Aide médicale à mourir pour les mineurs : un même deuil, des vues opposées
Tous deux ont vu leur fils adolescent mourir du cancer. Aujourd'hui, un père et une mère veulent contribuer au débat.

Mike Schouten et Caroline Marcoux ont tous deux vu leur fils respectif mourir d'un cancer à l'âge de 17 ans.
Photo : Radio-Canada / Félix Desroches/David Richard
À la mi-février, les élus fédéraux qui se penchent sur l’aide médicale à mourir ont ouvert la porte à son élargissement aux mineurs matures. Dans un rapport déposé à la Chambre des communes, ils disaient estimer que l’admissibilité à ce recours ne devrait pas être refusée en se basant sur le seul critère de l’âge.
La question est complexe et délicate, tant sur le plan légal que d'un point de vue médical. Voilà pourquoi des parents prennent la parole au nom de leur enfant aujourd’hui décédé pour contribuer au débat.
Mike Schouten et Caroline Marcoux ne se connaissent pas, mais il y a deux ans, à quelques mois d’intervalle, ils ont traversé la même épreuve. Chacun a vu son fils de 17 ans, atteint d’un cancer des os, succomber à la maladie.
Cette mère et ce père mènent maintenant un combat bien différent. Elle milite pour que les mineurs aient accès à l’aide médicale à mourir, tandis qu'il fait partie d’une organisation qui s'y oppose.

Le reportage de Valérie Gamache
En 2021, le diagnostic est tombé pour Marcus Schouten : cet adolescent était atteint d'un cancer des os qui se propageait rapidement aux poumons. Après avoir décidé de mettre fin à ses traitements, il n'a vécu que deux mois.
C’est à ce moment-là que Mike Schouten a parlé de la mort avec son fils. Ils ont discuté de ce qui se passerait lorsqu’ils sentiraient la fin approcher. Si Marcus s’était fait offrir l'aide médicale à mourir, comment aurait-il accueilli la nouvelle? Nous sommes convaincus qu’il se serait senti abandonné, un peu comme si on lui avait dit que sa vie ne valait plus la peine d’être vécue
, explique M. Schouten.

Au cours des derniers jours avant son décès, Marcus Shouten a passé un moment entouré de ses amis. Son père Mike Shouten chérit tout particulièrement ce souvenir.
Photo : Mike Schouten
Quand on ne connaît pas le moment de sa mort, on ne connaît pas non plus les expériences qu'il nous reste à vivre.
Mike Schouten se souvient de ce vendredi matin où son fils est entré à l’unité des soins palliatifs de l’Hôpital pour enfants de Vancouver. Marcus pensait que c’était la fin. Il était entouré des siens. Il nous a fait ses adieux
, raconte-il. Sa femme et lui ont passé la nuit auprès de leur fils. Il a persévéré et, le lendemain matin, il était toujours avec nous.
Ce jour-là, il a demandé à Marcus s'il voulait passer un tout dernier moment avec ses amis. Ils ont passé deux heures ensemble. Marcus leur a dit qu'il était temps pour lui de partir mais qu'eux avaient la vie devant eux
, explique son père. Ce fut un moment merveilleux qui ne se serait pas produit si Marcus avait décidé la veille que c’était le bon moment pour partir.

