à ses parents, qui l’ont cru. Ce n’est vraiment pas le cas de toutes les victimes, qui gardent le secret de leurs agressions enfoui en eux pendant des décennies.

Juan Carlos a gardé son lourd secret pendant plus de trente ans, horrifié par ses souvenirs. Jamais, m’a-t-il dit, je n’aurais imaginé être capable d’en parler.

Eh bien, c’est ça qui a changé.

Aujourd’hui, si on connaît le modus operandi des criminels en soutane, c’est que, partout, les victimes ont commencé à parler. À Lyon, par exemple, François Devaux a cofondé une association des victimes du père Preynat, La parole libérée.

« Je déclenche cette guerre par conviction, par spiritualité. Il faut respecter la vie. L'Église n'est pas une institution respectable, c'est une entreprise de corruption spirituelle qui a fait l'extrême inverse de ce qui est écrit dans l'Évangile. »

— Une citation de  François Devaux

Le pape fait un faux pas, la colère des victimes éclate

En janvier 2018, lorsque le pape François arrive au Chili pour ce qui devait être un autre beau voyage apostolique, il ne devait pas se douter que Juan Carlos, François Devaux et de nombreuses autres victimes de partout l’attendaient de pied ferme. Ensemble, à Santiago, ils viennent de créer une première association internationale pour dénoncer l’hypocrisie de l’Église.

Des manifestants avec des bannières.

Des manifestants et des victimes de prêtres catholiques attendaient le pape François à son arrivée à Santiago, au Chili, en 2018.

Photo : Reuters / CARLOS VERA

À Santiago, le pape se présente en public avec Mgr Barros, celui qui aurait regardé Juan Carlos se faire agresser. C’en est trop! La colère des victimes éclate.

Juan Carlos interpelle le pape et dénonce la présence de Barros à ses côtés. Le pape devient cinglant et lui répond publiquement que c’est de la calomnie, qu’il n’existe aucune preuve de ce que Juan Carlos et les autres victimes avancent.

Encore aujourd’hui, quand j’en parle à Juan Carlos, je sens la moutarde qui lui monte au nez.

C’était pénible. Devant le monde entier, voir le pape dire que je mentais!? Et j’ai vu ça en direct. C'était insupportable.

L’affaire se transforme en crise majeure. Autant pour l’Église chilienne que pour ce pape sur le point de perdre sa crédibilité quand il parle des laissés-pour-compte.

Mgr Barros regardant la caméra.

Mgr Barros était présent lors de la messe du pape François à Iquique, au Chili, en janvier 2018.

Photo : Reuters / ALESSANDRO BIANCHI

Au Chili, les évêques ont dit que je ne pouvais pas être catholique puisque je suis l’ennemi de l’Église! Je me suis dit : "Je ne vais pas baisser les bras. Je ne vais pas laisser cette bande de criminels dire que moi, je suis indigne!"

Et il s’est produit ce que le pape François ne pouvait imaginer. Même pas Juan Carlos!

Les gens de la ville se sont fâchés. C’était une révolution. Ils m’ont soutenu, moi et les autres survivants. C’était impressionnant!

Le courage de reconnaître ses erreurs

On ne sait trop si ce sont les larmes ou la colère de Juan Carlos qui ont convaincu François, mais celui-ci ordonne qu’une enquête soit menée. Par prudence, il désigne un homme de confiance du Vatican. Le rapport est accablant pour l’Église… et pour lui-même. Comment a-t-il pu douter de Juan Carlos et des victimes? Lui qui, dès son élection, avait promis de combattre ce fléau des criminels en soutane.

Parfois, en politique, les hommes et les femmes publics s’accrochent les pieds dans les fleurs du tapis. Parfois même, des gouvernements tombent, des présidents démissionnent, des régimes sont renversés. Jamais l’Église catholique.

Dans la bataille du Chili, François est passé bien près de tomber. Ce qui l’a peut-être sauvé, m’a dit Marco Politi, un des plus grands analystes du Vatican, c’est le courage de faire son autocritique.

Et ça, c'est une grande différence avec les autres papes. Il avait obtenu de fausses informations sur la situation au Chili. Mais après, il a eu le courage de reconnaître ses erreurs publiquement.

Pour Juan Carlos qui a été publiquement humilié par le pape, cette victoire est jubilatoire.

Personne n’avait prévu que le pape dirait : "J’ai fait une grave erreur et je m’excuse auprès de Juan Carlos et des autres". Après, il a convoqué au Vatican tous les évêques du Chili en exigeant leur démission. On n'avait jamais vu ça. C’était formidable!

En France, François Devaux et les victimes du père Preynat ont eux aussi mené une bataille colossale. Le père Preynat est aujourd’hui en prison. Le cardinal Barbarin s’est retrouvé devant les tribunaux et a dû remettre sa démission au pape François. Dans la foulée, les victimes ont forcé la mise sur pied d’une commission indépendante qui a conclu que, contrairement à ce qu’a toujours soutenu l’Église de France, plus de 216 000 victimes ont été agressées au fil des ans en France par des prêtres pédophiles.

Le père Bernard Preynat au palais de justice de Lyon, en France, lors de son procès.

Le père Bernard Preynat est aujourd'hui en prison pour agressions sexuelles.

Photo : Getty Images / AFP/PHILIPPE DESMAZES

Cette bataille de Lyon, c’était David contre Goliath. La victoire des victimes est immense. Les colonnes du temple de leur paroisse ont tremblé jusqu’au Vatican! Et pourtant, dans la campagne lyonnaise où j’ai rencontré François Devaux, j’ai senti une profonde colère que rien ne pourra éteindre.

On n'arrivera pas à réformer l'Église catholique parce qu’elle s'est octroyé des pouvoirs auxquels elle ne renoncera pas, croit François Devaux. Mais qui peut réglementer la sexualité et, dans le même temps, déplacer des pédophiles qui ont détruit des vies?

C’était une belle journée de novembre à Rome. J’y étais en reportage. J’ai salué Juan Carlos une dernière fois. Il avait rendez-vous avec son ami qu’il aime tant : le pape François. Comme tous les deux mois.

« Je blâme l’entourage du pape qui lui ment en pleine face. Tous ces cardinaux et ces évêques hypocrites qui se protègent entre eux, qui protègent leurs avoirs. Alors je ne vais jamais me taire. »

— Une citation de  Juan Carlos Cruz

Le pape François avait bien l’intention de mettre un terme à ce fléau des prêtres criminels. Il en avait la mission. Il en avait fait la promesse. Mais il y a de ces fléaux que les nobles intentions ne parviennent pas à endiguer.

Pour en apprendre davantage sur les 10 ans du pape François, ne manquez pas le documentaire Les promesses de François, diffusé le samedi 11 mars sur les ondes de RDI à 18 h 30, puis en rediffusion le dimanche 12 mars à 21 h 30.

À lire aussi :

Les promesses de François :

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