Comportements abusifs de certains courtiers immobiliers
Plusieurs inspecteurs en bâtiment dénoncent le comportement de certains courtiers immobiliers qui les empêche de faire leur travail.

Un inspecteur en bâtiment prend un relevé en images.
Photo : Radio-Canada
La vie d'Anastasia Luckenuick a été bouleversée après l'achat malheureux d’une maison à revenus, près de Rivière-du-Loup, sa ville natale. Cette fâcheuse expérience l’a conduite à quitter sa carrière d’infirmière pour devenir inspectrice en bâtiment. « Je suis rentrée dans une cascade de cauchemars, de vices puis de malfaçons, déplore-t-elle. C'est là que j'ai eu le déclic. Je vais amener de la rigueur et de la compétence en inspection. »
Détentrice de plusieurs diplômes reliés à l’inspection, membre de l’Association des inspecteurs en bâtiment du Québec, elle veut éviter à ses clients de vivre ce qu’elle a vécu. Je veux que mes clients soient bien encadrés. C'est pour ça que je fais l'inspection.
Des inspecteurs indésirables
Après s'être bâti une clientèle, le nombre de ses inspections a diminué sans raison apparente. Tout s’est éclairci lorsqu'un courtier l'a appelée. Il a dit : "Anastasia, on ne se voit pas en inspection parce que tu nous fais peur. On s'est concertés [les maisons de courtage] et on ne veut pas t'avoir en inspection".

Anastasia Luckenuick, inspectrice en bâtiment
Photo : Radio-Canada
L’affirmation est plausible, car après la diffusion d’un reportage sur un sujet similaire l'an dernier, La facture a reçu des courriels qui vont dans le même sens provenant d’inspecteurs dispersés dans différentes régions du Québec.
Voici quelques extraits :
Je peux vous dire qu’il y a bel et bien une liste noire pour les inspecteurs qui font leur travail correctement.
- Sainte-Marguerite-du-Lac-Masson
Les courtiers n'aiment pas certains inspecteurs trop rigoureux et ne se cachent pas pour le faire savoir à leurs clients.
- Gatineau
Les courtiers immobiliers aiment un inspecteur en bâtiment qui n’explique pas trop les problématiques observées.
- Laurentides
L’un d’eux est Nicolas Leblanc, président de Holispec, une entreprise située dans la municipalité de Saint-Hubert. Ce n'est malheureusement pas un cas isolé, regrette-t-il. Moi, je suis la cible de ça également. Certains courtiers vont dire : "Holispec ne rentre pas ici. Si vous amenez Holispec, on n'accepte pas votre offre d'achat".

Nicolas Leblanc, inspecteur en bâtiment
Photo : Radio-Canada
Joël Charron connaît bien la Loi sur le courtage immobilier, car il est à la fois avocat, courtier et président fondateur de l’Académie de formation immobilière du Québec. Ces cas d’intimidation ne sont pas acceptables, dit-il. C'est pas déontologique. En vertu du règlement sur les conditions d'exercice [de l'activité de courtage], le travail [de courtier] doit être empreint d'objectivité. Il ne peut pas s'immiscer dans ce processus-là.
Une clause non conforme à la loi?
Mais revenons à Rivière-du-Loup. Dans cette région, les courtiers de la firme Proprio Direct ont ajouté une clause qui apparaît sur chacune des fiches détaillées des maisons à vendre par cette agence. Il est clairement écrit : le vendeur se réserve le droit d’accepter ou non le choix de l’inspecteur de l’acheteur.
Selon Joël Charron, cette clause n’est pas conforme à la Loi sur le courtage immobilier. On vient restreindre le droit à l'acheteur de choisir son propre inspecteur en bâtiment. C'est contraire aux règles d'éthique et ça manque d'objectivité.
Il soupçonne une intention malveillante derrière cette clause. Si on interdit certaines personnes, c'est qu'il y a des motivations quelconques pour restreindre certaines personnes à procéder à une inspection.

Joël Charron, président Académie de formation immobilière du Québec
Photo : Radio-Canada
L’Organisme d’autorégulation des courtiers immobiliers du Québec (OACIQ) ne croit pas que la clause soit illégale. Si c'est pour écarter des inspecteurs qui sont trop rigoureux, on a un problème, explique Caroline Champagne, vice-présidente de l’OACIQ. Mais la clause en soi n'est pas illégale et l'acheteur a le loisir de la refuser.
Mais plusieurs clients d'Anastasia Luckenuik ont préféré annuler leur inspection plutôt que de risquer de perdre la possibilité d'acheter la maison convoitée.
Immoral
Dans cette région, Anastasia Luckenuick n’est pas la seule inspectrice à se plaindre notamment des courtiers de Proprio Direct œuvrant à Rivière-du-Loup. L’Association des inspecteurs en bâtiment du Québec (AIBQ) a porté plainte au syndic de l’Organisation des courtiers immobiliers du Québec au nom d’un autre inspecteur.
Des mots très durs ont été employés pour décrire l'attitude de ces courtiers, tels que : tromperie, apparence de collusion, manquement à la déontologie, immoral, une honte pour la profession de courtier.
C'est intolérable et c'est condamnable, lance Denis St-Aubin, président de l’AIBQ. Cette méthode de travail de cette agence est inacceptable. Ce sont des méthodes trompeuses, diffamatoires et qui ne seront pas tolérées de l'Association.

Denis St-Aubin, président Association des inspecteurs en bâtiment du Québec
Photo : Radio-Canada
Nous avons demandé à la direction de l'agence si elle approuvait le libellé de la clause.
Proprio Direct n’a jamais donné aux courtiers immobiliers ni aux employés de l’agence des directives les autorisant ou les incitant à bannir, boycotter ou diffamer les services d’un professionnel. Par ailleurs, les courtiers Proprio Direct ne sont en aucun cas autorisés par l’agence à agir à l’encontre de la Loi sur le courtage immobilier, ses règlements, et la loi en général.
Une source nous confirme que le syndic de l’OACIQ enquête présentement sur la plainte de l’AIBQ. Advenant le cas où des infractions déontologiques sont commises, on va déposer une plainte disciplinaire. Puis ce sera au comité de discipline de se prononcer
, affirme Caroline Champagne, vice-présidente de l’OACIQ.

Caroline Champagne, vice-présidente, Organisme d'autoréglementation du courtage immobilier du Québec
Photo : Radio-Canada
Anastasia Luckenuick a quitté le Bas-Saint-Laurent et œuvre maintenant dans la région métropolitaine. Je suis partie parce que ma santé en dépendait. Ce n'est pas vrai que je suis une mauvaise inspectrice et c'est pas vrai que je vais fermer mon entreprise.
Le reportage de François Dallaire et de Nancy Lambert est diffusé à La facture le mardi à 19 h 30 et le samedi à 12 h 30 à ICI Télé.