Caroline Marcoux a promis à son fils, Charles, de se battre pour que les mineurs comme lui, s'ils le désirent, puissent avoir accès à l'aide médicale à mourir.
Photo : Caroline Marcoux
Caroline Marcoux, elle, aurait souhaité que son fils puisse avoir le choix. Charles avait 15 ans lorsqu'il a reçu son diagnostic de cancer. Après 18 mois ponctués de traitements et d'opérations, la maladie est revenue de plus belle en janvier 2021. C'était une double récidive. À partir de là, on savait qu'il n'y avait plus rien à faire
, raconte Mme Marcoux.
Sept mois plus tard, la douleur de Charles est devenue insoutenable, se souvient sa mère. À la mi-juillet, c'est là qu'il a commencé à paniquer par rapport à la mort, à paniquer à savoir quand ça allait arriver. C'est là qu'il a commencé à parler de l'aide médicale [à mourir].
Il disait : "Je vais partir quand je veux, comme je veux et paisiblement, et je vais dormir".
Charles ne pouvait presque plus quitter son lit dans sa maison de Saint-Prime, au Lac-Saint-Jean. Il disait : "Maman, fais quelque chose, je n'en peux plus. Maman, quand est-ce qu'on le sait c'est quand, la mort? Quand est-ce qu'on le sait que c'est là?" Puis, il avait peur d'être tout seul.
Charles a finalement décidé de se tourner vers la seule option qui s'offrait à lui : la sédation palliative. On lui a donc administré des médicaments dans le but de soulager ses souffrances en le rendant inconscient, et ce, jusqu'à son décès. S'il avait pu avoir l'aide médicale, choisir le moment, choisir avec qui il était, aussi... Quand il est parti, la famille n'était pas toute là
, se rappelle Caroline Marcoux.
Débat sensible chez les pédiatres
Pédiatre en soins palliatifs au Centre mère-enfant Soleil du CHU de Québec, la Dre Gabrielle Brodeur St-Jacques précise d'entrée de jeu qu’il est très rare que les adolescents explorent l’avenue de l’aide médicale à mourir. Je prédis donc que si on arrive à l'autoriser aux mineurs, ça va être des cas très isolés
, soutient-elle. Aux Pays-Bas, par exemple, où les mineurs matures ont accès à l’aide médicale à mourir, on a répertorié 13 cas où celle-ci a été administrée entre 2002 et 2018.

La Dre Gabrielle Brodeur St-Jacques est pédiatre en soins palliatifs au Centre mère-enfant Soleil du CHU de Québec.
Photo : Radio-Canada / David Richard
Mais une chose est claire dans l’esprit de cette pédiatre : l’âge légal de 18 ans pour avoir accès à l’aide médicale à mourir est bien arbitraire.
On sait que ça va toucher particulièrement les jeunes qui sont atteints d'une maladie chronique, qui ont ce vécu expérientiel qui leur permet probablement de décider pour eux-mêmes de manière même plus surprenante que certains adultes en santé
, explique la Dre Brodeur St-Jacques.
Une chose doit cependant être considérée différemment par rapport aux adultes, selon elle : les critères d’admissibilité et les mesures de sauvegarde. La fin de vie n'étant plus un critère obligatoire, moi, [j'estime que] ça apporte un bémol important. La fin de vie, pour moi, je crois que ça doit demeurer essentiel comme critères d'accès
, affirme la pédiatre.
D’un point de vue juridique, l’avocat en droit médical Jean-François Leroux estime que le critère de l’âge est discriminatoire.
Tous les jours en ce moment au Québec, des mineurs de 14 ans et plus peuvent décider par eux-mêmes de cesser certains soins qui sont nécessaires au maintien de la vie. Les médecins doivent de toute façon procéder à cette évaluation de l'aptitude. Donc, c'est peut-être un mirage que ça peut être une difficulté en soi
, plaide l'avocat, qui conseille l’Association québécoise pour le droit de mourir dans la dignité.

Me Jean-François Leroux est avocat spécialisé en responsabilité médicale. Il a été coprocureur dans le très médiatisé procès Gladu-Truchon, deux citoyens qui ont réussi à invalider les dispositions du Code criminel qui conditionnent l’accès à l’aide médicale à mourir au fait d’être en fin de vie.
Photo : Radio-Canada / David Richard
Alors que Me Leroux accepterait sans hésiter de défendre la cause d’un mineur qui voudrait avoir accès à l’aide médicale à mourir, la Dre Brodeur St-Jacques se demande comment elle réagirait si c'était possible pour les mineurs matures et qu'un de ses jeunes patients réclamait ce recours.
Ça reste à éclaircir, mais ce désir de les accompagner jusqu'au bout va me faire me questionner, probablement positivement, pour leur permettre, dans la compassion, d’avoir accès aux soins auxquels ils ont droit. Je ne m'imagine pas appeler un collègue qu'ils ne connaissent pas. J'aimerais les accompagner jusqu'au bout avec ça
, conclut-elle.
Mike Schouten ne s’en cache pas : ses croyances religieuses sont au centre de son combat à la mémoire de son fils Marcus. Nous savons qu’il est mort de la façon dont les gens meurent depuis des centaines d’années dans ce pays, c’est-à-dire lorsque le Créateur le décide.
Pour Caroline Marcoux, c’est le fait de se battre pour donner à d'autres le droit de choisir qui donne un sens à la mort de Charles.